"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans une société post changements climatiques, la majorité des survivants s’entassent sur des villes flottantes divisées en bras. La situation sociale s’identifie facilement en fonction du bras sur lequel on vit, preuve ultime que l’humanité n’a rien compris et garde comme priorité un système d’enrichissement d’une minorité de privilégiés qui ici gèrent les biens fonciers. Ce monde est très bien pensé et intéressant en soi et il gagne en force au fur et à mesure.
On suit plusieurs points de vue piochés dans toutes les couches de la société. Ca donne une vision complète de la cité et crée une fresque sociale captivante. Aux aspects sociaux avec misère et migrations s’ajoutent une épidémie et l’arrivée d’une femme liée à une orque et un ours. Ces deux points participent la complexité et l’intérêt de l’univers. Niveau épidémie, les failles, forment un mal qui rappelle le sida avec tout ce qu’il y avait de panique et d’informations tronquées sciemment ou non. La transmission sexuelle seule permet de pointer du doigt les personnes aux comportements « déviants ». Il est donc plus facile de glisser sous le tapis le fait que c’est bien plus large ce qui permet de faire perdurer le sentiment que les malades l’ont cherché. Le traitement de ce point est encore plus réussi que l’aspect sociétal. Du côté de la femme liée avec un animal, on a plusieurs intérêts : une vision externe, un moyen de détourner les gens de leur quotidien et un aspect autour de l’intolérance et des manipulations génétiques. Tout n’est pas parfait dans ce roman mais j’ai aimé cette lecture. La mise en place est lente et on commence à se demander quand les différents personnages vont enfin former un tout. Et puis surtout dans mon cas, Il y a un choix qui est responsable du fait que je n’ai pas pleinement apprécié cette lecture. L’auteur a mis un personnage non binaire mais il n’est pas assumé pleinement comme tel dans la traduction française. J’ai trouvé en ligne que l’auteur, l’éditeur grand format et la traductrice s’étaient mis d’accord sur la façon de nommer ce personnage en utilisant « ils » pour traduire le « they » neutre anglais et la raison évoquée ne m’a pas convaincue. Un personnage non binaire surtout en science fiction où tout devrait être possible ça ne se camoufle pas en faisant une traduction littérale qui laisse à penser qu’ils sont plusieurs. Si votre niveau d’anglais vous le permet, j’aurais tendance à vous conseiller la lecture en version originale pour éviter ce pluriel pour un personnage unique. En tout cas, si on arrive à composer avec ce « ils », la cité de l’orque est un roman qui mérite d’être découvert.
« Ce qui se disait : elle était venue à Qaanaq dans une embarcation que tirait une orque harnachée à la manière d'un cheval. Dans ces récits qui, dans les jours et les semaines qui suivirent son arrivée, se firent de plus en riches d'incroyables détails, l'ours blanc cheminait à son côté sur le pont du bateau éclaboussé de sang. Le visage de la femme était tendu, furieux. Elle portait une armure de combat constituée d'épaisses feuilles de plastique et de récupération. (...) Les doigts de la femme se déplaçaient, nerveux, agiles, le long de la hampe de sa lance sculptée dans une défense de morse. Venue à Qanaaq pour accomplir un effroyable crime, elle brûlait de passer à l'acte. »
Ce sont les premières phrases. Percutantes, cinématographiques, énigmatiques avec ce souffle épique qui emporte illico. Tout le scénario tourne autour d'une vengeance familiale. La distribution est soignée autour Masaaraq, la mystérieuse guerrière de l'incipit, qui ne réapparait qu'à mi-livre, très habilement alors que plane son aura.
Ce qui est incroyablement réussi ( surtout pour moi qui ne suis pas une lectrice experte de SF ), c'est son worldbuilding d'une grande inventivité. Tu es plongé dans un monde post – apocalyptique qui reprend les codes du cyber-punk qui se dévoile petit à petit jusqu'à immersion totale : Qanaaq, une cité flottante privée, contrôlée par de riches actionnaires, où s'est réfugiée une humanité migrante suite à la dévastation du monde par des catastrophes écologiques. Tout est plausible, intelligent et cohérent tant tout semble possible, pas de cyborgs ou de délires futuristes, oui le monde actuel en pleine décadence pourrait donner ça. Ce roman pousse à la réflexion.
Du coup l'auteur aborde un nombre fou de thèmes très contemporains qui font forcément écho, peut-être trop, certains auraient mérité plus de profondeur, mais qu'importe, on y croit : changement climatique, sort des migrants, lutte des classes, machinations politiques des méga-riches capitalistes pour conserver et accroître leur domination, homosexualité , révolte, violences ...
Il y a de superbes idées comme cette maladie des failles, proche du sida car sexuellement transmissible, qui transmet à son porteur les souvenirs de la personne qui l'a contaminée, eux-mêmes enrichis des souvenirs du contaminateur précédent en une chaîne vertigineuse. Comme le personnage de Maasaraq l'orcamancienne, issue d'une tribu qui a subi un génocide après avoir été utilisée pour des expériences médicales qui a nanolié ses membres à des animaux, ce qui en fait des êtres plus complètement humains mais hybrides. Comme ce podcast « La ville sans plan »qui ponctue le roman avec ses allures prophétiques très poétiques.
Le point faible est sans doute les facilités scénaristiques pour rassembler les personnages principaux dans une même quête, adversaires ou alliés. L'auteur abuse de raccourcis et « hasards » un peu trop nombreux pour être réalistes. Il a également tendance à vouloir rendre la lecture plus complexe qu'elle ne devrait : il faut être très concentré pour ne pas se perdre dans les relations entre les personnages dans Qanaaq alors qu'au final, elles se révèlent très simples.
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