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Il n'y a plus d'art éternel, il n'y a plus de génie solitaire inspiré par les muses et oeuvrant dans son atelier. Nous naviguons tous, du soir au matin, nous sommes des nomades du virtuel. La terre est devenue plate comme un écran d'ordinateur où défilent, en continu, toutes les oeuvres du monde, toutes les marchandises, toutes les publicités. Nous sommes à bout de souffle et le marché est la seule réalité qui compte : il n'y a plus d'au-delà de l'histoire comme il n'y a plus d'au-delà du marché.
Et l'art qui était notre ultime consolation, l'art qui nous faisait rêver et conjurait nos peurs et nos angoisses, a mis en scène ce marché : il en a fait un spectacle universel, et nous sommes devenus des consommateurs de culture et des consommateurs de nous-mêmes.
Dans notre démocratie esthétique, tout homme est artiste car tout homme se vit comme une oeuvre d'art ; tout homme peut proclamer : « Regardez-moi, cela suffit », comme Duchamp aurait pu dire d'un ready-made : « Achetez-moi, cela suffit ».
L'histoire de l'esthétique moderne s'est déroulée en deux siècles à peine. La révolution industrielle, au XIXe siècle inaugurera l'art industriel l'art utilitaire, comme on disait et fit rouler dans la fange l'auréole du poète assassiné ; le XXe siècle a connu les grandes mises en scène des totalitarismes, l'utopie d'un peuple « oeuvre d'art totale », conçue par le guide suprême Hitler ou Staline. Jusqu'à l'avènement de la démocratie esthétique qui concilie le marché et le narcissisme du « dernier homme ».
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