"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
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Un homme, un enfant presque encore, fuit l'enfer avec deux moignons sanglants à la place des mains.
L'enfer ? Une terre agricole américaine, où des accros au crack sont exploités dans des conditions indignes.
C'est cet endroit qu'Eddie fuit. Après y avoir été conduit pour retrouver sa mère, Darlene, toxicomane. Une addiction qui remonte au décès de son mari assassiné par on ne sait qui, probablement des hommes blancs qui, dans le Sud des États-Unis, considèrent bien davantage les animaux que les personnes de couleur.
Ce roman est, aussi incroyable que cela puisse paraître inspiré d'une histoire vraie. Des hommes ont eu l'idée cynique et détestable de profiter de l'addiction de SDF et de marginaux pour les exploiter sur leurs terres en l'échange d'une dose de drogue - bien évidemment, déduite de leur misérable salaire.
On retrouve, dans ce récit, le racisme banalisé qui conduit à laisser impuni le meurtre d'un homme noir, à retarder un procès, à laisser la pauvreté et la drogue enchaîner comme les chaînes ont pu le faire dans le passé.
Mais ce récit aborde aussi la question de la dépendance, grâce au personnage de Scotty, qui n'est autre que la drogue, personnage indépendant qui tire une partie des ficelles.
L'on suit impuissant, Darlene et le gouffre de désespoir qui va la saisir, l'entraînant vers sa première pipe de crack. Cette addiction va la détruire physiquement et moralement, mais aussi tout autre sentiment que l'impérieuse nécessité de se faire un nouveau kif.
Les liens filiaux vont se couper entre cette mère accro et son fils, malgré toutes les tentatives de ce dernier pour sauver sa mère. Petit à petit, Eddie va comprendre l'impossibilité de renouer toute la confiance brisée entre eux, ces promesses jamais tenues.
Malgré quelques petits bémols, comme un rythme plus lent en milieu de roman, ou certains rebondissements en fin de récit, il n'en demeure pas moins que cette lecture est très marquante.
Tout commence par une belle histoire d’amour. Darlene et Nat se sont rencontrés au lycée et ils tombent passionnément amoureux. Ils s’installent à Ovis en Louisianne, attendent leur premier enfant et créent une petite épicerie qu’ils appellent Mount Hope.
Tout aurait pu continuer dans la joie et le bonheur si Darlene et Nat n’étaient pas noirs et ne vivaient pas dans une ville du Sud des Etats-Unis où sévit un racisme latent dont ne sont toujours pas débarrassés les habitants blancs depuis la Guerre de Sécession.
Les événements catastrophiques s’enchaînent et Darlene devient accro au crack ce qui situe ce roman dans le dernier quart du XX e siècle.
Elle se fait alors « embaucher » par les rabatteurs de la ferme Delicious qui produit des fruits et légumes en toute illégalité et qui fait travailler des drogués en échange de leur dose quotidienne.
C’est avec l’évasion impressionnante d’Eddy, le fils de Darlene qui a fini par retrouver sa mère et est devenu esclave à l’âge de 12 ans, que commence ce récit saisissant.
James HANNAHAM y dénonce l’esclavage moderne qui sévit dans l’ombre et nous révèle l’horreur des conditions de vie déplorables et les mauvais traitements que subissent ces drogués, incapables de la moindre réaction.
Outre le narrateur qui raconte cette histoire étonnante, l’auteur a créé un autre narrateur qu’il appelle Scotty et qui n’est pas une personne mais le crack lui-même. Son parler est populaire et familier, il est excessif, sensuel et amoureux des drogués et plus particulièrement de Darlene. Ses apparitions décalées et son humour désabusé détendent l’atmosphère et apportent une vision interne du phénomène de l’addiction.
Si les propos de ce roman paraissent parfois choquants, c’est qu’ils ne sont certainement pas bien loin d’une réalité à révéler au grand jour. Tous les sentiments s’y bousculent, de la force de l’amour à la vulnérabilité du deuil, de la soumission des esclaves à la cruauté des janissaires, des regrets d’une mère au pardon d’un fils.
C’est un difficile mais très beau roman que j’ai lu avec passion et que je recommande vivement pour son style très original, son engagement pour la cause afro-américaine et ses personnages hauts en couleur, humains ou non.
Le premier chapitre annonce la couleur et vous enlève immédiatement tout sentiment de confort par sa brutalité; le reste du roman est une lente et profonde brûlure.
James Hannaham aspire le lecteur dès le début alors que le jeune Eddie s'échappe (de quoi, nous ne savons pas encore) au volant d'une Subaru volée juste après s'être fait amputer des mains. Les premiers chapitres vont nous raconter comment Eddie est parvenu à se construire une vie agréable malgré son handicap. Mais comment a-t-il perdu ses mains? C'est toute l'histoire de Delicious Foods et vous vous doutez bien que je ne vais pas vous la dévoiler.
Pour la découvrir il vous faut écouter les 3 narrateurs: Eddie, Darlene sa mère et Scotty. Qui est Scotty ? C'est la voix du crack dans la tête de Darlene. Oui vous avez bien lu, l'un des narrateurs est la drogue ! C'est même un personnage clé racontant l'histoire par-dessus l'épaule de Darlene observant son environnement avec humour, perspicacité et beaucoup de crédibilité. Scotty c'est « l'ami qui vous veut du bien », c'est le séducteur, celui qui vous dit « fais moi confiance ». Tour de force de l'auteur.
Les thèmes abordés sont loin d'être légers: l'esclavage moderne, la suprématie blanche, l'injustice raciale, l'exploitation humaine, la toxicomanie, la mondialisation, le capitalisme sans entraves.
Alors oui, Delicious Foods est dur et violent mais c'est un sacré bon bouquin grâce à un sujet principal peu traité et grâce à un parti pris narratif surprenant. Inspiré de faits réels, ce roman a obtenu en 2016 le Pen/Faulkner Prize.
Traduit par Cécile Deniard
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