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Dans son deuxième roman, l'auteur d'Eureka Street décrit avec une concision clinique les derniers jours d'un vieil homme, Manfred, qui souffre d'un certain nombre de douleurs : physiques - qu'il refuse de confier aux médecins et dont McLiam Wilson évoque les effets avec une minutie extraordinaire -, morales, liées au souvenir de la Seconde Guerre mondiale et à son mariage avec Emma, une rescapée des camps de la mort.
C'est dans les rapports entre Emma et Manfred que se noue le roman : pourquoi un mari bat-il sa femme bien-aimée ? Le sait-il seulement ? Pourquoi, vingt ans après leur séparation, les deux époux (ils n'ont pas divorcé) continuent-ils de se voir chaque mois sur un banc de Hyde Park, à Londres ? Pourquoi Manfred n'a-t-il pas le droit de regarder le visage de sa femme ? McLiam Wilson nous fait partager les tourments, les joies et les indignations d'une fin de partie parfois beckettienne, où le tragique et le burlesque s'entremêlent en un savant dosage.
Et personne, sinon Dickens, ne décrit avec autant d'amour un Londres fuligineux, détrempé ou mouillé de bruine, ses soleils brouillés, son pavé luisant de pluie, les fastes de certains crépuscules et l'ennui gris de l'aube.
« Manfred désirait mourir depuis longtemps. »
C’est une histoire difficile à aimer. Elle est aussi brutale que sensible, dérangeante qu’effrayante. C’est une lecture éprouvante, qui parle au cœur humain, et qu’il ne faudrait pas éviter à cause de son sujet douloureux.
Manfred est vieux, malade, seul ; il a saboté sa vie et végète en sursis depuis vingt ans. Il a perdu la femme qu’il aimait ; c’est le drame de son existence misérable.
« [Manfred] ne désirait pas vraiment la mort, mais il mourait d’envie d’être débarrassé de la vie. »
Si la douleur de Manfred apparaît d’abord être physique, elle est aussi, surtout, morale. D’où l’on comprend que la douleur physique est chérie par Manfred, en ce qu’elle le distrait de l’autre, celle avec laquelle il vit depuis plus de vingt ans et qui fait de lui un mort-vivant. Si les autres voient sa déchéance physique, sa décrépitude de vieillard si bien décrite par l’auteur, ils ignorent tout des tourments de son âme au moins aussi virulents que les élancements du corps.
Il ne sera rien épargné au lecteur : la guerre, les camps, la violence conjugale, les petites douleurs morales accumulées et celle, actuelle, de Manfred qui semble être à la fois une synthèse et l’apothéose de toutes les autres.
L’auteur repousse constamment les limites, en particulier dans ses descriptions de la déchéance de Manfred et jusqu’au finale, pourtant attendu, dont on se dit qu’il ne se terminera jamais.
Le livre reste très centré sur la vieillesse et les pages qui y sont consacrées sont belles, même quand elles décrivent la disgrâce du corps. On se surprend à s’examiner attentivement dans un miroir, avant de revenir au texte qui nous rappelle la valeur du temps quel que soit notre âge.
Lire ce texte s’apparente souvent à subir une opération sans anesthésie, avec pourtant des moments de grâce que l’on accueille avec gratitude. En quelques phrases évocatrices, l’auteur déploie une ambiance cernée de pluie et les couleurs de l’air disent l’humeur de la ville. L’amour aussi connaît de belles heures. Enfin, ces pages qui défilent et passionnent comptent quelques moments de comédie grâce notamment au « charmant » Webb, voisin de Manfred, raciste et misogyne pour dire le moins. D’ailleurs, à sa façon, ce roman est éminemment politique.
La douleur de Manfred n’est pas un roman aguicheur mais il donne à voir à quoi sert la littérature ; elle n’a pas à être charmante et le lecteur prend ici une claque magistrale.
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