"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Qui ne connait pas « le Violon d’Ingres » de Man Ray ? Peu d’entre nous. Mais que sait-on de l’artiste ? On sait généralement qu’il est photographe, américain, dadaïste puis surréaliste. Ses expérimentations aux côtés de Marcel Duchamp, puis d’André Breton, l’ont amené à tâter de la sculpture, de la peinture, de la photographie, du cinéma. Si bien que ses œuvres annoncent aussi bien les emballages de Christo que les accumulations d’Arman, ainsi qu’un grand nombre d’autres œuvres de la seconde moitié du XX° siècle.
Mais ce catalogue qui accompagnait l’exposition éponyme au Centre Pompidou en 2010, nous dévoile un tout autre aspect de la production photographique d’Emmanuel Rudzitsky (sa véritable identité). L’art du portrait est donc le centre de cette étude et, à certains moments, cela relève de la révélation (ce qui est normal quand on parle de photographie).
Evidemment, ce juif d’origine russe, né en 1890, nous a laissé des souvenirs émouvants de ses amis artistes : Marcel Duchamp (au naturel et déguisé), Max Ernst, Salvador Dali (un cliché éclaté), Victor Brauner, Juan Gris, Giorgio de Chirico. Et certains de ces portraits sont devenus emblématiques de l’époque et des avant-gardes artistiques. Mais les plus célèbres sont ceux de Kiki de Montparnasse, de Lee Miller ou de Meret Oppenheim, ses modèles féminins préférés, qu’il prit plaisir à dénuder. Et l’érotisme surréaliste d’exploser.
Mais ici, rien de ceux-là mais plutôt de vrais portraits réalisés à la commande, destinés à la presse, aux revues d’art ou de mode. Le catalogue s’ouvre sur la période parisienne où, de 1921 à 1940, il photographie Berenice Abbott, Balthus, Louis Aragon, René Crevel, Paul Morand. C’est un véritable cortège de vedettes : Ernest Hemingway, Léonard Foujita, James Joyce, Georges Braque, Pablo Picasso, Jean Cocteau. Mes préférées ? La peintre Léonor Fini et (déjà) un chat ; Erik Satie et son sourire moqueur ; Virginia Woolf dans toute sa sobriété, se livrant presque ; et Artaud, sombre et monumental. La plus étonnante, si ce n’est pas la plus intrigante, celle où se trouvent dans le même costume Jean Cocteau ET Tristan Tzara. La galerie est tellement fastueuse qu’elle devient, au fil des pages, le juste reflet du monde artistique et intellectuel du Paris de l’époque. Mais Man Ray intercale, de temps à autre, le portrait d’un modèle, d’un musicien, d’une danseuse à la mode, voire d’un travesti. Il n’est donc absolument pas étonnant que le Maharajah d’Indore, épris d’Art déco et des œuvres de Constantin Brancusi, lui demande un portrait, en smoking, la cigarette à la main. De 1940 à 1950, à Los Angeles, il évolue dans les studios d’Hollywood et, devant son objectif, se suivent Leslie Caron, Ava Gardner, Jean Renoir, Dolores del Rio. Des écrivains également : Thomas Mann, interrogateur, et Henry Miller, narquois et coquin. Puis retour à Paris, pour les dernières années, pour une série de photographies en couleurs, très peu connues car très peu reproduites : une jeune Annie Cordy, même chose pour Line Renaud, Luis Mariano, Dario Moreno, Yves Montand et (la pépite !) Juliette Gréco.
Les essais introductifs nous expliquent pourquoi certains portraits de Man Ray sont passés à la postérité pour devenir de véritables icônes de la photographie moderne. Ailleurs sont analysés les liens très étroits de Man Ray avec la presse, des publications d’avant-garde aux revues de mode (Vogue, Vanity Fair), en passant les hebdomadaires d’actualités.
Le tout se clôt par une bibliographie suffisamment conséquente pour ouvrir de nouvelles pistes aux chercheurs. Sans oublier l’autobiographie de Man Ray intitulée « Autoportrait », document de base pour approcher l’esthétique de l’artiste.
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