"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La bande dessinée culte de Nicolas Dumontheuil s’ouvre sur de la brutalité pure. Lucien manque de se faire écraser, exprime sa détestation de la campagne et se fait insulter par une bande d’enfants. Cela augure le reste de son parcours. Lucien sera bousculé, malmené et complètement perdu dans ce village meurtri. L’auteur réunit dans ce coin paumé tous les plus grands défauts humains et une vague d’assassinats. Peu à peu, le village se meurt parce qu’il s’entretue.
Au-delà de l’intrigue que tentent de résoudre certains personnages, Nicolas Dumontheuil s’intéresse à la folie collective. Cet état qui génère des comportements absurdes est né de la disparition de l’Idiot, point central d’un certain équilibre dont la mort a révélé l’importance cardinale. Dans cette BD, tout fout le camp. Les êtres d’abord. Les lieux, ensuite. L’église manque de disparaître pour cause de d’effondrement géologique. La vérité elle-même s’évapore ponctuellement, devenant une variable d’ajustement des faits (au moment de la rédaction de cette BD, on ne parle pas encore de fake news). Lucien lui-même erre dans cette histoire en quête d’inspiration et d’une idée. C’est donc tout un monde qui perd pied et l’auteur manie avec ironie tout ce chamboulement. On sourit tout en étant refroidit par ces visages patibulaires. Nicolas Dumontheuil avance avec habileté sur le fil de l’humour noir.
Finlande, 1981, Raphaël Juntunen monte dans le grand nord, pour cacher des lingots d'or et échapper à son complice bientôt libéré de prison. Mais même en cet endroit, il n'est pas tranquille. Le Major Remes qui veut prendre une année sabbatique et reprendre des études et éventuellement limiter sa consommation d'alcool et accessoirement s'éloigner de sa femme, l'y rejoint, car par hasard il a entendu parler de ce touriste, et par curiosité. Bientôt ils s'installent tous les deux dans une cabane de bucherons vide, et la vie s'organise.
Pour être complet, je dois préciser que cette bande dessinée est l'adaptation d'un roman d'Arto Paasilinna (traduit par sa traductrice quasi attitrée Anne Colin du Terrail), ce qui de fait d'elle une BD drôle, avec des personnages farfelus aux aventures folles. Les livres du romancier et donc cette BD fourmillent de trouvailles, de folie, de rebondissements et de personnages inattendus qui peuvent parfois arriver inopinément pour le plus grand bonheur du lecteur que je suis qui, je le confesse, serait un poil déçu si aucune de toutes ces surprises n'arrivait.
BD de la découverte de la relation amicale, de la mise en avant de la nature, du grand nord, de la neige, des traditions finlandaises, un peu secouées quand même par des trublions et les événements. 144 pages en bichromie, non pas noir et blanc, mais brun et blanc. Le trait est appuyé, net, un rien enfantin, ce qui rajoute une dose humoristique. Des passages franchement hilarants comme celui où Raphaël parle de son aversion pour le travail : "Je trouve les emplois honnêtes détestables. C'est humiliant de bosser pour quelqu'un qui vous paie, en plus. et puis, c'est fatigant. Les bourreaux de travail m'ont toujours fait pitié." (p.52). Et la suite du dialogue n'est pas mal non plus sur son manque totale de conscience : "Je peux voler n'importe quoi à n'importe qui sans aucun remords. Bien sûr, je ne volerais pas une petite vieille ou un clochard, mais c'est surtout parce qu'il n'y a rien à prendre." Ce qui rend ces propos encore plus drôles c'est l'espèce de candeur et d'honnêteté -si si- qui se dessine sur les traits de Raphaël à ce moment-là.
Excellent album à mettre entre toutes les mains. Franchement j'adore, l'histoire bien sûr, mais aussi le dessin et tout ce qui s'en dégage et quelle belle idée que d'adapter les romans fous d'Arto Paasilinna.
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