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Dans l'oeuvre d'Ernest Pignon-Ernest, Pier Paolo Pasolini apparaît dès 1980 sur les murs de Certaldo, puis à Naples à partir de 1988, au point que l'on peut parler d'un compagnonnage constant, le poète-cinéaste devenant l'une des grandes références de l'artiste, l'une de ses icônes. Il s'en explique d'ailleurs à plusieurs reprises et très clairement.
«Pasolini était écartelé entre le désir intense de voir se transformer les rapports entre les gens et la lucidité aiguë avec laquelle il percevait les menaces que ces bouleversements allaient engendrer. Parce qu'il était le chantre du corps, de la liberté, du sexe, peut-être a-t-il été le premier à pressentir le détournement qui était en train de s'opérer, la société de consommation s'emparant de ces aspirations physiques et spirituelles pour les mettre au service de la marchandise. En dépit d'une hostilité quasi générale, il a prophétiquement dénoncé les risques de nivellement, de destruction des valeurs qu'implique l'hégémonie culturelle d'une société sans autres critères que ceux de la réussite matérielle. En même temps qu'il combattait l'acculturation, la déshumanisation programmée par cette société libérale qu'il apparentait à une nouvelle barbarie, il affirmait la monstruosité d'un communisme incapable de considérer la personne humaine comme sacrée. Marxiste, sa quête d'absolu et de fraternité était en fait assez proche du christianisme des origines, voire de celui que François d'Assise avait voulu régénérer.
Au fond, il y avait mille raisons pour que je tente de me saisir de cette figure : son oeuvre de poète, de cinéaste, de faiseur d'images ; le caractère de son engagement ; le corps nu, cet élément de vocabulaire que nous avons en commun ; le choix des peintres qui l'ont inspiré (Masaccio, Mantegna, Piero della Francesca, Duccio, Bacon, Caravage, Giotto, dont il incarne lui-même le disciple dans son Décaméron) ; sa façon singulière de parler d'aujourd'hui en s'appuyant sur les grands mythes qui ont formé notre conscience (Médée, OEdipe, Jésus), en interrogeant la Grèce, l'Afrique, les deux rives de la Méditerranée ; également, la charge charnelle qu'il a donnée à cette intuition qui veut que les hommes et les mythes communiquent».
Ernest Pignon-Ernest L'intervention récente dans les rues de Rome, à Ostie et à Naples, représente à nouveau l'auteur des Cendres de Gramsci, de La Religion de notre temps, de Théorème ou de L'Évangile selon saint Matthieu. Mais cette fois l'image témoigne d'une intention manifeste, d'une volonté d'alerte et d'interpellation, d'une lutte contre l'oubli. Elle surgit et accuse. Pasolini, quarante ans après son assassinat, sort des limbes et porte son propre cadavre comme une question toujours sans réponse : «Qu'avez-vous fait de moi ?» ; «Que se cache-t-il encore derrière ma mort ?».
Karin Espinosa, qui a réalisé une série radiophonique sur la destinée de Pasolini (Né, consacré, massacré) et qui a entrepris une thèse de doctorat consacrée aux figures dans le théâtre urbain d'Ernest Pignon-Ernest, a tenu le journal de bord de ces collages qui ont investi les lieux de vie, de création et de mort du poète-cinéaste. Son texte est à la fois le récit et l'analyse d'une aventure artistique sans autre exemple.
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