Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Les poètes et les artistes sont comme tout le monde, ils doivent se nourrir et se loger, ils ont besoin d'argent. Mais la marchandisation générale a bouleversé la relation qu'ils avaient nouée avec le pouvoir politique et les mécènes depuis le temps des Médicis. La culture - le ministère de la Culture, mais pas seulement - est devenue une entreprise, explique Laurent Cauwet. Les poètes et les artistes sont ses employés, qui ont des comptes à rendre à leur employeur. « La prolétarisation des savoirfaire de l'art et de la pensée oblige à pratiquer avec plus ou moins de subtilité l'autocensure et le formatage des oeuvres commandées. » L'entreprise culture, qui prône un humanisme universel, va exporter le bon art et la bonne parole dans les quartiers populaires pour éduquer la plèbe - celle qui n'a pas les bons codes, et qui n'est pas encore docilisée. « Quelle peut être la place d'un artiste ou d'un poète, rémunéré par ce même État qui rémunère les policiers qui insultent, frappent, emprisonnent et tuent ? » De cette dérive, Cauwet donne des exemples :
Marseille capitale européenne de la Culture (2013), immense entreprise de blanchiments multiples, de magouilles immobilières, politiques, financières, sur fond sécuritaire ; ou encore l'occupation par ses étudiants de l'École des Beaux-arts de Paris (2016) sabotée au nom du « respect du patrimoine ».
Le mécénat privé est l'autre face de l'entreprise culture : Vuitton (LVMH, Bernard Arnault) et son « grand oiseau blanc » au bois de Boulogne, « cadeau aux Parisiens » construit par Frank Gehry, l'architecte le plus m'as-tu-vu du monde ;
Benetton et son projet Imago Mundi, collection de petites oeuvres commandées à des artistes du monde entier, mais pas aux enfants qu'il fait travailler en Tunisie ou au Cambodge pour des salaires de misère ; Lacoste, qui refuse de décerner le prix Lacoste Élysée à Larissa Sansour parce qu'elle avait proposé que l'État palestinien soit logé dans un gratte-ciel avec des villes sur chaque étage ; la fondation Cartier s'opposant à ce que Frank Smith lise un texte où il est question de Gaza (« On ne peut pas aborder un tel sujet à la fondation »). La culture, qu'elle soit une commande publique ou un investissement privé, est devenue une « entreprise » de pacification tout à fait profitable.
« L'entreprise culture est la place forte, offensive, où se travaille la langue de la domination, celle qui crée les fictions et les divertissements indispensables à l'écitement de toute velléité critique. »
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