"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
J'ai raté mon dernier rendez-vous avec les éditions Vents d'ailleurs, mais je ne voulais pas rester sur un échec, donc je me suis tout de suite replongé dans l'une de leurs publications, et là, bonne pioche. Amateurs de romans africains, précipitez-vous et non-connaisseurs itou. Truculence de la langue, inventions, situations inédites et tellement bien racontées qu'elles forcent le sourire -même lorsqu'elles ne sont pas forcément drôles- et surtout le respect, personnages hauts-en-couleurs. Tout est très bien dans ce roman -si je fais exception d'un grand nombre d'intervenants qui peuvent devenir difficiles à reconnaître et d'un peu de longueurs, de répétitions de situations évitables et qu'on peut donc passer un peu plus vite.
Je reprends dans l'ordre : la langue : du français mâtiné d'expressions, de tournures très personnelles, de trouvailles, d'inventions qui rendent ce texte vif, moderne, enlevé, joyeux. Lorsque Belladone parle, c'est fleuri et encore compréhensible : "Quand je suis arrivée chez le Maître, il n'y avait que des hommes et, les premières nuits, j'ai dormi au salon avec Séraphin, parce qu'il était encore petit. Mais il a grandi. Les autres ont eu peur que nos mains n'aillent explorer sous l'obscurité ce que devenaient nos biologies avec les intrigantes tectoniques de nos pubertés respectives." (p.53) Lorsque Le Cheminot prend la parole, on est averti avant que "Cet homme massacre laborieusement la langue de Molière. Prière de ne retenir que l'idée de ses phrases et, surtout, de bien vouloir éloigner les enfants en scolarité, pendant qu'il témoigne." (p.73) Parce que n'oublions pas, ce roman est une émission de radio en direct, et lorsque les témoins débordent sur l'aspect politique, économique, sur des sujets qui gênent le pouvoir, eh bien le speaker reprend la main et passe une chanson pour couper court à toute interprétation contre le pouvoir, ou intervient pour remettre le propos dans le sens qui plaît, celui à la gloire du pays, cet animateur-radio interventioniste est l'une des trouvailles de Sinzo Aanza qui augmentent l'intérêt du livre. Et pour revenir au Cheminot, il est vrai qu'il a un langage très personnel, l'avertissement n'est pas vain ; et donner à chaque intervenant un langage reconnaissable est une très bonne idée de l'auteur, ce qui permet de se retrouver un peu mieux dans leur grand nombre et leur diversité.
Je parlais également de personnages truculents, eh bien nous sommes royalement servis : forts-en-gueules, exubérants, travailleurs du matin au soir pour tenter de gagner plus, ils sont directs, francs et parfois trop, jusqu'à la confrontation ; en cela les femmes ne sont pas en reste qui attisent la fatigue et la jalousie des hommes. Iceux, souvent bigames ne peuvent pas supporter que leur virilité, leur masculinité soient contestées voire seulement mises en doute, ce qui donne naissance à quelques altercations et même une arrestation assez mouvementée racontée par Le Cheminot qui prend une allure tragi-comique, mais plus comique que tragique. Chacun témoigne de la difficulté de vivre dans des conditions précaires, dans des habitats insalubres; tentant de garder son humanité malgré les conditions de vie. Avant, c'étaient les colons qui avaient richesse et pouvoir, puis les dirigeants au temps du Zaïre, et maintenant ce sont les Chinois arrivés en force en Afrique et la mondialisation qui dictent leurs règles économiques, et toujours les pauvres payent.
Sinzo Aanza écrit là son premier roman. Il vit en République Démocratique du Congo, j'ai même lu je ne sais plus où, qu'il vivait à Lubumbashi, ville qui, avant 1965, se nommait Elisabethville et qui est connue pour être la capitale du cuivre.
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