"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Décidément, quantité de romans de cette rentrée se rejoignent autour de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste, et les troubles actuels au Moyen-Orient n’y sont pas pour rien : l’auteur hongrois, Tamás Gyurkovics, publié par les Éditions Viviane Hamy a pris une part active dans la politique de son pays, en tant qu’agent de communication du Premier ministre de son pays l’homme a choisi de s’inspirer de la vie d’une figure ayant réellement existé, Zvi Spiegel, pour incarner Ernő Spielmann et étudier la communauté juive d’après-guerre à travers la figure d’un rescapé de la Shoah et de son entourage. Ce n’est pas la première fois que Tamás Gyurkovics évoque Josef Mengele, qui a joué un rôle dans le passé concentrationnaire d’Ernő puisqu’il a fait l’objet de son roman précédent, Mengele bőröndje / Josef M. két halála, La valise de Mengele, non traduit en français à ce jour.
La phrase liminaire du roman est pour le moins saisissante : » Auschwitz, ça suffit maintenant, taisez-vous « . Nous sommes en Israël, à Tel Aviv, Nitza Spielmann interpelle ses enfants, Judit et Israël pour qu’ils rentrent chez eux, en attendant le retour du père Zvi. La famille juive vit entourée d’autres familles immigrées, fuyant l’Europe et les souvenirs de la guerre. Tout est à construire, la famille Spielmann s’est agrandie là-bas, avec la naissance de leur second enfant, le garçon Israël, le père exerce la profession de comptable au sein du théâtre Cameri. Zvi est également atteint de maux de tête chroniques, en particulier lorsque leur passé est évoqué, celui des camps de concentration, des chambres à gaz, et de tous ceux qui n’en sont jamais revenus. Car Zvi n’était pas un simple prisonnier, et c’est là aussi toute la perversion du système, en tant que Kapo, il avait été choisi pour trier et sélectionner les jumeaux qui seraient soumis aux expériences de Mengele. Zvi, le Zwillingsvater, avait en effet lui-même une sœur jumelle, Magda.
Ces migraines rythment le quotidien de Zvi, à un point tel que sa femme se sent contrainte d’aller consulter un docteur sans lui, afin de tenter le soulager. Des céphalées qui apparaissent lorsqu’il est question de leur passé dans les camps. Survivre pour eux, n’est pas qu’une question de sortir et de se remettre (tenter du moins), c’est continuer à vivre avec les absents, morts dans le chaos de la haine antisémite, de se projeter dans l’avenir, et de dealer avec son passé. Et sa conscience. Car parfois la frontière qui sépare la victime du bourreau est si ténue qu’elle en devient quasiment inconsistante – cette fameuse zone grise – et cette antinomie qui torture le cerveau endolori de Zvi, la mémoire marquée au fer rouge du rôle qui fut le sien, justement entre victime et bourreau, bourreau des siens d’une certaine manière, pour tenter de survivre à un Joseph Mengele. Les débats entre gens du même quartier tentent de reconstruire la culpabilité ou l’innocence de ces kapo, qui étaient eux-mêmes des prisonniers de droit commun ou politique, donc issus des communautés qu’ils avaient en charge de surveiller, et à la fois détenteurs d’une certaine autorité sur elles : un jeu de pouvoir pervers pour épargner les plus hauts gradés et faire naître les dissensions parmi ces prisonniers.
C’est tout l’objet du conflit intérieur de Zvi, qui remonte le fil de sa vie depuis l’arrivée au camps jusqu’à la libération et sa fuite en compagnie des enfants qu’il supervisait au camps : l’histoire de la conscience d’un homme pris dans ses contradictions, celle de sauver sa peau en obéissant aux ordres donnés et présenter des paires de jumeaux à Mengele, et celle de cette culpabilité lancinante, qui n’a de cesse de le poursuivre, jusqu’en Israël, jusqu’au procès d’Eichmann. À travers sa fuite, accompagnant et guidant les enfants vers un chez-eux inconnu, puisque plus rien n’a plus de sens pour ces rescapés délestés de tout repère, sur un chemin que l’on ressent comme celui de la rédemption. Une rédemption qu’il aura bien du mal à s’accorder, la culpabilité – justifiée ou non, on aurait bien du mal à se placer en juge – qu’il a refoulé, il n’a jamais répondu aux enfants sauvés qui lui écrivaient chaque année, revient sous la forme d’atroces maux de tête ankylosants.
Zvi Spielmann ne parle pas même à sa femme de ce qu’il pense de la peine. Il pense tantôt ceci, tantôt cela, c’est pourquoi il est particulièrement heureux de ne pas avoir à décider du sort d’Eichmann. Le Vieux, qui montre encore là toute sa sagesse, a choisi pour juger l’accusé des hommes qui étaient restés avec leurs familles à une distance sûre de la guerre. Ces juges sont certes juifs, mais ce ne sont ni des sabras ni des rescapés. Ils sont au milieu, dans cet entre-deux confortable ou Ernö Spielmann aurait toujours voulu placer son existence.
Zvi Spielmann n’est pas mort aux camps, il a survécu, mais depuis, lesté du poids de sa culpabilité, il vit dans une lente agonie placée dans le prisme d’une lente culpabilité qui le dévore. (...)
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