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PRIX NICOLAS BOUVIER 2020 Quand Kapka Kassabova retourne en Bulgarie, son pays natal, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, c'est à la frontière avec la Turquie et la Grèce qu'elle se rend. Une zone inaccessible lorsqu'elle était enfant et que la guerre froide battait son plein, un carrefour qui grouillait de militaires et d'espions, où il ne faisait pas bon s'aventurer. Au gré de son voyage, Kapka Kassabova découvre les lieux qui furent dominés par des forces successives, de l'Empire ottoman au régime soviétique, et baignés de mythes et légendes. Son livre est peuplé de magnifiques portraits de contrebandiers, chasseurs de trésor, botanistes et gardes-frontières, et aussi de femmes et d'hommes qui ont traversé la Turquie à pied depuis la Syrie ou l'Irak. Lisière est à la fois le récit d'une immersion dans les coulisses de l'Histoire, un regard neuf sur la crise migratoire en Europe et une plongée au coeur de géographies intimes.
Kapka Kassabova a fui son pays natal, la Bulgarie, au moment de la chute du communisme.
Résidant en Écosse, elle décide de retourner sur sa terre natale mais pas seulement.
Son voyage va se faire sur un autre concept que celui du "simple" retour au pays.
Elle va se concentrer sur la notion de frontière. Celle qui sépare la Turquie, la Bulgarie et la Grèce. Une frontière marquée par les conflits, mais aussi par une séparation culturelle, entre Orient et Occident. Une frontière qu'enfant, elle n'avait pas l'autorisation de franchir.
Berceau de légendes, de superstitions, de tragédies et de moments de grâce, ces frontières ont été marquées tant par le commerce que la guerre.
Ce voyage est donc, tout autant un retour aux sources qu'une découverte pour elle.
À la rencontre des habitants et des paysages de ces zones charnières dont l'histoire a toujours été tourmentée.
Nous suivons son périple et les exils des différentes communautés, au gré des conflits ayant opposé ces états voisins. Les douleurs ancestrales des descendants d'exilés.
On souffre, comme elle, de voir que malheureusement, d'autres exilés ont suivi mais aujourd'hui en provenance d'autres pays.
Le cheminement de Kapka Kassabova est à la fois, politique, historique, sociologique, religieux et même mystique.
Les traditions, les vies des gens nous sont présentées avec une grande empathie. Traverser la frontière et examiner le point de vue des uns et des autres, parfois amis mais tout aussi souvent ennemis, donne un récit dénué de manichéisme.
L'on réfléchit avec elle sur l'influence de cette zone sur le destin des gens. Sur l'attachement viscérale à ces terres, à ces paysages splendides, rudes ou lumineux comme les habitants.
Ce récit est dense mais passionnant. Cette approche sur une zone méconnue est instructive sans être rébarbative.
Vous l'aurez compris, ce fut une belle découverte pour moi et j'espère vous avoir donné envie de découvrir ce livre.
Pour ce récit de voyage érudit et passionnant le long de la frontière bulgare longeant la Turquie et la Grèce, l’auteure nous invite auprès d’elle en nous faisant découvrir une des frontières les plus verrouillées d’Europe, dans la région de la Strandja, contrefort de la chaine montagneuse des Balkans bordant les côtes de la mer Noire avec ses 482 phares, où « débute ce qu’on pourrait appeler l’Europe et s’achève sur ce qui n’est pas tout à fait l’Asie » et la riche plaine de Thrace entre Edirne (ville turque) et Svilengrad (ville bulgare) où coule le fleuve Evros marquant la frontière entre la Bulgarie et la Grèce, jalonnés des principaux lieux de passage des migrants vers l’UE.
C’est un travail de recherche historique et d’actualité remarquable dévoilant les mouvements migratoires de l’Antiquité à nos jours.
Faits divers, histoires de familles, légendes, croyances, souvenirs, vie actuelle, racontées par les gens rencontrés sur sa route, l’auteur, de façon fluide et vivante, déploie au fil des étapes, toute la grand Histoire de ce centre névralgique de l’Europe, pétri par les invasions, les déportations, les pogroms, les exodes, les déplacements de population, les guerres civiles et mondiales ainsi que les dictatures successives de l’Empire Ottoman à l’État-nation de 1990 après la chute du mur de Berlin alors que la Grèce faisait partie de l’UE (ex CEE) et la Bulgarie toujours pas, en passant par le nazisme, la guerre froide et son rideau de fer enfermant la Bulgarie dans le Bloc de l’Est des années 50 à 80 sous régime communiste dès la fin des années 60.
La frontière connut espions, mouchards, douaniers et police militaire féroce postés à des miradors (toujours existants) d’où on tirait pour tuer sans impunité et avec les honneurs, des victimes qui n’étaient que des gens qui fuyaient la misère et souhaitaient vivre libres, des Allemands de l’Est aux Musulmans persécutés par des purges à l’intérieur même du pays et même parfois de pauvres campagnards seulement parce qu’ils avaient salué de la main un soi-disant ennemi…
« Dans les années 1980, au vu du faible taux de natalité des Bulgares, qui avaient le moral en berne, et du taux de natalité légèrement plus élevé des Bulgares d’origine turque (moins urbanisés), les 8% avoisinaient plutôt les 10%. Et si, au cours des vingt prochaines années, ils en venaient à nous supplanter en nombre ? s’inquiétait l’État.
Une solution fabriquée de toutes pièces par le Politburo s’imposa : renommer les Turcs, les christianiser et interdire l’accès aux mosquées. (…) ‘Les’ assimiler avant qu’ils ‘nous’ assimilent. D’ailleurs, ne nous avaient-ils pas déjà islamisés jadis ? En 1986, une campagne de changement d’état civil débuta. (…) le procédé consistant à remplacer de force les patronymes turcs et arabes par des prénoms et des noms de famille slaves ; et ce même pour les défunts, à profaner des tombes musulmanes, les passages à tabac, les viols perpétrés par des organes de la sécurité d’État, tout cela fut baptisé ‘processus de renaissance’. Un clin d’œil cynique au mouvement instigué au XIXème siècle en vue de libérer la Bulgarie des Ottomans.»
Hmm… Bonjour Orwell !
Les descriptions paysagères sont à couper le souffle car la géographie bulgare reste une des natures les plus belles d’Europe, fourmillant de sources, cours d'eau, cascades, grottes, tunnels, plaines et forêts regorgeant d’animaux sauvages, insectes et oiseaux.
Si les cultures de la rose ont été réduites dû au mouvement de population et pertes des fermes, d’autres telles les champs de tabac ont pris le relais.
Ce sont 600 pages que j’ai tournées doucement au rythme des pas de l’auteure, de ce qu’elle voyait, de ce qu’elle entendait mais aussi au rythme de son cœur qui bat pour ce pays qu’elle redécouvre avec beaucoup d’émotion puisqu’à 17 ans, elle et ses parents ont eu l’extrême chance de pouvoir, en 1990, quitter la Bulgarie où elle est née, à une époque de repli en État Nation où la chasse aux intellectuels, aux étrangers, aux musulmans (Arabes, Turcs et Kurdes), aux journalistes étaient de nouveau ouverte.
L’auteur m’a fait comprendre toute l’amertume que j’ai ressentie sans la décanter alors, dans une atmosphère assez lourde et prégnante d’une invisible inquiétude, il y a environ six ans de cela, lors d’un séjour sur la Riviera Rouge aux alentours de Burgas, destination touristique bruyante et mafieuse, où j’avais passé des vacances sans le savoir sur les lieux de crimes effroyables et imbéciles où il y eut tant d’êtres torturés et mis à mort…
J’y ai reconnu la nature des forêts de chênes qu’elle décrit si bien, les myriades d’insectes et les serpents assez nombreux, les maisons aux constructions abandonnées, les carcasses de véhicules russes rouillés un peu partout et même sur les plages de cette mer Noire inhospitalière mais aussi la chaleur de quelques personnes qui m’ont raconté ce qui se passait en Bulgarie et cela dans des lieux où la musique était forte de façon à échapper aux nombreux micros placés ci et là dans la résidence hôtelière ce qui me fit comprendre l’attitude rigide et taiseuse des employés qui y officiaient.
Sur leur conseil, je me méfiais de la route passante jalonnée de photos de personnes décédées dans des accidents, qu’il fallait traverser pour aller se baigner car de nombreux enlèvements de touristes féminines y avaient lieu… J’évitais les discothèques toutes dédiées au tourisme sexuel et ne me déplaçais le soir, qu’avec d’autres touristes. J’avoue que j’avais coché « Bulgarie » sur mon Atlas sans aucune envie d’y retourner…
Mais j’ai bien entendu et compris l’amour des Bulgares pour leur pays malgré les cadenas et muselières d’un régime totalitaire sous la coupe d’une mafia sordide et assassine, cette même tendresse qui enserre chaque ligne de ce livre brillant et passionnant.
Suite à la lecture de ce livre, j’ai lu sur Internet que le 26 août 2021, la Bulgarie face à la pression migratoire, renforce militairement ses frontières avec la Grèce et la Turquie, après observation de la recrudescence des arrestations de clandestins afghans. Déjà entre 2013 et 2018, une clôture de barbelés longue de 250 kilomètres avait été érigée sur sa frontière turque. Tabassage, viols et vols avaient repris force et vigueur ainsi que trafics en tous genres portant principalement sur les commerces de mineurs et de prostitution. Porte sur l’UE, le gouvernement bulgare défend une politique « zéro migration » main dans la main avec Erdogan.
Ce livre est dédié à « celles et ceux qui n’ont pas réussi à passer de l’autre côté, jadis et maintenant. »
C’est un récit érudit, haut en couleurs et d’une richesse phénoménale écrit librement à la lisière de l’intelligence et du cœur.
Une terre où tout commence par une source.
Nous voilà donc aux croisements de la Bulgarie, de la Grèce et de la Turquie, là où prend fin l’Europe, où commence l’Asie, lieux témoins de civilisations bien disparues, les Thraces, qui continuent de marquer de leur empreinte le monde actuel. Ce n’est pas pour rien que les montagnes et collines bulgares sont gorgées de chercheurs de trésor. Le livre est divisé en quatre grandes parties, qui reflètent l’itinéraire de son voyage. Chaque chapitre est précédé d’une page qui se réfère à un élément typique de la région qu’elle visite, on y retrouve par exemple la voie romaine via pontica, le klyon (« Sobriquet donné par les soldats patrouillant la frontière bulgare au mur de barbelés électrifiés qui parcourait la forêt »), la fleur rosa domescana ou encore Conte des deux royaumes. Élément, qu’elle prendra soin d’expliquer dans le chapitre suivant, qui s’épanche véritablement sur le voyage de l’auteure bulgare. Le tout est précédé d’une carte de la région et d’une préface dont elle est l’auteure.
Kapka Kassabova n’a pas choisi Sofia, où elle a grandi, pour ancrer son récit mais une région plus méridionale, plus énigmatique et obscure, plus opaque, des zones dont l’accès était impossible alors qu’elle résidait encore en Bulgarie. Mais ce n’est pas une simple histoire de retrouvailles, de son enfance ou de son pays natal. Il est davantage question pour Kapka Kassabova de pouvoir, enfin, découvrir ces régions et ces frontières, inaccessibles auparavant, qui ont été témoins des flux incessants de population et ces individus, fruits d’une mixité culturelle unique, afin d’essayer de capter la nature de ces régions poreuses. Ce ne sont pas seulement des lieux et des villages qu’elle explore, ce sont aussi des personnes, des familles, des villages, des histoires, tous oubliés, qu’elle perçoit et relate. Ces endroits où terre et cieux se rejoignent, berceaux mythiques de civilisations disparues, de cultes anciens, lieux ou les frères ennemis se touchent, séparés par des fils barbelés disgracieux et acrimonieux qui portent encore la trace de la blessure de ceux qui ont voulu les franchir.
C’est un récit fort, en découvertes, en émotions, en culture aussi, qui a mon sens a réussi à capter la richesse de ces populations et de ces humains, de cette culture mixte et complexe, composite et panachée, entre bulgares, turcs et grecs, entre culte païen, orthodoxe, et islam, entre thraces et pomaks, qui ont donné aux lieux leur identité. Et plus son récit avance, plus Kapka Kassabova se perd dans le mystère qui entoure ces frontières et ces montagnes, le premier chapitre traite de la Riviera rouge ou se regroupent touristes de tous poils alors qu’elle achève son périple par des endroits absolument confidentiels. La vérité n’est pas une, elle est disparate et se trouve dans les histoires toutes personnelles de ces chacuns, que l’auteure recueille précieusement, à l’écoute des êtres dont elle croise le chemin et qui se confient volontiers, comme s’ils ne pouvaient se confier totalement et sincèrement qu’à elle, uniquement.
L'auteure réussit à reconstituer les lieux qu’elle traverse dans leur dimension atemporelle, à la fois, dans leur présent qu’elle ne fait que traverser le temps de quelques jours, mais aussi dans leur passé, à travers les anciennes peuplades Thraces, les pomaks, ces slaves musulmans, qui ont été ballotés d’un pays à l’autre ou autres flux de population à la convenance des politiques nationalistes de tout bord. J’ai été surprise, ravie et transportée par la richesse de ces cultures que je ne connaissais absolument pas, de ces individus esseulés, de son écriture qui réussit à donner une dimension romanesque à cette épopée solitaire.
Quand je parle d’épopée, le mot ne me semble pas trop fort. Traversant monts et montagnes, vallées, plaines, routes turques, grecques, bulgares, elle fait la rencontre de lieux qui n’ont plus d’âge, ce qu’elle appelle Le Village-dans-la-Vallée (elle précise avoir modifié certains noms propres afin de préserver la sérénité des habitants) apparaît comme un lieu irréel ou les figures mythologiques apparaissent à travers fables et légendes, croyances et superstitions. Après tout, nous ne sommes pas loin de la Grèce, et peut-être de sa mythologie ancrée à la terre, aux éléments. J’ai été frappée par nombre des cultes païens qui sont encore pratiqués dans ces lieux retirés, comme si le temps, et ses afflictions, n’avait eu aucune emprise sur eux.
C'est un récit, dense, qui mêle histoire, le communisme et ses méfaits tiennent une bonne place, ethnologie, témoignage personnels, qui nous amène à comprendre à quel point le régime imposé par les Soviétiques a ébranlé ces populations dans leur vie quotidienne, la Bulgarie profondément agraire a subi une industrialisation massive et agressive, à une collectivisation imposée, d’où malgré tout les populations ont réussi à garder, on le constate avec bonheur, leur identité profonde.
lElle réussit à insuffler à son récit la dose de mystère pour que l’on ne puisse s’en lasser, je pense notamment à l’évocation de ces de touristes mystérieusement portés disparus, et évidemment jamais retrouvés, entre 1961 et 1989. Où le pouvoir spécial qui l’englobe, dans les montagnes, de ces forces obscures et mystiques, qui ont agit sur elle le temps d’une visite, qui s’écourte brutalement. C’est dans un ou plutôt des mondes à part, avec leur propre réalité, que Kapka Kassabova nous fait pénétrer, où les lois physiques prosaïques et cartésiennes sont abolies par la puissance des croyances, qui se transmettent de génération en génération. Et l’auteure s’adapte et s’intègre aux autochtones pour mieux comprendre leurs us, celles qui régissent leur vie, celles de la nature, de la forêt, de la montagne, ces territoires vierges, jamais explorés par l’homme, témoins d’une innocence originelle, dieux intouchables.
Mais ces lieux ne seraient pas ce qu’ils sont s’ils ne refermaient pas l’histoire mouvementé des peuples qui les ont occupés mais aussi parcourus et traversés, sillonnés de part et d’autres. Ces lisières faites de no man’s land sont des endroits stratégiques, où se croisent les populations. Et les inimitiés sont tenaces, les mêmes qui sont rejetés ici, le sont également là-bas: gitans, rom, peu importe le nom qu’on lui donne. L’auteure dépeint ce visage inédit de cette Bulgarie, lieu mystérieux, moins touristique et connu que ses voisins turcs et grecs, mais tout aussi riche culturellement et ethnologiquement, place centrale, lieu de transition, de transit est/ouest, terre d’exiles, terre d’échanges. Et la richesse de ce livre c’est aussi les voix de ces personnes qui sont issues de ce mélange des frontières, à la fois bulgares mais aussi turques, grecs et turcs, ce mélange inimitable de langues, de cultes. De leurs ressemblances, leurs dissemblances, des rejets, des purges – la purge ethnique des turcs ou des kurdes. C’est autant de guides qui l’emmènent dans les recoins de ces lisières, en Bulgarie, en Grèce et en Turquie, autant d’histoires différentes, autant de drames personnels, de cultures différentes, de mélanges ethniques différents, de découvertes de l’histoire de ces lisières sous un prisme nouveau, de l’impossibilité de définir l’endroit, et de ses habitants.
Et puis de façon redondante surgissent ici et là les réfugiés syriens tels des spectres, réfugiés malheureux et désespérés qui transitent par la Turquie et la Bulgarie pour rejoindre l’Union Européenne. Les flux de refugiés anciens et actuels, kurdes et syriens, des fuites, des venues, des rencontres des religions, inextinguibles reflètent la malédiction qui touche ces frontières, condamnées à voir, impuissantes, les gens fuir leur nation d’origine.
Je n’aurais pas assez de bons mots, je crois, pour vous parler du récit de voyage de Kapka Kassabova à la lisière du présent et du passé, d’ici et d’ailleurs. Outre les qualités littéraires indéniables de l’auteure, elle a parfaitement su déchiffrer les couleurs de ces mondes, les enjeux politiques, religieux, ethniques qui entourent ses populations. Tant de découvertes, tant de choses à dire sur ce livre, tant de rencontres touchantes d’hommes, de femmes, broyés par le système soviétique, par les engeances nationalistes de part et d’autres, aux lisières d’un monde passé et présent. Un livre, à mon sens, indispensable pour essayer de comprendre la Bulgarie et ses voisines Grecque et Turque.
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