"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
"Une chaîne de Markov est un processus mathématique permettant de modéliser des scénarios futurs à partir de l'observation du présent. Ce processus ne prend pas en compte le passé; il est dit sans mémoire". Ainsi débute le livre, par ce préambule. Utilisée notamment en politique économique et en météorologie, peut-on aussi l'utiliser dans la vie d'un couple et anticiper l'avenir ? Rien de tout cela.
Sans passé, sans explications psycho-causales, l'auteur nous déroule la vie d'un couple lambda par un focus sur des instantanés aléatoires de celui-ci, de leur rencontre à la quarantaine passée avec une écriture vive et directe, qui ne s'embrasse pas de provocation. Parfois cru sans vulgarité, parfois drôle, parfois mélancolique, parfois d'une violence policée dans le regard porté sur l'autre, le couple n'obéit à aucune loi même si d'emblée les choses sont pliées. S'il y a le couple d'Eve et d'Ezra comme sujet d'écriture et de réflexion, les personnages secondaires, par petites touches discrètes, sont tout autant réflexifs : Florence et Robert / Sybille et Côme / Camille / Alice et Pierre...
C'est une balade mélancolique sur une dynamique stylistique superbe. Les instantanés du couple sont organisés en chapitres, tous cohérents et se faisant écho. Rien n'est superflu. Aucune lourdeur, aucune morale, aucune réponse. De là nait un paradoxe à la lecture de ce livre : sciences versus intuition ? Même pas. Aucune réponse, aucun algorithme, aucune chance si ce n'est le doute au début de la relation. Est-ce là l'explication d'un couple ? Vous n'aurez, là encore, aucune réponse.
En parallèle, l'auteur n'a pas peur d'aborder de manière concise, avec fluidité et sans filtre, des sujets comme la religion au niveau familial, les carcans de classes sociales, des choix politiques aberrants d'un gouvernement pourtant de gauche, la France du vide, la sexualité.
Mention spéciale à la touchante Sybille (soeur d'Eve, la protagoniste) ; au Chapitre 11 "Man vs Wild" qui est un ovni dans l'œuvre mais tellement désopilant ; et au concept fluide de "point absorbant".
Les apartés "sms" et les monologues intérieurs sont d'une précision et d'une honnêteté qui nous laissent subjugués, le tout mené par une énergie ancrée dans notre présent.
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"Un texto : T'es où ? Je ne l'envoie pas. Un autre, moins agressif : Qu'est-ce que tu fais ? Je ne l'envoie pas. Un autre, plus sincère : Si tu savais la répugnance que je peux éprouver à l'égard de toute ta personne. Lâche, je ne l'envoie pas non plus. C'est étonnant, de vivre avec une personne, de se réveiller chaque matin contre son corps chaud et endormi, d'être capable d'analyser sa personnalité, son histoire, l'ensemble de son être et d'émettre à ce sujet, au sujet de cet ensemble à côté duquel on se réveille chaque jour, un jugement purement négatif et vaguement haineux" (p. 213)
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