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Mobilisé en 1939, je prêtais un grand intérêt à ce qui se passait autour de moi. Comme rien ne me plaisait plus que d'écrire, je résolus de le faire et, pendant cinq ans tous les soirs, je notai ce que j'avais appris et entendu dire autour de moi. Cela sans faire exception des situations et des personnes, interrogeant et écoutant aussi bien le simple soldat et le paysan que l'homme notoire. Tous les témoignages pouvaient présenter de l'intérêt, sans bien entendu avoir le même poids. Les propos des écrivains surtout m'intéressaient. Ils n'étaient pas concordants ; la plupart, cependant, hostiles à l'occupant, comme étaient les miens. Malgré tout je ne croyais pas à l'efficacité d'une résistance active. Les moyens dont pouvaient disposer les Français me paraissaient dérisoires par rapport à ceux dont disposaient les Allemands. J'admirais l'esprit de sacrifice de ceux qui, au péril de leur vie, faisaient sauter des wagons ou plus simplement distribuaient des tracts, mais il me semble que, même si j'avais eu plus de courage, je n'aurais pas été tenté de les imiter. Je croyais, comme mon homonyme Albert Grenier, que la victoire obtenue par les Allemands avec des machines changerait de camp avec d'autres machines plus puissantes aux mains des Américains. » Jean Grenier eut d'abord l'idée de noter les propos des uns et des autres à l'heure de la Défaite ; au fur et à mesure, les propos recueillis dans des milieux aussi divers que l'université, La NRF et les « intellectuels », l'administration, la presse, se sont étoffés ; ses rencontres avec André Gide, Jean Giono, André Malraux, Jean Cocteau, Jean Paulhan, Pierre Drieu La Rochelle, Gabriel Marcel, André Fraigneau, Albert Camus, Paul Léautaud par exemple, se sont multipliées jusqu'à la Libération, elle-même notée dans l'urgence. Entre les lendemains de la guerre et son voyage en décembre 1945 vers Alexandrie, où il avait été nommé professeur, Jean Grenier a relu les pages de ce « livre impubliable » (Maria Van Rysselberghe), agencé par thèmes et par périodes, en a rédigé l'avertissement, tout ceci en vue d'une publication en volume, à laquelle il a finalement renoncé.
André Gide, mis au courant, en mars 1942, de la diversité des propos recueillis par son ami, confia à la « Petite Dame » : « C'est très précieux que Grenier ait noté ça. »
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