"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Plongée en apnée dans l'univers des trappeurs et de la taïga ! évasion garantie
Habillez-vous chaudement, très chaudement, prenez bottes fourrées, bonnet, pardon chapka, écharpe, gants (surtout ne pas les oublier) et suivez-moi, nous allons au nord de Novossibirsk, à Bakhta et ses environs. Vous allez faire un superbe périple.
Je viens de faire une lecture qui m’a empli les yeux, un voyage avec les mots de l’auteur.
Mikhaïl Tarkovski raconte cette région qu’il a choisie pour y vivre, fonder sa famille. C’est un pays dur où le froid hivernal n’a rien à voir avec nos moins dix degrés ou les quinze centimètres de neige qui font s’arrêter la vie parisienne. Non, là, la température descend jusqu’à moins cinquante ! La vie est rude, réchauffée à la vodka qui, bouteille après bouteille enivre les hommes.
Ils sont tous chasseurs, pêcheurs, vivent avec la nature. Vous rencontrerez Petrovitch qui, après une énième engueulade avec sa femme, décide de retourner dans sa région, mais l’Ienisseï le rattrape. Pavlik se fera une joie de vous montrer et, peut-être, monter à bord de son Ob bleu ou sa « Bourane jaune, équipée d’un projecteur, et dont la capote était ornée du loup du dessin animé « Nou pogodi ! » »
Il y a aussi tiotia Nadia (grand-mère Nadia) « Vieille femme toute petite, à la tête d’oiseaux, dépourvue de sourcils ». Une femme courageuse, bosseuse qui « n’aimait ni les poltrons ni les paresseux ni les mollassons ». Elle pose encore des pièges, aime régaler son prochain de confiture, croquettes, bière maison, poisson grillé.
Nicolaï lui, sent qu’il ne peut plus allez chasser sans se mettre en danger. Il « sentait de tout son cœur usé qu’il perdait quelque chose d’essentiel, de vital. »
Les habitants vivent au rythme du fleuve, Au printemps, « Un claquement fort retenti comme un coup de feu, un vol de canard passe, et voilà que se met en mouvement l’énorme Ienisseï avec sa glace salie que plus personne ne supporte, ses chemins fondus, ses trous marqués par des perches, une longue fente apparaît où brille de l’eau, la glace s’échoue sur les rives dans des craquements et des grondements ». Encore un hiver passé.
Et puis, il y a Tania, Tania qui fait chavirer le cœur du narrateur « Mes pressentiments ne m’avaient pas trompé, qu’était enfin apparu entre cette jeune fille presque inconnue et moi-même une chose inexplicable, aussi incertaine que le flottement des trembles ». Nous sommes en automne. Elle va l’accompagner à la chasse, rompre sa solitude. « Ces dernières années, il m’arrivait de plus en plus souvent de regretter de n’avoir personne avec qui partager toute la beauté environnante. »
Je pourrais continuer à vous parler de tous ces personnages qui vivent au bord du fleuve tant les portrait sont attachants. Ils sont les gardiens d’une tradition russe. Mikhaïl Tarkovski raconte la vie de ces gens simples. Il raconte la nature, e fleuve, les hivers très froids, le travail, la forêt avec poésie et moult détails. « Un matin, Vaska s’y rendit en passant par le bois et, tout cour, à travers les sapins, il vit devant lui quelque chose d’extraordinairement brillant. C’était l’eau pure, qui était remontée tout en haut des rives et dans laquelle se reflétait la forêt et nageait, en lâchant quelques cris, un canard siffleur à la tête rousse. »
La vie qu’il offre est la sienne aussi. Il pêche, chasse, il aime les gens qui vivent autour de lui. Lorsqu’il les décrit, c’est détaillé, réel « Il avait des moustaches couvertes de glaçons, une barre blanche de neige frissonnante, des yeux gris qui brillaient d’un éclat chaleureux tout au fond, derrière des cils blanchis, la peau rougie, de petits poils blancs sur les joues, une chapka givrée qui sentait le suint de chien. Il portait dans le dos une hache coincée dans une boucle métallique accrochée à sa ceinture, et en bandoulière, une carabine, le canon tournée vers le bas. »
« Il entreprit de construire un cabanon pour les bains, abattit des arbres, de gros pins de Sibérie, les ébrancha, prépara les rondins qu’il tira avec une corde jusqu’à la cabane, puis il dé »bita la tête en billes qu’il fendit ensuite et entreposa sur la pile de bois. Le lendemain, il s’attaqua à la construction et, le soir venu, il fumait devant le feu en contemplant les murs qui se dressaient devant lui, les rondins éclatants fraîchement taillés, la montagne de longs copeaux résineux au-dessous, s’émerveillant une fois de plus de la force opiniâtre qui fait s’élever, dans le désordre du chantier, un solide cube jaune pâle. »
« Même la maison de tiota Nadia semblait habitée avec ses chambranles bleus, son entrée peinte en ocre, et l’herbe fauchée qui l’entourait. »
« Nikolaï se prépara dans le noir, réchauffa le moteur avec sa lampe à souder qui fit fondre à toute allure la glace transparente sur le réducteur ».
J’ai apprécié de trouver, en fin d’ouvrage, un dictionnaire des mots sibériens et deux cartes dessinées par l’auteur.
Un livre à faire rêver, mais bien couverte ; la vie est rude, les hommes aussi, mais tellement humains, loin de l’univers de Moscou. J’ai découvert cette partie de la Russie avec Un homme de peu d’Elisabeth Alexandrova-Zorina. J’y ai retrouvé cet amour de la forêt découvert avec L’archipel d’une autre vie d’Andreï Makine.
Un coup de cœur que j’ai eu plaisir à le feuilleter de nouveau pour écrire ma chronique.
Le temps gelé ? C’est une ode à la nature, un envoutement, un enchantement servi par une écriture brillante, descriptive, poétique, très bien rendue par la traduction de Catherine Perrel. La vie, hormis les moyens de communication moderne, ne semble pas avoir changé, surtout dans les cabanes disséminées dans la taïga qui permettent aux hommes de chasser la zibeline pour la peau, faire du bois, pêcher… Une nouvelle perle des éditions Verdier.
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