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Ces Carnets de guerre 1914-1918 constituent un texte de première importance, qui permet de porter un regard neuf sur les débuts de l'écrivain.
Entre ces Carnets, notes prises sur le vif par un jeune engagé volontaire de dix-neuf ans, dans une quinzaine de petits carnets d'écolier qu'il portait constamment sur lui, même en pleine bataille, et les Orages d'acier, cette réécriture raffinée, rédigée après la défaite allemande par un brillant débutant qui découvre peu à peu les ressources de la littérature, il y a toute la différence entre un témoignage brut et une oeuvre d'art.
On connaissait depuis longtemps l'existence de ces petits carnets qui ont servi de matière première à Orages d'acier et aux deux autres récits que Jünger a tirés de cette expérience de la guerre, Feu et Sang et Le Boqueteau 125, mais ils n'ont été édités en Allemagne qu'à l'automne 2011. La première étude universitaire exhaustive à leur sujet avait été celle d'un jeune chercheur anglais, John King, publiée en 2003 sous un titre volontairement provocateur à propos d'un auteur considéré comme un apologiste sans réserve de la guerre. Il s'agit d'une phrase extraite des Carnets 1914-1918, et qu'on n'attendait pas d'Ernst Jünger : Quand donc cette guerre de merde va-t-elle enfin se terminer ?
Déjà dans ce titre, la nouveauté de l'oeuvre éclate, par rapport aux textes connus de Jünger. Par ailleurs, les différentes allusions de Jünger à ces carnets, souvent tachés de boue ou de sang selon ses propres termes, laissaient croire qu'il s'agissait de notes hachées, quasi sténographiques, arrachées à l'action et presque illisibles telles quelles. Or ce n'est pas du tout le cas ; il s'agit d'un texte généralement bien rédigé et très fort émotivement, même s'il ne témoigne pas encore de la maîtrise stylistique acquise plus tard par l'écrivain. En tant que témoignage direct, on peut même le considérer comme plus intéressant que les oeuvres littéraires que Jünger a ensuite publiées à partir de lui, car son authenticité est évidemment bien plus grande. En soi, ces Carnets mériteraient notre attention, même s'ils n'avaient pas été rédigés par un grand écrivain. Malgré ses quatorze blessures, Jünger est constamment reparti en première ligne, et il est l'un des rares témoins du conflit à avoir jour après jour enrichi sa chronique, quatre années durant sur le front, à Verdun et sur la Somme.
Ces carnets présentent par ailleurs un double intérêt en tant qu'oeuvre de Jünger. Ils révèlent d'abord des aspects inconnus ou volontairement voilés de sa personnalité complexe : sa brève idylle amoureuse avec une jeune Française, pudiquement évoquée dans Orages d'acier, est ainsi plus largement développée ; de même, les aspects terre-à-terre de la vie quotidienne du soldat (mauvaise nourriture, beuveries, bagarres, passages au bordel etc.) sont beaucoup plus présents ; et l'on découvre un aspect bien plus frondeur du lieutenant Jünger par rapport à la hiérarchie militaire que l'on n'en pouvait juger d'après les oeuvres publiées.
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