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Venise meurt de la fuite des vrais Vénitiens et de la surchauffe touristique, en expansion inverse. La mémoire exacte de ce qu'elle fut, la préservation de son patrimoine et sa beauté spécifique passent désormais après les impératifs économiques à court terme et le tapage médiatique de ses occupants provisoires ou saisonniers. Fragile, ancestrale, unique par son rapport au paysage, la Sérénissime se dépeuple, en butte à d'innombrables projets qui, sous prétexte de la « tirer de son isolement », assassinent sa diversité et l'écrasent au laminoir mono-culturel d'une « modernité » standardisée, pour la réduire à l'état de marchandise, à des fonctions hôtelières et touristiques.
On sait ce qu'il en est des fondations fragilisées de cette illusoire cité des merveilles et des amoureux, on sait moins ce qu'il en est des autres menaces qui pèsent sur la ville, devenue la coquille vide de tous les excès du divertissement mondialisé. Les villes meurent de trois façons : détruites par un ennemi sans merci, occupées de vive force par un peuple étranger, ou frappées d'amnésie. Venise peut mourir si elle perd la mémoire, si nous ne savons comprendre son esprit et reconstituer son destin. Salvatore Settis rappelle avec force les données du problème : « L'éclipse de la mémoire est notre affaire à tous, elle menace la concorde civile, sape notre futur, étouffe le présent. Si la cité est la forme idéale et typique des communautés humaines, Venise représente aujourd'hui, et pas seulement en Italie, le meilleur symbole de ce condensé de significations, mais aussi de son déclin. Si Venise vient à mourir, ce ne sera ni par la main d'un ennemi sans pitié ni sous les coups d'un conquérant. L'oubli de soi sera seul en cause. » D'autres cités historiques, à travers le monde, vont connaître le sort de l'ancienne Athènes, minées qu'elles sont par la résignation à une fausse modernité, le dépeuplement et « l'oubli de soi ». Il nous faut retrouver l'âme de la cité, et soutenir son droit. Le cas de Venise, emblématique, inspire à Salvator Settis une réflexion de portée universelle : d'Aquila à Chongqing - cette métropole chinoise comptait 600 000 habitants en 1930, ils sont 32 millions aujourd'hui -, des mutations frénétiques imposées par le marché saccagent l'environnement naturel et l'espace social, bafouent le droit à la ville, notre droit de cité, et la démocratie. De cette menace, et de ses possibles remèdes, Venise est le suprême exemple.
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