"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Terre de glace et de feu, île de paradoxes, l'Islande ne cesse d'étonner et d'envoûter toute personne qui s'intéresse, de près ou de loin, à cette contrée mystérieuse. Ce bout de terre, le plus jeune du globe géologiquement, ne cesse de se déformer. Glaciers et volcans y cohabitent dans une étrange harmonie, pontuée par des fréquentes irruptions. Celle du Lak, en 1783, décima les deux tiers de la population islandaise. Les nombreux glaciers impressionnent par leur taille, tel le Vatnajokull, le plus grand d'Europe, ou par leur histoire, tel le Snefellsjokull, que Jules Verne utilisa comme point de départ pour son Voyage au centre de la Terre.
Au milieu d'une nature en pleine effervescence, baignée d'odeurs de soufre, où résonne le bruit inquiétant des clapotis, Patrick Desgraupes a touché du doigt l'origine du monde, fixant des paysages dantesques : champs de solfatares, marmites géantes de boue en ébullition, montages colorées de dépôts sublimés jaunes, orange, verts, blancs ou roses.
Les conditions climatiques extrêmes, les longues heures de marche nécessaires pour atteindre certains sites, le caractère désertique de cette terre, les lumières changeant au gré des saisons qui modifient encore des éléments en perpétuel mouvement se reflètent dans des clichés aux couleurs irréelles, semblant saisir au même moment l'enfer et le paradis.
Lorsqu'on parcourt un livre de photographies, on a tendance à se laisser subjuguer par les images et à oublier tout le travail qu'il y a derrière. Comme dans tout art, le hasard a son importance et la rencontre entre un objectif et son sujet d'observation tient aussi de cela, mais c'est rarement aussi simple.
Les photographies de ce livre sont le fruit d'une longue préparation assortie le plus souvent d'une attente plus ou moins longue pour espérer capturer le sujet dans son plus bel éclat. Car la matière première de Patrick Desgraupes, ce n'est pas la pellicule, mais la lumière. Et pour restituer toute la singularité, l'étrangeté même de ce magnifique pays qu'est l'Islande, il faut avoir parfait son art en amont.
Comme nous l'explique l'auteur dans l'avant-propos de cet ouvrage, il utilise la technique de la chambre en extérieur qui présente nombre d'avantages, mais aussi quelques inconvénients. N'étant pas photographe moi-même, je serais bien en peine de vous expliquer en quoi cela consiste, mais ces explications, parfois techniques, donnent une idée assez claire de la démarche artistique de Patrick Desgraupes.
"Islande - le sublime et l'imaginaire" n'est pas l'œuvre d'un seul homme, mais de trois. Pour donner du poids aux images envoûtantes qu'il nous offre, Patrick Desgraupes s'est adjoint les services de deux spécialistes : Einar Mar Jonsson et Guillaume Cannat. Si les photographies se taillent bien entendu la part du lion, l'ouvrage accorde une large place aux mots mis en lumière dans un découpage assez sympathique.
Passé l'avant-propos, Einar Mar Jonsson - qui enseigne les langues et la civilisation scandinaves à l'Université de Paris-Sorbonne - nous raconte l'histoire de son pays d'origine en prenant soin de bien souligner combien les particularités géologiques de l'Islande ont influencé la vie de ses habitants et en s'appuyant bien évidemment sur les incontournables sagas. Viennent ensuite les photographies en pleine page avec le lieu en légende, entrecoupées de temps à autre d'une citation tirée de la littérature islandaise reproduite en V.O. et en V.F., soit un voyage au cœur de l'Islande, de sa nature sauvage et parfois même hostile.
Guillaume Cannat, géologue et astronome - qui sillonne l'Islande depuis plusieurs décennies - s'occupe de la dernière partie. Il s'appuie sur les photographies prises par Patrick Desgraupes pour nous conter l'histoire géologique de certains lieux et évoquent les ressemblances troublantes et ô combien passionnantes qui existent entre la géologie de l'Islande et celle de la planète Mars ou de Io, satellite de Jupiter. Cette dernière partie est un brin technique, mais elle rend justice aux particularités d'un pays sans qui la théorie de la tectonique des plaques n'aurait jamais pu voir le jour. Et je ne vous parle même pas de celle selon laquelle les Lakagigar ou cratères du Laki, sources d'un épisode éruptif en 1783 auraient eu une influence sur le déclenchement de la Révolution française...
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