Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
Une pluie sans fin tombe sur Londres. La planète est inondée, les gens vivent et travaillent au sommet des gratte-ciels tandis que la folie gagne les esprits. Irene, Isla et Agnes, trois soeurs aux liens distendus, se trouvent réunies, à la mort de leur père éminent architecte, dans sa spectaculaire maison de verre bâtie sur l'eau. La vie chaotique et les souvenirs étranges des filles resurgissent. Elles ignorent la véritable raison de leur présence ici.
Mêlant famille dysfonctionnelle, relations queer, saillies cinglantes et menace rampante sur fond de crise climatique, Julia Armfield s'impose, dans Cérémonie d'orage, avec une maîtrise et une modernité romanesques, à l'instar de Mariana Enriquez et Emily St. John Mandel. Roman impressionnant d'une star montante des lettres britanniques, Cérémonie d'orage nous emporte dans une intrigue tendue qui s'affranchit des genres.
La rentrée des Éditions La Croisée est anglaise et nous ramène dans la capitale qu'elle a déjà bien sillonnée cette année à travers d'autres autrices dont Susie Boyt, avec Amours manquées, Alice Slater, avec Mort d'une libraire et Yrsa Daley-Ward, avec La vie précieuse. C'est une autre première traduction en français, servie par une belle traduction et une couverture pour le moins chatoyante, c'est aussi un livre très féminin, depuis son écriture, ses protagonistes et leurs amours, sa traduction, sa publication en France, et en ce qui me concerne, sa lecture. Et sans oublier, sa ville, Londres, qui possède sa propre voix parmi la narration fragmentée de ce récit à quatre voix.
Une ville, et trois soeurs. Deux soeurs, et une demi-soeur, plus exactement, progénitures du même père, architecte reconnu dans sa branche : Isla et Irene, filles de Stephen Carmichaël et de leur mère et Agnes, fille dudit père et de sa mère Mary. Isla vient de recevoir la nouvelle de la mort de leur père, à charge pour elle d'en avertir ses soeurs. Très vite, on s'aperçoit que les relations entre elles sont pour le moins compliquées et distendues : elles ne s'entendent pas, elles se supportent à peine. Elles comprenaient encore moins avec ce père crains, qu'elles avaient cessé de voir depuis des années. Ce récit s'embraye sur la mort puis les effets de cette nouvelle sur les trois femmes, qui ont chacune voix au récit, en plus de la ville, comme je le disais plus haut. Ces trois femmes différentes, mais pas tant que cela, expérimentent pourtant la même sensation d'assister à la fin du monde, ce même constat que l'on se fait devant le journal de 20 h zieutant notre société essorée et éreintée de tous côtés, alors que chacune d'entre elle vit sa relation intime à un stade différent, alors qu'Isla est en passe de divorcer, Irene vit tant bien que mal avec Jude, et Agnes découvre l'amour dans les bras de Stéphanie.
C'est au croisement de la choralité de ces voix que l'on apprend à connaître chacune d'entre elle, ce père, et les relations qu'elles entretenaient avec lui : ces femmes se sont construites exactement comme ce père froid, distant, et insensible et à la violence larvée, a conçu ses bâtiments et cette maison dans laquelle elles ont toutes grandies. de l'espace, du vide, de la froideur et donc de l'isolement, des barrières infranchissables qui les séparent de cet homme – et qui inversement ont le bon goût de le séparer de ses filles – et de leur mère respective, un lieu glacial et inamical, dont chacune a à sa façon pris la fuite d'une manière définitive.
Chacune d'entre elle s'interroge – et les interrogations de chacune sont contrebalancées par celles de ses soeurs dans à chaque chapitre où les focalisations se succèdent de manière aléatoire – sur leur absence de deuil, mais surtout sur les relations défaillantes des trois soeurs, abandonnées par mère et père. C'est un long processus de construction ou de reconstruction, où il s'agit dans un premier de tout casser, remettre les compteurs à zéro, pour essayer de rebâtir quelque chose qui les lie et qui ne soit qu'à elle. D'abord, indépendamment l'une de l'autre, puis ensemble, à trois, dans une ultime scène démiurgique et assourdissante.
Si les relations entre les soeurs constituent l'ossature de ce roman, le contexte sur fond d'une Londres qui part à vau-l'eau, où tout ce qui les entoure prend l'eau, signes d'une déliquescence sociale, générale et ainsi individuelle, témoigne très finement de ces individus qui s'effondrent au sein d'un monde lui-même en train de s'écrouler : Isla est psychologue et au premier plan observer les psychés torturées de ses patients, Jude la compagne d'Irene est travailleuse sociale et en tant que telle assiste au premier plan des drames humains et Agnes assiste au suicide d'une femme, se jetant du bateau. le tout couronné par des inondations sans fin, qui infiltrent ce monde tellement lézardé de fissures qu'il fini par prendre l'eau.
Ce beau roman décrypte parfaitement les contradictions qui étreignent notre monde actuel, des individus au bout du rouleau, un trop de tout, et tout en trop, des solutions pansements pour cacher péniblement des béances qui ne font que s'approfondir, des relations sororales construites péniblement à l'aune de relations familiales dysfonctionnelles, des amours qui s'effritent, des individus qui s'essoufflent. Trois filles qui font le deuil non pas du père qui a depuis longtemps disparu mais de son fonctionnement, individualiste et esseulé jusqu'au bout, ce même système pervers qui les a longtemps séparé, amis qu'elles finissent par comprendre qu'elles doivent passer par dessus pour conserver cet embryon de famille qu'elles forment toutes les trois. dans une ultime et grandiose scène.
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