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« Il y a les adieux, et puis on repêche les corps - entre les deux, tout est spéculation. » Sur le sable d'une plage hongkongaise, une main soulève des draps. La jeune Anh, 16 ans, reconnaît ses parents et quatre de ses frères et soeurs, noyés. Anh et ses deux frères, Thanh et Minh, sont désormais seuls au monde. Il y a quelques mois à peine, ils étaient encore une famille. Une famille obligée de fuir le Vietnam après le départ des dernières troupes américaines. Alors que les fantômes des absents et la culpabilité leur collent à la peau, qu'ils dérivent de camps de réfugiés en centres de réinstallation, les trois orphelins finissent par poser leurs valises à Londres, dans la Grande-Bretagne de Thatcher. Une nouvelle vie commence.
Un premier roman éblouissant qui explore les blessures générationnelles et le pouvoir guérisseur des mots.
Traduit de l'anglais par Carine Chichereau
Novembre 1978 Vung Tham, Vietnam : c’est la dernière soirée, le dernier repas en famille d’Anh. Saïgon est tombée, depuis trois environ et les dernières troupes américaines se sont retirées pour laisser place au nouveau régime.
Le père, professeur d’anglais, a décidé qu’il était temps pour la famille de quitter le Vietnam, où l’emprise communiste s’installe traquant toutes les personnes suspectées d’entente avec l’ennemi, les USA. Il compte rejoindre avec les siens et leurs économies son frère qui vit en « Amérique où la vie semble merveilleuse ». Il envoie d’abord Anh, son aînée et les garçons, Thanh et Minh et compte les rejoindre ensuite.
Après un voyage difficile, où la frêle embarcation menace à tout moment de chavirer, dans la mer de Chine, ils arrivent épuisés, leurs habits en loques à Hong Kong où ils sont examinés par des médecins qui ne parlent pas leur langue et se retrouvent dans des « bungalows » entassés dans des conditions d’hygiène précaires. Mais d’autres ont eu moins de chances, des malfrats de l’île de Ko Kra ayant tué les hommes et voué les femmes à la prostitution…
Là ils sauront si on leur permet de partir vers l’Occident ou si on risque de les renvoyer au Vietnam. Quelques mois plus tard, le reste de la famille est retrouvée morte, noyée pendant la tempête qui a fait chavirer le bateau : le père la mère, les frères et sœurs parmi lesquels Dao dont le fantôme va veiller sur les aînés et c’est Anh qui doit reconnaître les corps.
Anh sent la colère montée contre l’idée de son père d’avoir décidé cet exil sans l’avoir assez préparé, et surtout contre son oncle d’Amérique qu’elle juge responsable de cette folie et lorsqu’on lui demande si elle et ses frères doivent rejoindre de la famille quelque part, elle répond qu’ils sont tout seuls. Alors ce sera la Grande Bretagne.
Anh se trouve propulsée brutalement dans le monde des adultes et devra prendre soin de ses frères et tenter de construire une nouvelle vie, rencontrant au passage des personnes, des associations qui vont les aider, mais aussi d’autres exilés. Sopley Hampshire. On imagine la frilosité de Mme Thatcher pour recevoir ces migrants issus des boat people sur l’insistance du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés.
L’histoire se déroule sur plusieurs périodes, entre 1967, 1978, jusqu’à nos jours. On suit le périple de la famille, en ajoutant des descriptions de scènes pendant la guerre, notamment l’opération « Âmes errantes » en 1967, basée sur les rituels : la nécessité d’enterrer les morts dignement sinon, ils deviennent des fantômes, des âmes errantes.
De temps en temps, le récit est interrompu par une réflexion, on devine que quelqu’un essaie de raconter l’histoire de ces réfugiés ou de cette famille, car cette personne évoque les clichés pris à l’époque des boat people, des exactions au Vietnam, ou encore la notion de stress post traumatique, la capacité à faire le deuil mais l’auteure fait durer le suspense. Or, Anh en a dit le minimum sur son odyssée, préférant l’action et l’oubli mais l’oubli est-il vraiment possible et on sait bien que les souvenirs referont surface un jour ou l’autre…
J’ai beaucoup aimé suivre le parcours d’Anh, la manière dont elle tente de protéger ses frères, de les stimuler pour qu’ils fassent des études, qu’elle n’aura pas pu faire, il faut travailler pour nourrir les garçons qui se rebellent parfois « tu n’es pas ma mère » … Sa capacité de résilience force l’admiration, sa manière de prendre la vie à bras le corps malgré l’accueil mitigé réservé aux « Chinois » ! les réflexions racistes parfois, la culpabilité d’avoir survécu et malgré tout l’envie de se construire une nouvelle vie de femme, fonder une famille…
Ce récit m’a beaucoup touchée, je connaissais bien l’histoire des boat people qui faisaient la une des journaux et des JT à l’époque, images qui nous laissaient impuissants parfois même voyeurs et commençaient à nous faire prendre en grippe celle qui deviendra plus tard premier ministre.
Cécile Pin a très bien su, par la méthode narrative qu’elle utilise, nous raconter l’histoire de cette famille, (il s’agit, je pense de l’histoire de sa propre mère, étant donnée la précision des évènements, les détails) en se livrant en parallèle à une réflexion historique et philosophique sur l’époque et cela dans le contexte migratoire actuel qui génère tant de propos haineux au nom du populisme…
Parmi les évènements qui m’ont marqué : le rituel funéraire, avec la nourriture posée sur l’autel destinée aux défunts, sous la fumée de l’encens… ou encore la scène où le chauffeur de car trouve des cadavres de migrants dans son camion …
Ce premier roman est passionnant et très prometteur. Il laissera une empreinte particulière dans ma mémoire, c’est certain.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m’ont permis de découvrir ce livre et la plume de son auteure.
#Lesâmeserrantes #NetGalleyFrance !
https://leslivresdeve.wordpress.com/2024/01/21/les-ames-errantes-de-cecile-pin/
Un beau titre et une couverture bleue, si belle, pour un sujet diffcile, celui de l'exil.
L'histoire d'un exil, celui de trois enfants vietnamiens, qui ont pris un bateau, ont été dans des camps de réfugiés, ont attendu le reste de la famille, pour apprendre qu'ils ne les retrouveront pas car eux ont péri (d'où les âmes errantes du titre), puis leur voyage*installation en Angleterre, encore la vie dans un camps de transit puis leurs installations à Londres.
L'auteure nous raconte avec précision, émotion, poésie, le parcours de vie des ces enfants, devenus adultes en Angleterre.
L'exil est souvent des moments difficiles, des choix de vie, des espoirs, des déceptions, des silences, des dénis.
J'ai été, à certaines pages, très émue par ces histoires. Mais l'auteure n'est jamais larmoyante, elle nous parle avec beaucoup de sensibilité de cette vie d'errance, de souvenirs, d'espoirs...
J'ai aimé sa façon de varier les genres :
description "brute" du voyage, de la vie dans les camps de transit, de l'installation et de l'assimilation en Angleterre,
description poétique quand ce sont les âmes errantes qui nous interpellent, observent ceux que sont devenus les siens
description plus intime dans la description de cette sœur aînée, qui doit porter ses deux frères qui ont grandi trop vite.
De belles pages aussi sur le retour avec la troisième génération au Vietnam, la recherche de ses racines, d'où vient t on ? que sont devenus ceux qui sont restés ? D'où sommes nous ?
Un texte sensible poétique et qui nous parle très bien de l'exil, de l'intégration dans un autre pays, dans une autre culture. Le sujet de l'immigration et de l'exil devient un sujet délicat en ce moment mais il ne faut pas oublier les être humains, derrière des chiffres statistiques glaçants.
#Lesâmeserrantes #NetGalleyFrance
Un véritable coup de coeur qui relate l'émouvante saga familiale de boat people vietnamien.
Anh obéït à ses parents et fuit le Vietnam ,accompagnée de ses 2 petits frères, ainés de la nombreuse fratrie. Ses parents et le reste de ses frères et soeurs doivent partir aussi, et les rejoindre 15 jours après. C'est le plan de son père, après la chute de Saïgon. Le but ultime est d'immigrer aux Etats-Unis, où leur oncle a installé sa famille.
Rien de ce plan n'aboutira...Anh va plonger rapidement dans le monde adulte et deviendra l'ainée de la famille, le père et la mère de ces 2 jeunes frères. Elle prendra son rôle à coeur. Ce trio va être balloté de mers en hangars, leur voyage va être organisé par les bénévoles des associations pour aider les réfugiés. C'est sans pathos que la fratrie va affronter les obstacles, les attentes, le chaos...et se construire hors de leur pays, de leur langue, de leur famille...Et ce n'est pas aux Etats-Unis que la fratrie va atterrir mais aux Royaume-Unis.
Des articles de presse insérés entre ces épreuves de vie nous offrent un regard sur les évènements de l'époque, nous permettent de comprendre les faits, d'apprendre que partout en tous temps, l'homme est un loup pour l'homme. Tout cela n'est pas sans rappeler l'histoire actuelle. D'autres insertions plus fantaisistes : celle de Dao, le petit frère décédé d'Anh, sous forme de fantômes nous ouvrent une autre perspective sur la vie de ces jeunes migrants/immigrants, nous montrent une nouvelle vie loin de leurs rêves mais vivants.
La vie à Londres même si elle est la fin du parcours, continue d'être un combat : l'intégration reste difficile et le racisme existe toujours même lorsqu'Anh, 30 ans après son arrivée dans le pays, a une vie et une famille. Longtemps Anh éprouvera des difficultés à trouver sa place, à se sentir chez elle.
Le récit est celui de la construction d'une vie, d'une vie qui a pris une orientation différente de celle prévue. C'est le récit finalement positif d'une histoire personnelle dans la grande Histoire des boat people. C'est l'histoire d'une famille séparée, disséminée, c'est aussi le respect de la famille et des anciens. C'est l'histoire émouvante d'une intégration subie mais réussie !
Les âmes errantes est un titre énigmatique mais ici polysémique :
issu d'une croyance des vietnamiens qui pensent que leur défunts doivent être enterrés sur leur terre à moins d'errer pour l'éternité.
Dans le roman, c'est l'intervention mystique et religieuse du petit frère Dao emporté dans leur fuite du pays et c'est la référence diabolique d'un subterfuge militaire pour effrayer les "vietcong"...
Respect et spiritualité, horreur et sans pitié. #Lesâmeserrantes #NetGalleyFrance !
Des embarcations de fortune aux premiers pas sur une terre étrangère, en passant par les camps de transit, le voyage est une lutte perpétuelle pour la survie et une blessure indélébile qui donnera une teinte grise à l’avenir, même porté par les promesses faites aux disparus.
La guerre du Vietnam a initié ces traversées de tous les dangers, obtenues pour des sommes considérables, pour fuir une mort certaine dans le pays d’origine. Après une première étape à Hong-Kong et déjà la découverte du pire, Anh et ses deux jeunes frères vivent l’exil et ses déconvenues. L’Amérique tant convoitée restera un rêve finalement rejeté, et c’est en Angleterre que la vie suivra son cours.
A la manière de cette photo d’une petit garçon échoué sur une plage de Méditerranée, les mots qui construisent le récit créent une proximité avec les victimes de ces drames, que malheureusement leur fréquence et leur évocation entre d’autres faits divers ont banalisé. A travers le destin tragique de la famille d’Anh, c’est à chacun des émigrants que l’on rend hommage.
« Savoir permet de se souvenir, et se souvenir c’est rendre hommage, je veux que tous les morts soient honorés . Je veux des monuments, des statues, des poèmes en leur mémoire. Je veux des podcasts, des séries documentaires en dix épisodes, je veux notre Apocalypse Now à nous. »
Entre les chapitres de l’histoire familiale, la parole superbement est donnée aux âmes errantes, perdues sur le chemin, et à qui ce récit rend hommage.
Pour inscrire le roman dans le contexte, l’autrice intercale également des extraits de reportages ou des documents officiels qui attestent de la réalité de ce que l’on lit.
Triste et nécessaire, à la fois pour se souvenir d’un passé pas si lointain mais ne pas oublier que le sujet est encore et toujours d’actualité.
Merci à Netgalley et aux éditions Stock.
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