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Il ne s'agit pas d'ajouter quelque chose à Derrida. Pas non plus de suppléer à des manques chez lui. Rien du double sens de ce mot dont il a fait une de ses signatures conceptuelles (avec entre autres « différance », « spectre », « viens ! »... ).
De manière générale, on ne complète ni on ne remplace rien dans l'oeuvre d'un auteur : elle vaut telle qu'elle existe. Je pense plutôt à un troisième du sens du mot supplément, à ce sens littéraire ou journalistique selon lequel on joint une publication à une autre pour offrir un autre registre ou un autre aspect (un supplément illustré, sonore, ou bien encore le Suppléent au voyage de Bougainville...).
Ces textes écrits au gré des circonstances - colloques, ouvrages collectifs - et au fil de 25 années ne sont ni des études, ni des commentaires, ni des interprétations de la pensée de Derrida. Ce sont, pour le dire ainsi, des réponses à sa présence. Non seulement l'amitié nous avait liés depuis 1970 mais je peux dire que même son irruption dans mon paysage intellectuel, par ses essais des années 60, avait été d'emblée celle d'une présence. Dès mes premières lectures j'avais perçu, au moins autant que l'aigu d'une pensée, la résonance d'une actualité : pour la première fois j'entendais vraiment une voix du temps présent.
La rencontre d'une présence fut indissociable de celle d'une pensée. L'analyse rigoureuse de la présence-à-soi dans la « voix silencieuse « de Husserl valait immédiatement comme l'arrivée d'un inconnu dans lequel je reconnaissais une présence. Celle-ci n'était justement pas « à soi » mais au monde, à nous tels que nous étions en un moment où nous pouvions sentir une époque passer (avec Sartre, avec la fin de la guerre d'Algérie) et autre chose arriver.
Derrida est connu comme le déconstructeur de la « métaphysique de la présence ». Il fut aussi celui qui ne cessait de se présenter - et donc sûr aussi de s'absenter - dans sa pensée. Il pensait comme on vient à un rendez-vous, comme on griffonne trois mots sur un bout de papier ou bien comme on décroche son téléphone : habitant des villes éloignées, nous usions beaucoup de cet appareil. J'entends toujours le ton très particulier, mêlé d'hésitation et de décision, sur lequel il disait « c'est Jacques ».
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