"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le récit autobiographique de Saïd Sayrafiezadeh est un monument d’humour pince sans rire, farfelu ; l’humour du désespoir à la Woody Allen, tout en étant une peinture du monde contestataire américain.
Nous sommes dans les années 70-80. Saïd Sayrafiezadeh a tout pour rater ou compliquer sa vie. Un père iranien, une mère juive, l’ensemble est déjà explosif. Ajoutez qu’ils sont trotskistes purs et durs, membres du Parti Socialiste des Travailleurs et ce, aux U.S.A. berceau du capitalisme. Le père les abandonne puis retourne en Iran où le Shah vient d’être renversé. Imaginez le père barbu, chevelu se présentant aux élections présidentielles au pays des futurs Ayatollahs!
L’enfance de l’auteur ne fut pas très, très, gaie, mais que peut-il faire face à l’Idéal, face à une mère abandonnée, dépressive, totalement à côté de la plaque, mais toujours militante. S’écouter dire par sa mère qu’il ne pourra avoir un skateboard, le rêve pour un petit garçon, que lorsqu’ils seront gratuits ; Ou que vous ne pouvez manger du raisin pour cause de boycott du Syndicat des Ouvriers… ça vous forge un caractère ou vous flingue.
Martha seule continue de militer et distribuer le journal accompagnée de Saïd, et, pour vivre son apostolat socialiste, ils habitent des appartements miteux, des quartiers pauvres et sordides « La différence entre les autres familles pauvres du quartier et nous, c'était que notre pauvreté était volontaire. C'était une succession de choix, et non une réalité à laquelle on ne pouvait échapper. ». Avec son patronyme et les évènements iraniens, il ne colle plus dans le paysage scolaire. Il découvre le racisme, l’ostracisme et l’exclusion auprès de ses camarades de classe, même ceux qu’il prenait pour ses amis. Quoique le racisme, la ségrégation il les vit au quotidien puisque les blancs sont dans des classes « avancées », alors que les noirs se trouvent d’office dans les classes dites « normales ».
« La séparation était absolue. Même les rares fois où les élèves noirs et blancs se retrouvaient –au déjeuner, à la gym, pendant la formation professionnelle-, ils discutaient à peine entre eux. »
Ce livre est une véritable plongée dans le monde de l’opposition au modèle capitalisme. Une autre face de ce pays où il ne fait pas bon vivre lorsque l’on est noir, pauvre… ou syndicaliste de gauche. Saïd Sayrafiezadeh met beaucoup d’amour, d’humour de dérision pour nous donner à lire un bon livre. Surtout ne comptez pas sur lui pour geindre sur l’enfant abandonné, délaissé sur l’autel de la lutte des classes qu’il fut.
Né d'un père iranien et d'une mère juive new-yorkaise, le petit Saïd rêve d'un skateboard mais sa mère n'a pas les moyens de le lui offrir. Cela importe peu puisqu'un jour les skateboards seront gratuits. Quand la révolution des travailleurs aura vaincu le capitalisme, les patrons, les propriétaires, les salauds de riches perdront leurs privilèges et tout le monde pourra disposer d'un skate à sa guise. En attendant ce jour béni, il faut réveiller la conscience du peuple. Et les parents de Saïd s'investissent à fond dans cette tache. Le père quitte sa femme, appelé par la révolution, aux Etats-Unis, puis en Iran où le Shah est sur le point d'être chassé du pouvoir et du pays. Et la mère distribue des tracts, assiste à des réunions, des meetings, des manifestations, bref, est sans cesse là ou le parti des travailleurs socialistes a besoin d'elle. De New-York à Pittsburgh, de logements insalubres en quartiers mal famés, la mère célibataire, militante avant tout, entraîne son fils dans le sillage des causes à défendre, certaine qu'un jour, quand elle sera à la hauteur de ses engagements politiques, son mari reviendra vers elle. C'est ainsi que Saïd grandit, privé de skateboard, privé de raisin quand les ouvriers viticoles sont en grève, privé de ses frère et soeur enrôlés très jeunes par le Parti, privé de ses parents appelés par la cause, obligé de se construire avec une vision du monde faussée par les idéaux politiques de sa famille.
Avec une bonne dose d'humour et de lucidité, Saïd SAYRAFIEZADEH raconte son parcours de fils de militants communistes dans l'Amérique des années 70/80. Né dans une famille atypique et décomposée où la Cause prime sur le bien-être, il s'est construit dans l'antagonisme entrre les valeurs socialistes et les convictions du reste de la population américaine. Quand chacun rêve de réussir, de posséder, de s'enrichir, sa mère vivait pauvrement par choix, renonçant à une carrière d'écrivain pour servir le Parti. Quand ses camarades de classe soutenaient la politique extérieure des Etats-Unis, lui, était pris en otage entre la lutte révolutionnaire, ses origines iraniennes et sa volonté de s'intégrer. Difficile de garder ses amis quand en Iran, des américains sont pris en otage et que l'on est désigné comme coupable car portant un nom exotique. Privée d'un foyer stable, la tête farcie de slogans politiques, Saïd s'interroge. Ils vivent dans des appartements lugubres partageant les conditions de vie des travailleurs mais ne seraient-ils pas plus heureux dans une maison luxueuse comme celle de son oncle, écrivain reconnu? La révolution arrivera-t-elle plus vite s'il ne mange plus de raisin alors qu'il en a terriblement envie? Faut-il dénigrer le mode de vie privilégié des américains quand les cubains vivent de peu mais sont heureux grâce à Fidel Castro? Le jour où les skateboards seront gratuits, chacun pourra-t-il en profiter ou les considérations matérielles seront-elles secondaires au regard de la félicité acquise? Entre un père absent et une mère occupée à militer, Saïd saura trouver sa voie, prenant le meilleur (la tolérance, l'anti-racisme, la lutte pour les plus démunis, le combat contre les injustices) et composant avec le reste.
Chroniques disparates, souvenirs épars, espoirs et désillusions, idéaux et convictions, l'auteur livre un roman qui fait sourire mais aussi réfléchir et que l'on quitte avec tristesse. Si Philipp Roth et Jonathan Tropper avait un fils, pour sûr, il aurait la verve de Saïd SAYRAFIEZADEH!
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