"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Au début de Djinn City nous est présenté Indelbed, un jeune garçon de dix ans dont le père, ivrogne notoire, est le docteur Kaikobad ou docteur B C Khan Rahman et dont la mère est morte en lui donnant naissance. Le jour où Rais, cousin d'Indelbed révèle la non-scolarisation de celui-ci à la famille, l'affaire est aussitôt portée devant le grand-oncle Sikkim. Et quand Kaikobad va tomber dans un étrange coma, sa tante July va prendre l'affaire en main. Bientôt Indelbed découvre que sa mère était une djinn et son père un adepte de l'occultisme, un magicien et qu'il était émissaire auprès du monde des djinns.
Comme vous aurez compris, nous allons rentrer dans un monde imaginaire, un monde fantastique avec des djinns qui règnent sur terre en toute discrétion, se partageant entre Marids, Efrits et Goules, avec des nephilims, des êtres mi-humains mi-djinns...
Aventures peuplées de dragons, de vaisseaux spatiaux, de sous-marins russes, nombreuses manigances, manipulations génétiques et aussi des réflexions politiques avec opposition entre les créationnistes et les évolutionnistes, réflexions sur le changement climatique dans un pays, le Bangladesch, déjà concerné, tous ces thèmes, certains faisant écho à notre actualité composent ce roman délirant de la fantasy asiatique, réussissant une belle alchimie entre l’étrange et le merveilleux.
Je ne suis pas fan de science-fiction, ni de fantastique loin de là, et j'avoue m'être parfois mélangée un peu les pinceaux avec toutes ces créatures que je n'ai pas l'habitude de côtoyer. Pourtant, contrairement à ce que je pensais ce livre au ton décalé, ou plutôt cette brique de 568 pages ne m'a pas du tout ennuyée, bien au contraire, il m'a emportée dans un monde imaginaire souvent déjanté, rappelant parfois celui dans lequel nous vivons, m'obligeant à tourner les pages plus vite que je n'aurais pensé. Je suis ressortie de ce livre complètement décoiffée !
Grâce aux éditions Agullo que je remercie, j'ai découvert Saad Z. Hossain, cet auteur qui vit au Bangladesh et qui a un talent certain pour mêler drame, humour, humour noir, noirceur et aventures et un vrai talent pour l'absurde.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Revenons quelques années en arrière : début des années 2000 , Georges W Bush est Président des USA et il a décidé d'avoir la tête du dictateur Saddam Hussein qui d'après lui serait en lien avec avec al Qaîda , auteur des attentats meurtriers de New York . Alors tous les moyens sont bons pour envahir l'Irak , comme ces soient disant armes de destruction massives qui seraient cachés dans le pays . Aidé de ses alliés - la force de coalition - il va mettre à bas le régime baasiste et conquérir l'ensemble du pays en quelques semaines . Mais la fin de Saddam Hussein va laisser place à un chaos permanent comme à des guérillas entre factions rivales et contre les armées de la coalition .
C'est à ce moment-là - en 2004 - que débute cette histoire extraordinaire . le récit d'une équipée totalement hétéroclite dans un Bagdad en ruine avec un ancien tortionnaire de l'armée baasiste (Hamid) , un ancien prof de mathématiques (Dagr) et un trafiquant d'armes va-t-en-guerre (Kinza) . Au coeur de la mégapole dévastée , de tunnels sous terrains en couloirs labyrinthiques va alors démarrer pour notre trio bigarré une sorte de road movie permanent pour tenter de survivre et échapper aux forces du mal représentée ici par les factions de l'imam Hassan Salemi . Leur progression pourrait aussi les emmener vers la découverte inespérée d'un trésor laissé par l'ancien régime à Mossoul . Qui sait ? Leur périple va quoi qu'il en soit mettre sur leur chemin périlleux , rempli d'embûches , des personnages étonnants voire quelque peu insolites comme ce sergent américain Hoffman , une sorte d'électron libre moins naïf qu'il en a l'air , un ancien membre des services secrets irakien retors , un géant d'une force incroyable ou un vieillard mystérieux . Un équipage anarchique et contre-nature mais parfaitement décidé à s'en sortir coûte que coûte .
Je dois dire avoir été complètement bluffé par le roman de cet auteur du Bangladesh , inconnu de moi jusqu'à cette lecture . Epopée guerrière , conte fantastique ou aventure mystique et philosophique ? Ce roman est un peu tout ça . Il ajoute une savoureuse dose d'humour et d'absurde « so british » comme quelques moments de grandeurs figés dans le temps et l'espace dans cet univers si instable et si incontrôlable où vos amis d'aujourd'hui peuvent devenir vos ennemis de demain . Une mise en scène qui prône l'axiome du mouvement permanent pour la plus grande joie du lecteur mais pour la plus grande fatigue de nos héros , Dagr et Kinza , qui savent que l'action est leur gage de survie .
Que dire des personnages ? Quel casting incroyable ! Alors que certains semblent sortir d'un conte des mille et une nuits d'autres sont d'un réalisme frappant . Mais l'habileté supplémentaire de l'auteur est d'avoir su comment les mélanger afin de nous proposer un cocktail des plus détonant .
De l'action . du suspens . du merveilleux . Que dire de mieux ? Bravo l'artiste !
"Prenez une ville ravagée par la guerre : Bagdad, 2004. Prenez deux types ordinaires qui tentent de survivre ; ajoutez un ex-tortionnaire qui veut sauver sa peau, un trésor enfoui dans le désert, un GI bouffon mais pas si con.
Incorporez un fanatique religieux psychopathe, un alchimiste mégalo, une Furie et le gardien d'un secret druze.
Versez une enquête millénaire dans un chaos meurtrier chauffé à blanc ; relevez avec sunnites, chiites, mercenaires divers et armée américaine. Assaisonnez de dialogues sarcastiques et servez avec une bonne dose d'absurde." (4ème de couverture)
Pourquoi se priver d'un tel résumé pour écrire le mien qui ne serait pas à la hauteur ? Et puis, franchement, c'est parfois tellement délirant que se raccrocher à un résumé fait maison permet de revenir sur terre. En effet, pour être totalement honnête, je me dois de dire que je n'ai pas toujours tout compris dans ce bouquin. Il y a beaucoup de personnages qui se poursuivent se cherchent, se combattent, s'entraident ; ils sont tous ennemis, mais parfois alliés dans la lutte contre l'un d'entre eux... Et pour couronner le tout, Saad Z. Hossain distille les informations qui nous permettent de bien comprendre son intrigue au fil des pages, petit à petit. Au départ, je fus donc un peu perdu, puis les explications arrivent partiellement mais sûrement. C'est diablement futé de la part du romancier qui nous embarque gentiment et furieusement dans son univers. Car, malgré tout ce que je viens de dire, jamais l'envie de quitter Bagdad et ce roman ne m'a effleurée. Le rythme est tellement enlevé, les dialogues tellement frappants, drôles et décalés, les personnages tellement énervés, désespérés, prêts à tout pour défendre leur cause, le contexte tellement fort et puissant, l'ensemble frôlant l'absurde, que pour rien au monde je n'aurais abandonné ce livre. Au contraire, une prodigieuse envie de connaître l'issue de toute l'aventure s'est introduite en moi -rien de sale, ni de pornographique, je rassure mes lecteurs- dès le début sans me lâcher. J'ai pris une claque tout du long. L'auteur ne se refuse rien ni de parler d'amitié, d'amour, de mort, de vengeance, de croyance mystérieuse, de religion, d'intolérance, de peur, de haine, de l'envie du pouvoir qui amène à toutes les compromissions (cf. certains de nos candidats) à toutes les veuleries, ni de délirer totalement, ou de placer dans cette guerre des personnages très étonnants voire surnaturels.
C'est un roman violent qui se déroule dans une ville en guerre et en ruines. Tous les protagonistes sont devenus durs mais pas insensibles, violents. Il y a de grandes scènes assez terribles, toujours contrebalancées par des situations comiques, absurdes, des dialogues drôles, parmi eux, le suivant :
"T'es gay Tommy ?
- Pas du tout Hoff. J'aime les femmes. Tu te souviens de ce bar de danseuses où on est allés, là où j'ai descendu la stripteaseuse dans son habit de bonne sœur ?
- Euh, fit Hoffman. Ce n'était pas un bar à danseuses, Tommy. Loin de là. Comment je le sais ? Il n'y a pas un seul club de strip dans tout Bagdad. Et il ne s'agissait pas non plus d'un costume de nonne. Mais d'un hijab. Et, pour finir, Tommy, ce n'était pas une stripteaseuse. Mais alors, pas du tout." (p.73)
Un grand moment de littérature, un de ceux qui restent en mémoire longtemps pour tout ce qui y est excessif. Un roman fou, foisonnant, des idées à chaque page. Un premier roman d'un auteur et journaliste bengali (du Bangladesh) dont je me demande bien d'abord s'il a l'esprit sain mais surtout si son second roman -et les autres- sera aussi barré. Merci aux éditions Agullo pour cette découverte -une de plus à leur actif- et pour la traduction de JF Le Ruyet, du travail d'orfèvre !
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