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Avec son "Fils du feu" Guy Boley signe sans doute le plus beau roman de la rentrée

Rentrée littéraire 2016 éditions Grasset

Avec son "Fils du feu" Guy Boley signe sans doute le plus beau roman de la rentrée

Avec son Fils du feu (Grasset), Guy Boley signe sans doute le plus beau roman de la rentrée. Eh oui, c’est sans doute le plus gros coup de cœur de lecteurs.com, une fois la rentrée défrichée, ce dont les lecteurs ont témoigné dans leurs lectures depuis cet été. La Société des Gens de Lettres ne s’y est pas trompé en lui décernant le Grand Prix du Premier Roman, après le Prix Brassens qui lui avait été largement décerné en octobre.

 

Le plus étonnant c’est qu’il s’agit d’un premier roman. Certes, l’auteur n’est pas un perdreau de l’année pour un « primo-romancier », Guy Boley a 64 ans, sa carrière est à l’image de sa plume : inattendue, inespérée et incroyablement poétique. Maçon, il devint funambule, puis scénariste, dramaturge et scénographe de ballets, parmi les cent métiers qu’il a exercés. Avant, enfin, d’écrire ce texte magnifique dont il est extrêmement difficile de parler sans le réduire. Il a bien voulu répondre à nos questions, parce qu’en plus d’être déjà un grand écrivain, Guy Boley est un gars génial.

 

- Fils du feu est votre premier roman, court, fulgurant, qui se déroule dans une région qui ressemble au Doubs dans l’après-guerre. Qu’est ce qui a déclenché l’écriture de ce livre ?

Pendant une trentaine d'années, j'ai écrit une quarantaine de versions (très mauvaises)(disons très malhabiles) d'un roman racontant l'histoire, authentique, de mes parents montant des opérettes dans notre cuisine familiale, pour les gens du quartier, dans ce petit microcosme ouvrier et populaire tel qu'il est décrit dans "Fils du feu", le tout au cours de cette même période d'après-guerre. Je n'y parvenais pas, à l'écrire, ce roman, alors que je possédais tous les ingrédients : lieu, époque, personnages, dramaturgie. Dans toutes les versions que j'ai écrites, à aucun moment je ne parlais de la forge paternelle ou du petit frère mort. Je voulais juste écrire l'histoire simple de mes parents qui montaient des opérettes pour les cheminots de notre quartier (mes parents, tous deux, chantaient très bien). Mais je n'y parvenais pas. Je crois que "Fils du feu" est né, en quelque sorte, de l'impossibilité de parvenir à correctement écrire cette histoire d'opérette de cuisine. Disons qu'il s'agirait peut-être d'une grossesse spontanée née de cet immense ventre rempli de trente années de contractions.

 

- Vous racontez l’histoire d’un personnage, de son enfance à l’âge adulte. Pourtant vous ne passez pas par la chronologie traditionnelle. Comment avez-vous décidé de la forme de l’histoire ? 

Je n'ai pas décidé de quoi que ce soit. J'ai commencé à écrire sans rien savoir de la trame romanesque, sans rien savoir de ce que j'allais, ou avais envie de raconter; la première phrase a tiré les autres, comme si les choses étaient enfouies dans le sol et que cette première phrase, sorte de ficelle, parvenait à sortir de la terre, du sol, du sous-sol, les autres phrases qui y étaient déjà accrochées. Je parlais de naissance, dans la réponse précédente, et il y a eu effectivement quelque chose d'aussi miraculeux que lorsque l'on constate qu'un petit être sort déjà tout fait d'un ventre maternel, avec oreilles, yeux, pieds, jambes, bras, respiration et possibilité du langage inclus, et que ce petit être est unique au monde, doté de tout ce qui lui permettra de devenir ce qu'il sera. Un peu nietzschéen, comme réponse, mais j'ai la sourde sensation, ou certitude, que je n'ai fait que le déterrer, ce roman, et le dépoussiérer, même si cela fut évidemment plus compliqué, mais l'essentiel est là, dans son surgissement quasi autonome ; dans cet émerveillement, cette explosion. Quelque chose de volcanique, assurément.

 

- L’histoire que vous racontez est poignante, mais elle est éclairée par l’écriture. Quels ont été vos parti-pris littéraires et qu’avez-vous privilégié ?

La phrase, le rythme, le chant, la musique. Dans les premières versions, tout était pratiquement écrit en alexandrins, ou alexandrins masqués, trafiqués ; je les ai réécrits pour ne pas sombrer dans un lyrisme ridicule, mais j'en ai volontairement conservé la mécanique, et j'annonce la couleur d'emblée : " Les scansions de l'enclume forgent l'alexandrin, les rythmes des marteaux sont ceux du coeur humain..." : deux alexandrins, avec leur hémistiche, et qui de plus, se permettent de rimer, d'entrée de jeu. Ainsi le lecteur ne sera pas trompé sur la marchandise.

De plus, si parti-pris littéraire il y eut, ce fut celui de l'influence de mon Maître et ami Pierre Michon : on avait désormais le droit, nous autres fils de peu, d'écrire comme ça, comme il nous l'avait montré, appris, dans un lyrisme échevelé, et d'écrire sur la province, en lettres d'or sur fond de boue.

 

- Avant d’être écrivain, on est souvent lecteur. Dans quel univers avez–vous baigné et qui sont vos maîtres en littérature ?

La liste de tous mes Maîtres prendrait deux à trois pages. Je fais partie d'une génération qui se reconnaît des Maîtres, et les vénèrent. De plus, je suis un total autodidacte, il n'y avait aucun livre sous le toit paternel, on peut même aller jusqu'à dire que les livres étaient en quelque sorte proscrits : pas de place pour l'imaginaire, source de rêve, donc de déséquilibre. La seule échappatoire permise était celui de l'opérette. J'ai découvert la lecture spontanément, en solitaire, en rébellion sans doute, et là, sitôt les premières pages (il s'agissait de Mark Twain), ça a pris feu de partout.

En condensant au maximum : Baudelaire, Queneau, La Fontaine, Saint-Simon, Chateaubriand, Péguy, Duras, Hardellet, Delteil, Brautigan, De Richaud, Sévigné, Beckett, Cendrars, Bouvier, Boileau, Mac Cullers, Nietzsche, Woolf, Montaigne, Zweig, Michon ; ainsi que la littérature japonaise et les tragiques grecs ; s'il n'en faut garder disons que trois : Michon, Péguy, Queneau. Et Marguerite Duras. Et Bouvier, comment vivre sans Nicolas Bouvier ?

 

- Vous êtes un jeune sexagénaire. Votre parcours de vie a été très riche : maçon, funambule, scénariste… entre autres métiers. Quelle unité rassemble toutes ces expériences ?

Jeune sexagénaire, ça me convient. Merci.

J'ai fait beaucoup de métiers et activités dits à risques : funambule, cascadeur, cracheur de feu, parachutiste, boxeur ; au fil des ans, je me suis rendu compte que tous ces métiers étaient là pour masquer une hypersensibilité maladive, et que ces métiers de trompe-la-mort, je les pratiquais en guise d'armure, de thérapie ; ça n'a pas fonctionné, évidemment : je pleure toujours pour un rien ; mais maintenant, je les écris, ces larmes. Ou plutôt, je les supporte un peu mieux grâce à l'écriture ; ou, sans pédantisme, les transfigure ; je n'ai pas dit que je les maîtrisais.

Les autres métiers, maçon, chauffeur de bus, prof de cinéma, de théâtre ou de guitare, étaient avant tout alimentaires. Je suis un cheval sauvage, j'ai toujours vécu libre, je n'en ai jamais fait qu'à ma tête, et ça m'a conduit ici ou là, mais toujours librement ; j'ai toujours consenti à mon destin, j'ai toujours su le prix de la liberté, et je n'avais, à dire vrai, depuis quasiment toujours, que l'idée, ou l'envie, d'écrire, comme moteur ; le reste était donc accessoire, sans réel intérêt. Donc pas douloureux. Plutôt amusant, même. Tous ces métiers m'ont amusé.

Enfin, j'ai vécu, pendant une petite quinzaine d'années, ces quinze dernières années, de mon métier de dramaturge pour le théâtre et pour la danse, métier qui m'a conduit aux quatre coins du monde, comme on dit, comme si le monde avait des coins ; mais là, en tant que dramaturge, j'étais dans les livres, dans l'écriture ; j'avais enfin trouvé mon chez moi. C'était la porte ouverte au romanesque : la grande cascade des mots. La belle descente en luge qui conduisait au bas de la piste, aux pieds de notre mère à tous, la sainte littérature.

Le lien entre tous ces différents métiers n'a, je crois, que mon destin, ou ce que l'on nomme tel, comme moteur.

J'ignore encore si tout ce passé me servira pour l'écriture mais je n'y crois pas trop, l'écriture se passe ailleurs, profondément ailleurs. Et je ne vois pas l'intérêt de revivre, par les mots, ce que j'ai déjà vécu, par les chairs.

 

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Commentaires (3)

  • Geneviève Munier le 15/12/2016 à 17h03

    Quand je pense qu'il m'aura fallu plus de deux semaines pour enfin lire cette brillante interview ! J'aime entendre Guy Boley parler d'alexandrins car j'ai lu son roman ainsi. La lecture m'a bercée tellement elle est musicale. Lire ces questions et ces réponses, c'est prolonger le plaisir que fut la lecture de ce roman. Merci Karine, Merci Monsieur Boley. Et merci à Lecteurs.com qui, visiblement, a corrigé le lien sur Nicolas Bouvier.

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  • lecteurs.com le 07/12/2016 à 11h31

    Bonjour Sophie,
    Merci pour votre attention et votre remarque, erreur de lien corrigée !
    Bonne journée.

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  • Sophie Gauthier le 05/12/2016 à 13h41

    Passionnant ! Merci à Guy Boley et à Karine Papillaud !
    Une remarque toutefois : le lien sur Nicolas Bouvier n'est pas le bon. En efffet, Guy Boley évoque l'auteur de "L'usage du monde" mort en 1998 et non son homonyme qui dénonce le harcèlement scolaire.

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