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Azerbaïdjan, Turquie et énigmes diplomatiques : interview de Jean-Christophe Rufin au sujet de son roman "Le Flambeur de la Caspienne"

« Un ambassadeur, c’est quelqu’un qui se trouve en danger permanent », nous explique l'ancien diplomate

Azerbaïdjan, Turquie et énigmes diplomatiques : interview de Jean-Christophe Rufin au sujet de son roman "Le Flambeur de la Caspienne"

Un héros récurrent, une publication métronomique, quelques meurtres : voici les indices d’une série dont le héros est un drôle de personnage franco-roumain nommé Aurel.

Jean-Christophe Rufin, par ailleurs président du Prix Orange du Livre, aime prendre le risque de nouvelles formes romanesques. Il signe là sa première série qui compte pour l’heure trois romans mais à laquelle on prédit un long avenir fait de moult tribulations. Avec Aurel son héros, le voici transformé en écrivain de polars diplomatiques. On pourrait nommer ainsi les enquêtes menées par ce consul pas comme les autres au gré de ses affectations : l’Afrique pour bonne part, et l’Azerbaïdjan pour le dernier opus, Le Flambeur de la Caspienne (Flammarion). 

Le roman, sorti au printemps, croise l’actualité de façon troublante en cette rentrée. Le conflit fulgurant dans le Haut-Karabakh a mis le Caucase, et en particulier l’Azerbaïdjan, au cœur d’une actualité disputée par l’élection présidentielle américaine. Tandis que l’Europe assiste à la mise en place d’une poudrière propice à maints conflits à venir, le roman de Jean-Christophe Rufin apporte des clefs précieuses pour comprendre cette partie du monde largement méconnue. Entretien avec l’un des grands écrivains de notre temps qui a également été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie.

 

 

Entretien avec Jean-Christophe Rufin

- Les deux précédentes aventures d’Aurel se situaient en Afrique. Le Flambeur de la Caspienne (Flammarion) entraîne votre héros Aurel à Bakou, en Azerbaïdjan. Pourquoi l’avoir exilé dans le Caucase ?

Je voulais lui donner, pour une fois, un poste qui lui donne envie de rester, mais aussi de prendre le lecteur à contrepied. Sans connaître la région, on a en effet l’impression que Bakou est une ville difficile. L’Azerbaïdjan est un pays qui n’attire pas, et l’on est surpris du grand niveau de développement du pays quand on le découvre. Certes, l’actuelle exploitation pétrolière est à l’origine de la prospérité du pays, mais ce n’est pas qu’une question économique. Quand la richesse pétrolière s’y est épanouie à la fin du 19e siècle, les Azeris, qui n’avaient rien avant cette manne, ont fait venir des architectes, des peintres, des couturiers européens et surtout français, pour construire une capitale. Il y a des rues qui font terriblement penser à des artères haussmanniennes parisiennes. Bakou est devenue très européenne, c’est saisissant.

 

- Comment connaissez-vous aussi bien Bakou et la situation locale ?

Je me suis toujours intéressé à la région du Caucase. J’y ai voyagé plusieurs fois, gravi le mont Elbrouz qu’on atteint par la Russie et qui donne sur la Géorgie. De plus, mon fils et sa famille y vivent depuis 4 ans ce qui me donne l’occasion d’y aller.

 

- La situation de guerre dans le Haut-Karabakh, qui vient de s’achever par la reddition arménienne face à l’Azerbaïdjan soutenue par la Turquie, entre en étrange résonance avec Le Flambeur de la Caspienne…

Le problème dans cette région est ancien et chronique. Il a pris des formes militaires depuis le début des années 1990, avec de forts mouvements de population qui ont accru les tensions. Depuis, la situation semblait s’être gelée, jusqu’à cette guerre dans le Haut-Karabakh. Mais l’histoire est complexe et, comme je le disais, le problème est ancien.

 

- Pourriez-vous nous éclairer sur la nature des relations qu’entretiennent Turcs et Azéris ?
Le monde turc vient de l’Asie centrale, les tribus turco-mongoles sont descendues jusqu’à la Méditerranée. La Turquie représente « seulement » l’extrémité d’une pénétration depuis les steppes. Elle s’est développée dans cette zone qu’on appelait l’Asie mineure, mais tout au long de ce parcours qui va vers la Méditerranée, il y a des sociétés turcophones, des peuples qui appartiennent à la grande famille des tribus turques. Ces groupes se sont fixés à des endroits différents : au Turkménistan, dans le Caucase, en Afghanistan …

Les Azéris, qui sont originellement turcophones en font également partie. Ils sont aussi turcophiles mais enracinés dans leurs propres terres depuis des siècles. Leur langue a évolué, ils parlent un dialecte turc, assez éloigné de la langue souche.

C’est là que réside l’ambiguïté. Quand on parle de la Turquie, on visualise seulement la part de géographie méditerranéenne. Et l’on pense que les Turcs ont pour visée impériale de réunir sous leur égide tous les peuples turcophones et finno-ougriens, ce qu’on appelle le pantouranisme. C’est une tentation à laquelle cèdent périodiquement les Turcs de Turquie, même si en ce moment ils semblent plutôt jouer la carte musulmane. Ces sociétés sont en effet assez dispersées. Le régime du Turkmenistan n’a rien à voir avec ceux de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Il y a une sympathie, notamment religieuse, mais les Azéris ne sont pas alignés sur les Turcs.

 

- Cela semble assez compliqué…

Le « Grand Jeu » des alliances autour du Caucase est très compliqué, parce que ces pays se trouvent aux confins des empires perse, turc et russe. Toute cette région raconte l’histoire de ces influences.

 

- Vous avez été ambassadeur. Aurel est-il la voix que vous ne pouvez pas porter sur un métier que vous connaissez bien ?

En effet, le sujet en filigranes du livre interroge ce qu’est, au fond, un ambassadeur aujourd’hui, et notamment un ambassadeur de la France. Je peux vous donner la réponse sans trahir quoi que ce soit des aventures d’Aurel : un ambassadeur, c’est quelqu’un qui se trouve en danger permanent.

 

- En danger ?

Tout dépend de son affectation, mais il est souvent envoyé dans des pays en conflits. Après les déclarations du Président Macron sur le conflit azéri, par exemple, il n’a pas été très confortable d’être ambassadeur de France en Azerbaïdjan. 

Les ambassadeurs sont le jeu de forces qui les dépassent complètement. En même temps, ils sont mêlés aux négociations internationales dans des secteurs sensibles qui participent aux enjeux économiques, comme l’aéronautique, le pétrole, l’armement, etc. L’ambassadeur peut exercer un petit pouvoir dans ces négociations, mais elles le dépassent, car les gouvernements intéressés n’hésitent pas à passer par-dessus sa tête pour discuter directement avec l’Etat dont il dépend. L’ambassadeur ne peut pas décider à lui seul de l’issue de ces négociations mais il peut tenter de les influencer, par exemple en faisant fuite des informations pour avantager une des parties. C’est un jeu dangereux.  Les ambassadeurs, dans certains pays sont soumis à de fortes pressions et peuvent à l’extrême tomber sous l’influence de gens mal intentionnés, comme l’ambassadeur du Flambeur de la Caspienne.

 

- Un ambassadeur de France représente-t-il toujours la puissance de la nation française ?

Dans nos anciennes colonies, le poids de la France reste très important, l’ambassadeur y est une personnalité essentielle. Au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, son rôle est puissant. Cependant, la grande proximité entre les pouvoirs politiques de ces pays et du nôtre court-circuite souvent l’ambassade. La grande période du 19e siècle, où les ambassadeurs, souvent des aristocrates à belle allure, avaient une confortable marge de manœuvre dans des pays lointains où il fallait des semaines de voyage pour se rendre, est terminée. Aujourd’hui, l’accélération des communications et la rapidité des moyens de transports font que les chefs d’Etat n’ont plus besoin de passer par l’ambassadeur pour se parler.

Paradoxalement, la partie consulaire, qui s’intéresse directement à la vie concrète des citoyens français de l’étranger, devient, à mes yeux, le noyau dur de la mission d’une ambassade. A cet égard, Aurel en résolvant des énigmes sert les intérêts de la France, il faudrait le décorer, vous ne trouvez pas ? (sourires)

 

- Comment se passent les relations de l’écrivain Jean-Christophe Rufin avec son personnage Aurel ?

Je l’aime beaucoup, mais il me donne du fil à retordre et me tracasse. Je me demande toujours ce qui va lui arriver. J’aimerais aussi connaître sa famille. Comme l’actualité rend les voyages difficiles, je n’ai pas pu me rendre en Roumanie au mois d’octobre. J’avais rendez-vous avec des amis roumains qui m’avaient préparé un « Aurel tour » ! Ils ont fait des recherches pour moi sur place. Aurel n’existe pas, mais on lui a trouvé une famille quand même.

 

- Nouez-vous ce type de relations avec tous vos personnages ?

On entretient un rapport curieux avec ses personnages récurrents. On les crée mais ils se déploient tout seuls, c’est amusant. Au début, j’ai l’ai campé de façon un peu caricaturale et burlesque, mais il prend de plus en plus de profondeur. Je pense qu’il n’a pas fini de me surprendre.

 

- Quels sont vos projets de cette fin d’année ?

Les nouvelles aventures d’Aurel sortent en mars 2021, je suis en cours de rédaction du livre, ce qui m’impose de me mettre à l’écart de tout. L’écriture me demande une immersion totale et une désincarnation presque douloureuse. Les polars sont un peu particuliers à écrire. Quand on s’attelle à un roman historique, une biographie, une histoire inspirée de sa propre vie, le livre et les faits guident la main. Dans le polar il faut tout créer et c’est vertigineux.

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

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Commentaires (8)

  • obanitcheva le 19/01/2021 à 15h34

    Je l’ai lu par nostalgie. Je connais Bakou, j’ai aussi passé un mois de vacances au bord de la Caspienne, et je garde des souvenirs très agréables des hommes de là-bas qui savent faire la cour à une femme. J’ai retrouvé l’hôtel Intourist, les boulevards, l’odeur du naphte… C’est tout. Une description de la « cuisine » consulaire, sans intérêt. Beaucoup d’efforts pour faire rire le lecteur, avec un personnage caricatural. Beaucoup de remplissage, avec des phrases banales. Ce livre peut servir de manuel pour un écrivain débutant : comment faire un roman populaire sur un pays sans le connaître, en utilisant quelques schémas familiers et des clichés : pétrole, argent, mafieux, dissidence… Évidemment ! Karimov, le grand méchant, n’apparaît même pas dans le roman… C’est dire ! Rufin prétend que Gérard de Villiers voulait qu’il reprenne le S.A.S. Mais Gérard de Villiers connaissait toutes les ficelles du milieu qu’il décrivait ! Ce n’est pas du tout le cas de Rufin. Il faut savoir pénétrer à l’intérieur ! Gérard de Villiers savait le faire. Si au moins Rufin était un grand styliste… Mais non. Juste à la fin, il y a un passage sur Aurel, pas mal.

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  • Pierre BLUMENTHAL le 04/12/2020 à 07h49

    Après la lecture de l'interview, j'ai fortement envie d'en devenir lecteur.

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  • Waharoa le 28/11/2020 à 10h41

    Merci à l'auteur pour l'éclairage politique du conflit dans cette zone. Je suis ravie et ne m'attendais pas à trouver ce contenu dans une interview à propos d'un livre. Donc merci à la journaliste.
    Et j'attends avec impatience l'arrivée de la nouvelle aventure d'Aurel, personnage qui m'amuse beaucoup. Contente de savoir que Jean-Christophe Ruffin, qui ne voulait pas poursuivre cette série, a changé d'avis. J'essaie d'imaginer ce que ce sera la famille d'Aurel: les options sont nombreuses.

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  • danielle Cubertafon le 27/11/2020 à 22h55

    Je n ai jamais lu ses livres mais connais l auteur le sujet est très interssant ,le bonheur de vivre comme il dit dans le resume me plaît beaucoup a decouvrir avec plaisir

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  • Kryan le 27/11/2020 à 11h08

    Bonjour et merci pour ce bon moment passé en compagnie de cet auteur toujours intéressant!

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  • Bagus35 le 25/11/2020 à 14h03

    J'ai lu et aimé "le suspendu de Conakry" et lirais volontiers les autres aventures d'Aurel.'

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  • Sophie Wag le 24/11/2020 à 19h38

    Une interview qui donne envie de découvrir ces romans!

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