"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une dimension d’écriture vertigineuse et qui peut donner le vertige à beaucoup de lecteurs.
Une fois passé le choc des cinquante, disons cent premières pages, j’ai savouré la narration autant que l’écriture. Dès les premières pages, on est plongé dans une structure d’écriture inhabituelle, du moins pour ma part. Elle m’a presque donné le vertige tant j’ai dû me concentrer avant d’en déguster la perfection.
Moi qui reste une toquée de l’Italie et de son art, de Venise et de son histoire, ce XVIe siècle a eu un parfum nouveau, différent de ce que j’en connaissais. Le Tintoret, la peinture, Venise, la fin du XVIe siècle, tout est vécu par le lecteur comme s’il s’y trouvait lui-même. Etre aux côtés de ce génial peintre pour l’accompagner durant les derniers jours de sa vie, l’écouter parler à Dieu, on en est déchiré. Avant de mourir il a besoin de lui parler, d’implorer sa divine miséricorde.
A tous ces thèmes lourds de sens, s’ajoute le plus important aux yeux du Tintoret, celui de sa fille naturelle Marietta. C’est d’elle qu’il parlera le plus dans son dialogue avec Dieu. C’est elle qu’il recommande à Dieu, plus que lui-même. Il lui voue une véritable adoration, à la limite de l'inceste ; inceste qu’il ne franchira pas même si celle-ci est toute en admiration, toute en dévotion pour son père. Il l’a instruite : elle sera peintre comme lui.
Dans cette forme de journal écrit par Le Tintoret, nous vivons une liberté de pensées et de moeurs propres à l’époque et à cette ville très précisément. La République Démocratique de Venise est connue pour avoir été, à cette époque, le seul lieu où tout ceci est « acceptable ». On sent que l’auteur s’est hyper bien documenté sur ces thèmes et que tout en devient vrai.
A Venise, ce fils de teinturier (d’où le surnom du petit teinturier), Jacomo Robuste de son vrai nom, peut vivre une destinée proche de l’improbable. Malgré le rejet de son maître, Le Titien, il s’accrochera, bossera pour ouvrir les portes, peindra des personnages et des tableaux différents de ceux de l’époque. Il s’acharnera tant et tant qu’il finira par voir la lumière que doivent très probablement voir un grand nombre d’artistes tel que lui. Une lumière que je ne connais pas mais que je leur envie.
L’art sera toute sa vie. Excepté son amour pour Cornelia, l’allemande, qui lui donnera une fille illégitime Marietta. La peinture le fait frémir, jouir. Il a été marié et a eu des enfants, mais ce n’est pas ce que l’on retient de l’histoire de sa vie dans ce livre. Il fera de belles rencontres mais connaitra aussi la tristesse et des limites à sa liberté. Et il y aura ce décès, je n’en dirai pas davantage. Ce serait révéler ce qui se joue en filigrane dans tout le questionnement qui traverse son esprit.
C’est à la fois très beau et proche du grandiose, mais se révèle aussi triste et tragique (peste, inquisition…). La facette « touchante" que Melania Mazzucco a manié de mains de maître, à l’image de son maître peintre, aura une place toute particulière dans la bibliothèque de mon cerveau. C’est une écrivaine qui n’a pas dû suivre des cours de littérature, elle avait cela dans le sang, j’en suis persuadée. Une telle narration, une telle écriture, cela ne s’apprend pas ; c’est du viscéralement vécu.
Mais alors pourquoi n’ai-je pas pu aller jusqu’au bout de mon admiration et ne pas lui octroyer davantage d’étoiles ? En raison de deux petits éléments qui m’ont, moi-même freiné lors de la lecture.
Un premier bémol, concernant la narration de la vie du peintre, l’autrice part en volutes avec des grandes fluctuations narratives qui peuvent déboussoler pas mal de lecteurs. Ce rythme aléatoire induit parfois une impression de malaise, mais j’ai le sentiment que c’était volontaire de la part de Melania G. Mazzucco.
Un second bémol pour l’exigence que nécessite la lecture. Difficile de le conseiller à tout un chacun qui cherche un moment de détente lorsqu’il prend un livre en mains. J’ai ramé pour y accéder, le poursuivre et en retirer toute la puissance d’écriture.
D’aucuns diront que je devrais le relire une seconde fois, histoire de le savourer à sa juste valeur d’écriture.
Citations :
« Car l'art n'imite pas la nature, il la crée. La vérité et la beauté ne résident pas dans les choses, ni dans le monde, mais au fond de nous, dans cette partie cachée qu'on ne connaîtra jamais, mais à laquelle il faut laisser libre court. »
« Les couleurs avaient une odeur, ainsi qu'un goût.Certaines sentaient le minéral, la terre et les plages lointaines, d'autre la bête, le bois brûlé ou les profondeurs marines.Une magie opérait dans la teinturerie de mon père.Et je voulais comprendre l'alchimie de la métamorphose. Car tout se tient, tout se transforme, chaque être, chaque vie engendre une chaîne de transformations, dont le terme nous échappe. »
« Le bénéfice d'un mariage long et heureux comme le notre est une intimité frugale et dépouillée, nue comme une pièce après un déménagement. »
Entre Afghanistan et Italie, les émotions sont présentes
Limbes est un livre touchant qui retrace l'histoire de Manuella, jeune soldat en Afghanistan, ayant beaucoup perdu lors de sa dernière mission. Les mots sont crus, sans fioritures et nous place face aux difficultés et traumatismes des soldats de l'armée. Mais ce n'est pas tout, l'alternance des chapitres en Afghanistan – au cours de sa périlleuse mission – et des chapitres en Italie – où Manuella tente de se reconstruire autant physiquement que psychologiquement – nous embarque au creux même des pensées et des émotions du personnage principal.
Un réapprentissage de la vie en duo
Lorsque Manuella croise le chemin de Mattia, le seul homme à louer une chambre dans l'hôtel en face de l'appartement de notre protagoniste, tout se voit bouleversé en elle. Une cohésion et une confiance sont indéniables entre les deux personnages, mais finalement ni Manuella, ni sa famille, ni nous, lecteurs, ne connaissons Mattia. Les deux personnages communiquent par les gestes, les corps, très peu par la parole. Ils se comprennent mutuellement sans avoir à se justifier ni à raconter leurs propres histoires.
Jusqu'au moment où nous apprenons le vécu de Mattia, où Manuella semble renaître de ses cendres et vivre à nouveau dans une vie différente de celle qu'elle connaissait jusqu'alors – jusqu'au moment où chez elle ne rime plus avec l'Afghanistan, avec l'armée, mais bien avec sa ville natale en Italie – je reste sur ma fin qui n'aura pas eu le happy ending que j'espérai, mais qui malgré tout est plus que cohérent.
Une très bonne lecture !
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