"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Cet ouvrage simple et didactique offre, en quinze questions et quinze réponses claires et documentées, des clés de compréhensions de l'oeuvre de l'un des plus grands artistes du XXe siècle, Joan Miró (1893-1983). Ses oeuvres sont, avec celles de Picasso, parmi les plus connues de l'art moderne, et pourtant elles restent enveloppées de mystères surréalistes ?, abstraites ?, monstrueuses ?, cosmiques ? que cet ouvrage propose de dévoiler de manière éclairante et concise.
Le fait majeur qui caractérise la vie et l'oeuvre de Joan Miró, ce sont ses passages incessants entre Paris et la Catalogne. L'artiste a passionnément aimé l'un et l'autre lieux, revêtus à ses yeux d'une sorte d'aura sacrée. La Catalogne a constitué pour lui l'expérience toujours recommencée d'une vie intérieure en symbiose avec les grandes forces de la nature ; elle a aussi rappelé à l'artiste l'exigence d'un rapport paysan avec la matière et la dignité du métier artisanal : tout cela, Miró l'a appris et vécu dans la ferme de Montroig, entre mer et montagne, au Sud de la province, où il a conçu définitivement sa vocation en 1911 et où, jusque dans les années 1950, il a aimé travailler plus que n'importe où ailleurs, volontiers reclus dans la solitude. Palma de Majorque fut aussi un lieu important, notamment à partir du début des années 1940. Barcelone, en revanche, fut surtout aimée comme chambre d'écho de la grande action dramatique qui se jouait à Paris, dans les cercles d'avant-garde. Paris dont le jeune Miró a rêvé dès les années 1910, qu'il a découvert pour la première fois en 1920 et où il a vécu par plus ou moins longs intervalles jusqu'en 1939 : lieu magique à ses yeux, où toute une civilisation semblait en cours de transmutation, violemment menée en avant par ce qu'on appelait le surréalisme.
Et voici un second fait essentiel : la relation aussi passionnée que singulière entretenue par Miró avec l'esthétique surréaliste. En lien avec André Breton, à partir de 1925, mais aussi et peut-être surtout avec des groupes périphériques, en amitié intense avec des écrivains, le jeune homme étranger a perçu le surréalisme parisien comme un grand geste d'effervescence et d'émulation collective, susceptible de faire remonter toute une société à ses origines : origines enracinées dans des structures mythiques universelles dont les oeuvres d'art dites « primitives » (en particulier l'art océanien) étaient les meilleures messagères.
Toute l'oeuvre de Miró, notamment en son moment le plus intense, entre 1920 et 1941, peut être comprise selon les termes de cette double postulation : d'un côté, une poétique magique, rêvant, dans l'orbite surréaliste, de réenchanter le monde par la voie d'oeuvres qui soient autant de signes hiéroglyphiques d'une langue retrouvée des origines ; de l'autre côté, un attachement brûlant à l'expérience intérieure de la vie, expérience d'ordre mystique, c'est-à-dire excédant toute image.
A titre d'exemple : à partir du milieu des années 1920, Miró a proclamé qu'il voulait « assassiner la peinture ». On peut comprendre ce mot d'ordre comme émanant d'un fantasme de violence archaïque, d'ordre sacrificiel, remplaçant la tradition de la représentation et de la peinture de chevalet par des objets-fétiches, des collages hétéroclites, pour former tout un petit monde d'évocations cauchemardesques. On peut aussi y voir une position iconoclaste préférant aux oeuvres le mouvement intérieur qui les a rendues possibles et qui les dépasse infiniment, comme Miró l'a confié en 1939 : « Ce qui compte, dans une oeuvre, [...] c'est ce qu'elle entraîne, dans son mouvement ascendant, de faits vécus, de vérité humaine, les trouvailles plastiques n'ayant en elles-mêmes aucune espèce d'importance. » La tension entre ces deux pôles fétichiste, iconoclaste est ce qui fait l'incandescence très singulière de l'oeuvre de l'artiste, bien loin des clichés faciles (auxquels lui-même a pourtant parfois cédé) sur sa naïveté enfantine.
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