"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Marchand de corail prospère dans la petite ville de Progrody, Nissen Piczenik n a jamais vu l océan d où viennent les coraux qui le fascinent tant. La visite d un jeune marin en permission va mettre au jour sa secrète passion pour tout ce qui se rapporte à la mer. Il délaisse pour la première fois son épouse, sa boutique et part à Odessa contempler les bateaux en partance. Personnage caractérsitique de l univers de Joseph Roth, Nissen Piczenik sera vicitme de l irrésistible appel d un ailleurs originel... Ecrit durant les années d exil, publié pour la première fois à Paris en 1936, Léviathan est, avec La Légende du saint buveur, un des textes courts les plus marquants de l uvre de Roth.
L’écriture simple et remarquable de Joseph Roth nous livre un court conte faustien chargé de symbolisme.
Ce livre fit et continue à faire couler beaucoup d’encre car ce texte, un des plus marquant de son œuvre, cache derrière les mots une autre histoire loin d’être aussi naïve qu’il n’y paraît.
Nissen Piczenik est un brave et estimé vendeur de corail dans une petite communauté juive. Les paysans l’apprécient bien que : « ils avaient toujours à l’esprit qu’il était juif » …
Il reçoit sa marchandise emballée mais nourrit le rêve de connaitre le grand océan d’où viennent ces pierres qui le fascinent absolument et qu’il dit vivantes. (C’était visionnaire de la part de Roth à l’époque car en 1936 le corail n’était connu que comme étant caillou).
L’homme possède une fortune bourgeoise et a une vie confortable mais ne sait ni lire ni écrire. Il assaillira de questions le fils d’un de ses voisins, soldat dans la marine russe venu en permission au village. Il veut savoir ce qu’est un océan.
Dans le même temps, un concurrent s’installe dans le bourg voisin et lui siphonne toute sa clientèle car les paysannes trouvent ses nouveaux coraux très rouges, très beaux et surtout quatre fois moins chers. Sauf que le vendeur, sans leur dire, vend des imitations en celluloïd.
Pour faire face financièrement, Piczenik mélangera les faux aux vrais et cela le conduira à sa perte car jusqu’ici, ses coraux apportaient chance et guérison or, ses nouveaux faux coraux rouges n’eurent pas les bienfaits habituels escomptés et pire, furent porteur de mort.
Ruiné, Piczenik qui aura vendu son âme au diable, quitta le village et pauvre comme Job, partit pour Odessa où le Léviathan l’attend dans la profondeur d’abimes obscurs, à l’intérieur de lui-même dans les tréfonds de sa conscience.
Le déclin et l’égarement de l’être humain sont des thèmes forts dans les écrits de Roth.
Ce texte, à double (voire triple et plus) lecture fait couler beaucoup d’encre…
Connaissant la vie de Joseph Roth, on comprendra explicitement, derrière les lignes, le non-dit de l’homme juif face à la traque nazi, habité par des plans de fuite et l’appel d’un ailleurs, lourd de la mélancolie du migrant et de la souffrance de l’exil mais on entendra aussi une mise en garde lancée aux communautés juives de Pologne entre autre.
Avec ses amis dont S. Zweig, les écrivains juifs autrichiens fuyaient déjà les pogroms et étaient venus prévenir les intellectuels belges et français sans être entendus. (Lire : Ostende 1936 - Un été avec Stefan Zweig de Volker Weidermann)
Visionnaire, il situe son roman en Volhynie, une région de tous temps très convoitée. En 1936, elle est rattachée à la Pologne et c’est un des endroits de l’Europe centrale regroupant une des plus importantes communautés de juifs ashkénazes.
Dans le texte, on reconnait la partie nord bordée de forêts et de marécages avec une absence de relief. Nissen Piczenik va se ressourcer près du marais à l’odeur infecte auprès duquel il devinait le « parfum puissamment âcre de la grande mer »… Et de retour chez lui, il a ce rêve de submersion de son village ou encore cet effroi qui ne se développait que sous la surface de la conscience…
Le texte est édité à Paris en 1936.
La Volhynie devient une subdivision de l’Ukraine en 1939. En 1941, 350.000 juifs y seront exterminés par les nazis. (Opération Barbarossa).
Joseph Roth, déjà en fuite et en exil à Paris, se doutait du drame qui se produisit et sous les lignes de ce petit conte, on entend toute la douleur de la blessure de l’errance. Il y injectera la force de la nature humaine qui finira par perdre sa tranquillité.
Il y introduira force symbolisme et ce, à commencer par le titre « Der Leviathan ». La traduction française procède à l’ellipse de l’article et titre « Leviathan ».
Extrait Wikipedia :
Le Léviathan (de l'hébreu : לִוְיָתָן, liviyatan) est, dans la Bible, un monstre marin qui apparaît dans les Psaumes, le livre d'Isaïe, et le livre de Job. Le Talmud y fait aussi référence, évoquant des animaux révoltés contre le Créateur et que celui-ci détruit.
C'est un mythe très connu des sources pré-bibliques ayant trait au combat primordial entre le Créateur et les forces marines personnifiant le Chaos, qu'on retrouve chez les Hittites (le dragon Illouyankas), en Mésopotamie (bataille de Mardouk et Tiamat) et dans le mythe phénicien-ougarit de Baal et Anat, dressés contre divers monstres marins (dont l'un est Lotan).
Le philosophe Alain, dans deux brefs essais datés de 1928 et 1932, lors de la montée des fascismes, nomme Léviathan plutôt l’État et ses mass-médias et les foules qui adhèrent aveuglément au monstre : « ceux qui le composent... reçoivent avec enthousiasme les signes de ce grand corps, et s'accordent à ses mouvements... L'assemblée des hommes fait reculer l’humanité. La guerre en est une preuve assez forte.»
Dans le roman « La vie de Faust », ses exploits et comment il fut précipité en Enfer (1791) de Friedrich Maximilian Klinger, le démon qui accompagne Faust n'est pas le traditionnel Méphistophélès, mais Léviathan.
Joseph Roth marie son Nissen Piczenik à une femme qui l’indiffère, qu’il finit par haïr et dont la mort ne l’atteint pas.
On entend là sa propre expérience avec ses quatre relations amoureuses malheureuses sinon désastreuses dont surtout celle avec son épouse hystérique qui sera internée pour schizophrénie. Dès lors il dira qu’elle est morte. Transférée d’asile en asile, c’est en été 1935 qu’elle sera envoyée dans la clinique du Land Mostviertel Amstetten-Mauer. Les parents de Friedl Reichler émigrent en 1935 en Palestine et Roth demande la séparation. En 1940, Friedl Roth est expédiée en direction de Linz, et sera une des victimes du programme d’euthanasie des Nazis (action T4).
En 1936, il habite à Paris avec sa 4ème compagne, la femme de lettres en exil, Irmgard Keun rencontrée à Ostende. Ils boivent beaucoup. Les crises de jalousie de Roth sont insupportables. Elle le quittera en 1938.
Non seulement j’aime beaucoup lire Joseph Roth mais je me suis beaucoup intéressé à sa vie.
Il a habité dix ans à Paris, dans une chambre au 33 rue de Tournon mais l’hôtel Foyot est détruit en 1937 pour insalubrité. L’écrivain est à nouveau chassé de chez lui… Il prendra demeure à quelques pas de son ancien logement, au N° 18, à l’hôtel de la Poste.
Lorsque je passe dans le quartier, je ne peux jamais me résoudre à ne pas m’asseoir quelques minutes au café Tournon qu’il fréquentait assidument au bas de l’immeuble où il a habité de 1937 à 1939.
Il s’est écroulé devant la terrasse de ce café avant de trouver la mort à l’hôpital Necker.
Je suis aussi allée au cimetière de Thiais où il est enterré, verser symboliquement un peu d’encre au pied de sa tombe.
Joseph Roth était un écrivain de génie.
« La Marche de Radetzky » est une de ses œuvres majeure et incontournable
Et, ce « Léviathan » une pépite d’érudition artistiquement et humainement si subtile…
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