"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Comme pour ma lecture de l’Enragé, j’ai mis un petit moment à m’adapter à l’écriture ciselée de l’auteur et à entrer dans le roman. Mais après je n’ai plus réussi à le lâcher ! Car derrière l’auteur enragé se cache le poète, et ses personnages complexes passent par une multitude d’émotions. Son écriture est percutante, avec ce contraste entre la violence de l’histoire et la beauté des mots, laissant place à une émotion intime et bouleversante, à fleur de peau.
Georges et un ancien anarchiste, éternel étudiant et jeune père de famille. Pour respecter la promesse faite à son ami Sam, mourant, il part réaliser l’impensable: monter la pièce « Antigone » de Jean Anouilh à Beyrouth. Nous sommes en 1982, en pleine guerre du Liban. Georges doit réunir des acteurs de toutes les minorités qui se font la guerre, les rassembler le temps de la pièce pour un répit idéaliste, une unique représentation au milieu du champ de ruines.
Palestiniens, druzes, chrétiens, chiites, syriens, phalangistes, libanais… tous vont devoir oublier l’appartenance pour révéler le personnage de théâtre. L’idée est folle. Mais l’est-elle plus que la guerre ?
« Aller dans un pays de mort avec un nez de clown, rassembler dix peuples sans savoir qui est qui. Retrancher un soldat dans chaque camp pour jouer à la paix. Faire monter cette armée sur scène. La diriger comme on mène un ballet. »
Le personnage lumineux d’Imane, la jeune palestinienne, m’a éblouie. Tout comme Georges, qui se confond avec la pièce de théâtre. Le rideau tombe pour qu’il devienne un acteur de la guerre: « Il avait oublié sa propre colère. Son poing était devenu main ouverte. »
Sorj Chalandon nous montre la guerre telle qu’elle est, et son roman a bien plus de force que des images. La pièce d’Anouilh offre de multiples comparaisons avec la situation de Beyrouth. C’est une tragédie, violente et inhumaine, un sujet encore explosif aujourd’hui.
J'avais déjà lu ce roman à sa sortie, fin 2013. Cependant je suis retombée dessus dans ma bibliothèque et j'ai eu l'envie soudaine de le relire.
C'est un roman dur mais avec une histoire originale. Il s'agit de faire jouer Antigone dans une ville en guerre et de distribuer les rôles à chaque personne du conflit, tout cela dans le but d'obtenir une trêve, chacun oubliant que l'autre est son ennemi.
L’auteur fait la comparaison avec la création de la pièce pendant la deuxième guerre mondiale où un acteur a été fusillé car résistant alors qu’un autre était un collabo. La pièce s’est jouée dans la même atmosphère.
Le chemin est difficile pour aller chercher les acteurs et les convaincre. Georges le fait sous les balles. Mais ils arrivent à se rencontrer et à parler, à se toucher.L’auteur nous parle simplement et avec pudeur du bombardement de Beyrouth par l’armée israélienne, des bombes au phosphore, des cadavres d’enfants brûlé en partie par le phosphore et que les Israéliens ont piégés avec des grenades dégoupillées pour faire encore plus de morts, il nous décrit les massacres de Chabra et Chatila. Bien sûr on a tous entendu parler de ces massacres, mais c’était abstrait, là on lit toute l’horreur de cette guerre, on la voit, ce n’est plus un concept, c’est la réalité.
Il nous dit les viols et les tortures, sans forcer le trait, jamais, une description neutre qui ne prend pas partie.
Georges est un homme brisé quand il revient et victime d’un syndrome de stress post traumatique très bien décrit par l’auteur avec les montées de violence brutales. Pourquoi sa fille fait un drame car sa boule de glace est tombée alors que là-bas des enfants sont affamés, torturés ?
On retient enfin l’histoire d’une belle amitié entre deux hommes qui se sont rencontrés en militant pour des causes auxquelles ils croyaient, certes mais qui semblent aujourd’hui des petites guerres par rapport à la vraie.
Tous les personnages sont attachants, Aurore la femme de Georges, et Louise la petite fille qui babille tout le temps alors que son père aimerait qu’elle se taise, mais qui apporte un peu de douceur dans le livre.
Après "Retour à Killybegs", c'est le second livre que je lis de Sorj Chalandon. C'est un livre coup de coeur pour ma part. Il figure dans mon Top 10.
Un roman d’une rare puissance dont la réussite tient, à mon sens, au fait que Chalandon relie constamment l’action de son roman à la tragédie et au mythe d’Antigone.
L’Antigone de Sophocle, certes, mais surtout celle d’Anouilh dont le prologue ouvre le roman « Voilà , ces personnes vont vous jouer l’histoire d’Antigone » et dont l’épilogue le clôt « Et voilà, morts, ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire , même ceux qui ne croyaient en rien ».
L’Antigone d’Anouilh créée à Paris pendant l’occupation en 1942 et que Georges accepte d’aller monter à Beyrouth , comme un « devoir fraternel » rendu à Sam mourant . Une Antigone « ici et maintenant », « une pièce qui doit parler au présent « et que Sam a conçue pour « voler deux heures à la guerre en prélevant un cœur dans chaque camp ».
En replaçant la pièce dans le Liban de 1982, il réactualise le mythe d’Antigone la rebelle et confère ainsi à son roman une forme d’intemporalité et d’universalité. Les interprètes de la pièce sont tués, les uns après les autres, comme les personnages de la tragédie « Après Antigone, Hémon venait d’être tué ». Georges, en une sorte d’identification à Antigone, saupoudre de terre la dépouille d ‘Imane « J’étais Antigone penchée sur Polynice . J’ai répandu la terre sacrée sur son martyre ». Il trouvera la mort en revenant à Chatila pour accomplir un devoir, honorer une promesse .
Le thème du théâtre est omniprésent, en premier lieu par le titre qui renvoie à l’image souvent reprise dans le roman, désignant le mur virtuel qui sépare l’univers des personnages et celui du public. Sam, le metteur en scène, à la fois « grec, résistant, artiste » ; Georges , le militant internationaliste qui a fait du théâtre son « lieu de résistance , son arme de dénonciation » , et qui, avant la rencontre avec Sam, joue pour ceux qu’on exploite ou opprime et dont il veut populariser les luttes « C’est pour vous que nous combattions . Pour vous qui marchez le long des rails. Pour les ouvriers de l’usine Rateau, les grévistes d’Alsthom, les femmes battues, les jeunes méprisés, les immigrés privés d’honneur, les mineurs tout au fond, les marins à leur océan. C’est pour vous, messieurs, camarades, amis »
Un roman riche, qui suit la transformation de Georges au contact du projet, ses hésitations, ses désillusions, les fantômes qui le hantent et sa chute irrémédiable au retour en France. Un roman qui va crescendo, évoquant d’abord les affrontements des années 70 entre les activistes gauchistes et les membres d’Ordre Nouveau lors desquels George est passé à tabac, puis, par un voyage au bout de l’horreur, plongeant le lecteur dans une atmosphère dantesque, celle de l’affolement lors des bombardements de Beyrouth puis celle de la vision insoutenable, glaçante, des corps massacrés dans le camp de Chatila .
Une écriture nerveuse, qui claque comme des coups , pour un roman actuel et intemporel , celui d’une double tragédie : celle d’un pays déchiré , celle d’un homme aux rêves fracassés
"La violence est une faiblesse". Voilà ce que ne cesse de répéter Samuel à son ami Georges. Samuel Akounis le grec, issu d'une famille juive de Salonique décimée pendant la guerre. Samuel le réfugié, rescapé du régime des généraux grecs. La violence, la guerre, il connaît. Certainement mieux que Georges, militant d'extrême gauche peu regardant sur les moyens - souvent violents - pour défendre les causes qu'il conçoit comme justes. C'est le théâtre, la mise en scène qui les rapproche. Le théâtre envisagé comme une arme politique. Georges monte des représentations pour soutenir les combats sociaux qui lui tiennent à cœur. Samuel a d'autres ambitions. Son rêve est d'utiliser le théâtre comme moyen de trêve, de parenthèse dans un pays en guerre. Il veut monter l'Antigone d'Anouilh, créée pour la première fois en France en pleine occupation allemande... Faire jouer ensemble ceux qui s'affrontent sur le terrain. Il choisit le Liban, alors théâtre de douloureux et féroces combats entre multiples factions. Son casting rassemble des acteurs musulmans, chiites, sunnites, palestiniens, druzes et chrétiens. Il a mis deux ans à les identifier et les rassembler.
Nous sommes en 1982 et Samuel cloué au lit par la maladie sait qu'il ne se relèvera pas. Il arrache à Georges la promesse de poursuivre et de concrétiser son projet, quoi qu'il arrive ; ce dernier, très réticent au départ, est soudain obligé de laisser la théorie de côté pour se confronter aux réalités du terrain. Une expérience à la fois belle et douloureuse qui, au fil des rencontres va bouleverser sa vie à tout jamais.
Le quatrième mur, c'est celui que les acteurs érigent symboliquement entre la scène et le public, celui qui peut laisser espérer qu'ils oublient, le temps de la pièce leurs habits de belligérants. Mais quelle peut-être la place pour le rêve face aux atrocités quotidiennes ? Georges s'investit corps et âme dans sa mission au point d'avoir le sentiment de trouver dans chaque communauté "une nouvelle terre. Une nouvelle famille." Une empathie dangereuse qui, alliée aux horreurs dont il sera le témoin le mettra dans l'incapacité de reprendre le cours de sa vie d'avant.
Ce livre est magnifique. Le récit poignant et sans concession du parcours de femmes et d'hommes pris dans une tourmente qu'ils ne maitrisent pas. Un témoignage sur les ravages de la guerre dans une région où malheureusement les conflits sont toujours d'actualité. Superbement servi par une écriture sobre, délicate et rythmée.
"Plus tôt, accompagné de Yassine, un responsable palestinien était venu me saluer. Main dans la mienne, il m'a dit que cette pièce de théâtre était une belle idée. J'ai été soulagé. Un homme, au moins, savait ce que je venais faire dans ce pays. Ce soir-là, je n'étais pas au Liban, pas à Beyrouth, pas même à Chatila. J'étais en terre d'exil. Une parcelle sans air entre deux murs gris. Un ciel bas, strié de fils électriques. J'ai ouvert le carnet de Sam. J'ai tout noté pour lui. Quelques mots sur la majesté des visages. Sur la dureté de certains regards. Sur les cheveux d'Imane, ses mains pâles, sa beauté stupéfiante. A son premier sourire, j'ai su qu'elle serait Antigone".
L'auteur laisse le dernier mot à Antigone et il n'y a rien à ajouter si ce n'est qu'une fois encore, les lycéens ont eu bon goût.
"Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini. Ils sont tout de même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire - même ceux qui ne croyaient en rien et qui se sont trouvés rapidement pris par l'histoire sans rien y comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer à les oublier et à confondre leurs noms. C'est fini." (Jean Anouilh - Antigone - 1942)
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