"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Alors que la menace de Tchernobyl plane sur l'Europe, la vie londonienne de l'aspirant poète Roland Baines se fissure soudainement. Peu après la naissance de leur fils, son épouse l'abandonne pour se consacrer à l'écriture de son roman, plutôt qu'à son rôle de mère. Commence alors pour Roland une trépidante exploration de son passé afin de remonter aux prémices d'un tel échec. Par bribes se dévoilent ses premières années vécues en Libye auprès d'un père tyrannique. Puis son arrivée forcée en Angleterre en 1962 où il rejoint un pensionnat austère à l'âge de douze ans. Là débutent de curieuses leçons de piano, avec sa très sévère et follement lubrique professeure, Miriam Cornell. Roland prend ensuite le large vers l'Allemagne, puis il tombe amoureux d'Alissa qui partage son goût pour la littérature. Les années passent, le monde dysfonctionne toujours davantage, et Roland ne parvient jamais à reprendre sa vie en main ni à en tirer de leçons. Et si retrouver son ancienne professeure de piano pouvait le libérer ? Roman ambitieux au souffle impressionnant, Leçons raconte la grande épopée d'une vie faite de rêves abîmés. L'intime se mêle ici magistralement à la grande Histoire, dépeinte brillamment par Ian McEwan qui nous offre un antihéros au charme irrésistible et une réflexion passionnante sur la vocation artistique.
Quand le désir emporte tout pour les uns alors qu’il reste sous contrôle pour les autres.
Roland Baines est l’incarnation profonde de l’homme aux rêves abîmés. Oui mais il va se démener comme un diable pour remonter à la source de son rêve, ou plus précisément à celui du « désir » au sens freudien du terme.
Etant arrivé à un point de saturation, pour lui en tout cas, il décide de remonter dans le temps jusqu’à ces fameuses leçons de piano. C’est en suivant des cours auprès d’une lubrique professeure de piano que tout a pris sens. Le piano se révéla être sa raison de vivre, celle de son existence, celle de sa vie propre.
Comment en est-il arrivé à refaire son chemin de vie en sens inverse ? Par le départ soudain de son épouse, un abandon inexpliqué alors qu’elle venait juste de donner naissance à leur fils Lawrence. Celle-ci a préféré écrire son roman plutôt que de se consacrer à son rôle de maman.
Nous sommes à un tournant de l’histoire, la veille de la catastrophe de Tchernobyl. La grande Histoire comme l’annonce l’éditeur, se mêle subtilement à celle de cet homme qui ne comprend plus pourquoi, malgré l’avancée en âge, il n’arrive toujours pas à rebondir lorsqu’un échec le touche. Pour y voir plus clair il décide de remonter le temps et c’est ainsi qu’il se retrouve projeté en arrière, jusqu’à ses douze ans.
En tirant sur le fil de la pelote, à savoir ce retour en arrière au temps des leçons de piano prises auprès de Miriam Cornell, puis l’émergence de son amour pour Alissa, sa femme, celle qui lui a fait aimer la littérature, il va pouvoir progresser. Progresser jusque’à retrouver le moment où il s’est trompé, où il a fait un choix différent de ce que son âme avait découvert, de ce que son coeur avait eu l’immense chance de vivre, la passion.
Les renonciations conscientes de Roland concernant sa séductrice sont longuement étayées par l’auteur. Il fait bien la différence entre les êtres qui sont conscients de leurs décisions et ceux qui enterrent le « moche » jusque’à ce qu’il leur éclate à la figure et qu’ils n’arrivent plus à s’en dépêtrer.
Volontairement je n’en dirai pas davantage, afin de ne pas dévoiler la leçon de vie que Ian McEvan nous donne. Je crois pouvoir dire que nous sommes nombreux et nombreuses à avoir dirigé nos vies comme Roland et pas comme Alissa. Sans amertume nous mettons nos vies sur des rails, piétinant nos désirs profonds au profit de la paix des familles.
Pas plus d’étoiles car trop de longueurs pour moi, trop de lenteur, et ceci même si l’écriture est intéressante. Le sujet était certes fort mais l’auteur s’est éternisé à tourner et retourner vers le passé. La psychanalyse était lente à l’accouchement dirais-je.
Citations :
« Or il y avait cette essence que chacun oublie quand un amour s'éloigne dans le passé - comment c'était, quel effet cela faisait et quel goût cela avait d'être ensemble seconde après seconde, heure après heure, jour après jour, avant que tout ce qui allait de soi n'ait été rejeté, puis recouvert par la réécriture du dénouement, et ensuite par les défaillances mortifiantes de la mémoire. »
« Les liaisons et les mariages depuis longtemps terminés finissent par ressembler aux cartes postales du passé. Quelques mots sur la météo, une anecdote, drôle ou triste, une photo ensoleillée au recto. Premier à disparaître, le moi insaisissable, précisément ce que l'on avait été soi-même, comment on apparaissait aux yeux des autres. »
« Je menais la même vie que ma mère, je suivais exactement ses traces. Quelques ambitions littéraires, puis l’amour, puis le mariage, puis un bébé, toutes les anciennes ambitions mortes dans l’œuf ou aux oubliettes, et devant moi un avenir prévisible. Et l’amertume. Ça m’a horrifiée. »
« Il hocha la tête et s'éloigna. Un homme adulte qui boudait ? Pathétique. Il changera d'avis et revint vers elle. ‘’je vais te raconter ton histoire. Tu voulais être amoureuse, tu voulais te marier, tu voulais un bébé, et tu as trouvé tout ça sur ton chemin. Et puis tu as eu envie d'autre chose’’. »
Leçons ou le regard d'un homme sur sa vie.
Les leçons que, ce chemin des années 50 à aujourd’hui, ont enseigné au vieil homme.
Avec des va-et-vient dans les époques, Ian McEwan esquisse l'après-guerre, le pensionnat, la montée du communisme, les petits boulots, le bloc de l'est, la chute du mur de Berlin, l'ère Thatcher, l'arrivée des travaillistes, la littérature, le capitalisme et puis le Covid.
Un roman dense, magnifiquement écrit, parsemés de réflexions.
L’honnêteté d'un homme dont la vie est semées de nostalgie, de regrets, de déceptions, d'un traumatisme d'enfance, d'un secret de famille, de solitude, de difficultés dans les relations mais d'amitiés et d'un peu de bonheur.
C'est l’histoire d'un amour paternel aussi.
Je me suis attachée à Roland, Laurewnce et à la lumineuse Daphnée.
Un livre, intense, émouvant et intelligent.
Roland Baines (trente-sept ans) vient de prévenir la police que sa femme (Alissa) a quitté brusquement le domicile conjugual, en lui laissant leur petit bébé de sept mois (Lawrence) Simple formalité en cas de disparition soudaine. D’ailleurs, il a reçu cinq cartes postales d’Europe. Toutefois, l’inspecteur Douglas Browne va enquêter, afin de vérifier si il ne l’aurait pas fait disparaitre … Nous sommes à Londres, peu de temps après la terrible catastrophe de Tchernobyl (qui a eu lieu le 26 avril 1986 …)
Roland Baines se remémore souvent ses premières années vécues en Lybie avec ses deux parents. Puis son adolescence au pensionnat anglais, où une professeure de piano, (Miriam Cornell) portée sur les très jeunes garçons, l’a marqué à jamais, à l’âge de onze ans (et en l’initiant à la sexualité, dès ses quatorze ans, alors qu’elle en avait vingt-cinq …) Roland Baines se souvient également de la rencontre marquante avec ses beaux-parents (Jane, l’anglaise et Henrich, l’allemand) lors d’une visite à Munich.
Ainsi, de la fin des années quarante à nos jours, nous allons suivre (au cours de ce pavé) les diverses sentiments de notre héros, les leçons multiples qui ont tracées sa route (leçons de vie, leçons de piano …) tout en traversant les périodes majeures de notre époque.
Mais, finalement, qu’apprenons-nous vraiment lors de notre passage sur cette terre ? … Nos expériences ou divers traumatismes nous font-ils avancer ou stagner ? …
Un bon roman, bien écrit, que je n’ai toutefois pas trouvé égal (au niveau de son intérêt …) dans la longueur …
Qu’est-ce qui fait une vie ? Tous les destins sont le produit de circonstances, « événements et accidents, personnels et mondiaux, minuscules et capitaux » , qui nous lancent sur un chemin plutôt qu’un autre. « Le monde se divise à chaque instant concevable en une infinitude de possibilités invisibles. » Et si, « tous ces itinéraires qui n’[ont] pas été empruntés », l’on jouait le temps d’un livre à les imaginer « encore présents et praticables » ?
C’est un peu l’aventure dans laquelle, avec génie et humour, Ian McEwan s’est lancé en imaginant une sorte d’envers, à la fois à sa propre histoire et au point de vue habituel de la société, au travers des mémoires d’un homme, non seulement passé à côté de sa vocation artistique, mais aussi abusé par une femme pendant l’adolescence, puis abandonné avec un bébé sur les bras par une autre, prête à tous les sacrifices pour le bien de sa carrière littéraire. Et toujours, infléchissant le destin de ses doubles de fiction, le poids de l’Histoire, avec ses hauts et ses bas plus ou moins visibles sur l’instant, mais qui n’en tissent pas moins l’inextricable toile d’araignée dans laquelle tous tentent avec plus ou moins de bonheur de tracer leur chemin.
Lorsque s’ouvre le récit, Roland Baines, trente-sept ans et vivotant de ses petits métiers, se retrouve seul avec Lawrence, son fils âgé de six mois. Alissa vient de les abandonner tous deux, avec pour seule explication qu’elle s’était trompée de vie. Pour Roland commence une longue rumination de ses échecs, lui dont l’existence, sautée brutalement, comme celle de l’auteur, de Tripoli où son père, officier écossais de l’armée britannique, était en poste, à un pensionnat britannique, fut comme « reprogrammée » à partir de ses onze ans par l’influence d’un professeur. Si, dans la vie réelle, ce « professeur extraordinaire » transmit à Ian McEwan le feu sacré de la littérature, geste essentiel dans le parcours du futur écrivain, le rôle est tenu dans le roman par une professeur de piano, autoritaire et possessive, qui, éprise de l’adolescent plus encore que de ses réels talents musicaux, le tiendra sous son emprise sexuelle entre ses quatorze et seize ans. Une expérience – en ces années 1970 où d’aucuns défendaient la pédophilie au nom de la liberté sexuelle – qui devait secrètement, mais irrémédiablement, bouleverser sa future vie sentimentale, lui interdisant longtemps le bonheur, mais aussi mettre un terme à ses études et gâcher son avenir artistique. Ainsi réduit à la précarité, seul et sans formation, c’est lui qui, plus tard, se retrouvera empêché, comme les filles-mères autrefois, par une paternité célibataire dans des conditions économiques difficiles.
On le voit, l’ironie n’est pas exempte de ce récit d’une réalité parallèle, produit d’événements aussi fortuits que celle vécue en vrai par l’auteur, que la narration s’emploie à malaxer avec les mêmes ingrédients historiques. Fait des mille riens – et pourtant – d’une existence anonyme, ce récit de toute une vie est aussi, avec un naturel incroyable d’aisance, de précision et de clairvoyance, une fresque, ample et ambitieuse, retraçant cent ans d’évolution de la société britannique en particulier, du monde en général. Des étudiants antinazis de la Rose Blanche éliminés par le régime hitlérien au temps du père allemand d’Alissa à la chute du mur de Berlin en passant par la crise des missiles à Cuba ou encore par le nuage de Tchernobyl, des excès du libéralisme thatchérien au Brexit mais aussi, plus largement, à la prise de conscience de la vulnérabilité de la planète, tous les baby-boomers retrouveront en ces pages l’écrin historique de leur propre parcours de vie.
S’il est ici question de leçons, ce n’est sûrement pas de vie, alors que, balle dans le flipper de la vie, chacun pourra, comme l’auteur et ses personnages, entre ironie, tendresse et nostalgie, calquer son propre itinéraire sur la vitre de l’Histoire, mais, sans conteste, de génie littéraire, confirmant, s’il en était besoin, la place de choix occupée par Ian McEwan dans le paysage littéraire britannique et mondial. Coup de coeur.
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