Au cœur de cette rentrée d'hiver, 5 romans étonnants qui racontent la renaissance et la métamorphose
Au cœur de cette rentrée d'hiver, 5 romans étonnants qui racontent la renaissance et la métamorphose
Père alcoolo, père mourant, père absent
Le personnage principal du nouveau roman de Sophie Bienvenu n'a rien d'un super-héros. Mais Yvan, un gars ben ordinaire, ne veut pas mourir avec des regrets. Sa quête est très touchante.
Quand Yvan reprend connaissance, il est dans un lit d'hôpital. Quelques heures auparavant, il s'apprêtait à regarder la télévision avec Miche, sa colocataire, quand il s'est senti mal. Puis est tombé dans le coma.
Une expérience douloureuse qui le secoue et l'entraîne à dresser son bilan personnel, qui n'est guère reluisant. Lorsqu'il rembobine le film de sa vie, il trouve d'abord quelques aventures, avant de rencontrer Eliane, avec laquelle il a construit sa vie de couple. À 25 ans, il avait «une femme que tous les hommes enviaient, une enfant merveilleuse et en bonne santé, une belle voiture». Pourtant, il restait insatisfait. «J'avais l’impression de vivre une vie qui n'était pas la mienne et de m'être engagé sur des rails qui m’entraînaient à des kilomètres de là où je désirais aller. Mais où désirais-je aller et qui étais-je?» Il divorce, perd le contact avec sa fille Gabrielle.
Maintenant que les décennies étaient venues s'ajouter aux décennies, cette interrogation ressurgissait. Il considère sa fille comme sa grande réussite et, maintenant qu'il se sait condamné à court ou moyen terme, entend renouer les liens avec elle.
Oubliée Miche, qui avait pris du poids et s'était mise à boire, certes moins que lui, mais suffisamment pour détériorer son image. Il décide de partir, de jouer sa propre version de Thelma et Louise. Et s'il est Thelma, alors son chat est Louise. Car après un premier départ avorté, il revient chercher son animal domestique: «J'ai pas pu faire autrement que de m’attacher au chat, il était entré dans ma vie gros comme mon poing, maigre comme une corde à linge, le poil hirsute, les yeux collés, donc ou je m'en occupais, ou il mourait.»
Le taxi le conduit jusqu'au domicile d'Éliane, sans doute l'une des seules adresses à figurer dans son répertoire. Accueilli par Trevor, son nouveau compagnon, ex-hockeyeur, il est le bienvenu, à sa grande surprise. Mais il n'oublie pas son objectif et part retrouver sa fille.
Je me garderai bien de vous dévoiler l'issue de la rencontre, mais j'ai envie de souligner combien Sophie Bienvenu réussit une subtile réflexion sur le rapport père-fille. En construisant son roman sur les émotions ressenties, en mêlant souvenirs d'enfance et expériences actuelles, sans souci de la chronologie, elle met le cœur à nu. Et en jouant sur l'urgence, elle fait tomber les masques. Désormais, il n'est plus possible de se dissimuler: «Moi, je suis né avec plein d'aspérités et de failles où la merde s'est toujours incrustée. Et, à un moment donné, avec tout ça, j'étais plus capable d’avancer. Ça a commencé avant que tu viennes au monde, en fait il me semble que j'ai toujours été comme ça.»
Comme dans Chercher Sam, son précédent roman dans lequel un homme parcourait les rues de Montréal à la poursuite d'un chien, la romancière nous fait entrer dans la tête de son personnage, dans sa volonté d'y mettre de l'ordre. Mission difficile, voire impossible, mais ô combien touchante.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.
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Chacun cherche son chien
La Québécoise Sophie Bienvenu avait connu un joli succès avec ce roman que les éditions Anne Carrière ont eu la bonne idée de publier de ce côté de l’Atlantique. N’hésitez pas à suivre Mathieu dans les rues de Montréal, à la recherche de sa chienne Sam.
Mathieu cherche un endroit où passer la nuit. Il est un «itinérant», comme on dit à Montréal. Les Québécois ont toujours eu le sens du mot juste, celui qui ajoute du sens et de la poésie là où les Français cherchent l’efficacité de l’acronyme, comme SDF. Soulignons donc d’emblée que l’une des grandes forces de ce roman, c’est justement sa langue. Ici l’oralité et le parler québécois donnent au récit un ton à nul autre pareil. Rassurons à ce propos tous ceux qui imaginent devoir lire ce roman un traducteur franco-québécois à la main. On comprend parfaitement cette langue imagée, on la «traduit» à l’aide du contexte et, si vraiment on éprouve le besoin d’une explication de courtes notes de bas de page éclairent certaines expressions. Mais revenons à Mathieu. Si l’on découvre bien plus tard comment il y fini dans la rue, on comprend d’emblée qu’il a déchiffré la sociologie de sa condition. «Les itinérants, tu peux leur donner de l’argent, tu peux leur faire un sourire, ou même leur demander comment ça va, mais tu peux jamais, jamais, jamais les toucher. Parce que t’as beaucoup trop peur que notre misère s’attrape.»
Une misère qui désormais lui colle à la peau et qu’il partage avec sa chienne Sam. Le pitbull lui offre chaleur et affection, sans aucun doute ce dont il manque le plus. Et s’il doit avoir une chance de se reconstruire, ce sera grâce à elle. Alors quand il la laisse seule pendant deux minutes et qu’il ne la retrouve plus en revenant, on imagine la catastrophe que cela représente pour lui.
Désormais, il n’a qu’un seul but: chercher Sam.
Avec Mathieu, on arpente alors les rues de Montréal dans une sorte d’urgence que le style rend parfaitement. On partage sa quête, on espère qu’au détour d’un carrefour c’est la truffe «frouillée» (froide et humide) de Sam qui émergera. Mais après les premières heures, on comprend la difficulté de la tâche. Car aux dangers que courent tous les animaux dans la grande ville, il faut ajouter la mauvaise réputation des pitbulls et les razzias qu’opèrent les organisateurs de combats de chiens. Ce que va découvrir Mathieu fait froid dans le dos. Et ce qu’il livre au lecteur au fil de son introspection sur sa famille et sur l’enchaînement de circonstances qui l’ont mené dans la rue est tout aussi bouleversant, de sa rencontre avec Karine alors qu’il avait 16 ans jusqu’à sa vie de solitaire huit ans plus tard. Sans père, sans mère, sans femme, sans enfant.
Dans sa préface à l’édition canadienne, la romancière et éditrice Marie Hélène Poitras révèle que Sophie Bienvenu a recueilli Mathieu et son chien: «Dans la vraie vie, Sophie l’a aidé à payer les soins vétérinaires de son chien; il s’est confié à elle, lui a raconté son quotidien, ses écueils et petites joies.» Une tranche de vie qui a nourri ce roman dans lequel l’émotion est à fleur de peau et qu’on feuillette le cœur de plus en plus serré. En espérant qu’effectivement, «un jour, Sophie dirigera le chœur des voix qu’elle aura fait naître. Les loups et les chiens des quartiers paumés hurleront à la lune en écho à ce chant. Sophie présidera alors la plus belle chorale qui soit: celle de la parole libérée.»
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Poétique et émouvant. Sensible et délicat.
Condensé d'humanité au goût doux-amer
N'hésitez pas une seconde à lire ce portrait d'un homme qui tente de rester debout .
Sam et sa compagne à quatre pattes ont la rue pour seul domicile. Ensemble, ils essayent de survivre au deuil. Ils sont calmes, gentils dans les rues de Montréal.
Dans une langue crue, avec des mots taillés sur mesure, Chercher Sam s’intéresse aux survivants à travers le parcours d’un jeune sans-abri
L'histoire :
Mathieu vit dans la rue. Sam, sa chienne, l’aide à continuer. Quelque chose le tue, qui n’est pas le froid ou l’indifférence des autres. Quelque chose l’empêche de respirer. Quand Sam disparaît dans les rues de Montréal, Mathieu part à sa recherche et, sans le vouloir, ouvre la porte à ses démons.
Chercher Sam s’intéresse aux survivants. Dans une langue à la fois crue et tendre, @sophie.bienvenu déboîte puis remonte le délicat assemblage de poupées gigognes qui constitue la mémoire humaine, jusqu’au cœur, jusqu’à la plus petite raison d’espérer.
La qualité de la plume transforme cette courte histoire en bijou de valeur. On a envie de rester au côté de Mathieu. Ce livre s'adresse aux personnes qui ont un cœur.
Dès 2014, le roman Chercher Sam de l’écrivaine franco-québécoise Sophie Bienvenu a électrisé les lecteurs et la critique québécoise au point d’intégrer la liste des 100 incontournables de la littérature d’ Ici Radio-Canada. Un succès initialement publié au Cheval d’août que les éditions Anne Carrière proposent désormais de découvrir outre-Atlantique.
Le jour où Mathieu perd sa chienne Sam après l’avoir laissée quelques minutes seule, tout est sur le point de s’effondrer à l’intérieur de lui. Cette compagne de rue est celle qui lui apporte l’amour que nul humain ne lui offre, lui tient chaud dans la rudesse des nuits canadiennes mais également celle qui le rattache d’une façon ou d’une autre à sa vie d’avant. Tandis qu’il part à sa recherche à travers Montréal dont il commence à connaître de nombreux recoins, s’enclenche une quête intérieure à laquelle il n’est pas préparé : celle des choses que l’on tente d’oublier ou que l’on regrette, en somme celle des survivants.
Chercher Sam orchestre son intrigue parfaitement ficelée à plusieurs niveaux. La relation attendrissante entre le narrateur et sa chienne pitbull, ce « gros chien gris » au « collier rose », lance le fil rouge de l’histoire qu’il est assez difficile de lâcher une fois commencée. Au rythme de cette course folle au cœur de la principale métropole de la Belle Province, Sophie Bienvenu décrypte la force des liens qui unit l’homme et l’animal, les suppositions infernales et l’anthropomorphisme délirant pour ne pas perdre espoir quand tout nous échappe mais aussi l’intuition, celle qui sauve. L’écrivaine et poétesse ne le fait pas sans touches d’humour face à la perte de l’animal qui « aurait aimé laisser un mot, mais les chiens ne font pas ça ». Çà et là, la famille et l’amitié prennent un tout autre sens, défient les lois de ce qui se veut conventionnel, explorent de nouvelles formes d’amour filial.
Puis il y a cette double lecture, davantage sociologique et portée sur la question des « itinérants », des « survivants », des laissés-pour-compte de la société à qui l’on ne donne pas la liberté d’être vivant sans se heurter au « dégoût » et au « mépris » des autres. Le narrateur arpente les rues en posant un regard acerbe sur les comportements rencontrés face aux sans-abris et l’hypocrisie assumée qui s’esquisse à chaque geste parce que « les itinérants, tu peux leur donner de l’argent, tu peux leur faire un sourire, ou même leur demander comment ça va, mais tu peux jamais, jamais, jamais les toucher ». Il y a dans la sémantique même de la dénomination « itinérant » l’apport physique et mental de sa définition, l’itinérant vagabonde par la route mais aussi par la pensée : « Je sais que devoir survivre au-dehors, c’est ce qui me fait survivre à l’intérieur. ». Il est une entité toute particulière et invisibilisée.
Chercher Sam est saisissant par son propos mettant intelligemment le doigt sur de grandes négligences au détour d’un récit extrêmement touchant sur une amitié hors du commun. Une adaptation cinématographique du roman est par ailleurs en cours. A lire de toute urgence !
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