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"Je suis laide, vraiment laide. Je ne suis pas handicapée. Du coup, je ne fais même pas pitié. Chaque pièce du puzzle est à sa place, juste un peu trop à gauche ou un peu trop à droite… Inutile d’en faire l’inventaire : ça ne rend pas. Je suis née ainsi. Beau comme un enfant, dit-on. Eh bien, non. Je suis une insulte à mon espèce, à commencer par le genre féminin… La beauté se veut visible. Pour ma part, l’invisibilité était une bénédiction."
Un roman troublant, bouleversant qui raconte l’étonnante histoire d’une petite fille que personne n’ose regarder tellement elle est laide.
Récit à la première personne qui narre avec une grande sensibilité la souffrance de quelqu’un qui n’est pas comme les autres, que tout le monde rejette… ou presque. La maman souffre et se mure dans le deuil de l’enfant parfait et dans le silence, le père fuit pour se noyer dans son travail.
Avec des mots délicats et touchants, Mariapia Velediano nous fait partager le mal-être de Rebecca.
Une profonde tristesse mais également une grande douceur émanent de ce roman, roman traversé par la grâce qui parvient à toucher la petite fille quand elle pose ses doigts sur les touches du piano. Diable ! Cette laideur aurait un don ? Parviendra-t-elle à trouver sa voie ?
Le ton, est comme un oxymoron… doux-amer, l’intrigue et le mystère sont peu à peu dévoilés. L’écriture est quant à elle aérée, fluide, poétique.
Sans évidence, ni amertume, l’auteur nous amène plus près des émotions de cette jeune fille rejetée par un monde esclave des apparences, à la fois physiques et sociales, d’une société qui fait tout pour ignorer ce qui la dérange…
"Une femme laide n'a pas le recul nécessaire pour raconter sa propre histoire. Il lui manque une vision d'ensemble. Une certaine objectivité. Elle la raconte de l'angle où la vie l'a contrainte, par la brèche que la peur et la honte n'ont laissée entrouverte que pour pouvoir respirer, pour ne pas mourir."
Alors c'est Mariapia Veladiano qui prend la plume pour donner voix et vie à Rebecca, l'héroïne de ce roman, qui est laide, extrêmement laide. Elle n'a rien en moins, ni en plus – surtout pas des doigts, comme l'avait craint sa mère –, "chaque pièce du puzzle est à sa place, juste un peu trop à gauche ou un peu plus à droite, plus courte ou plus longue ou plus grande que ce à quoi l'on s'attend." Ce qui lui fait dire qu'elle est "une insulte à (son) espèce, à commencer par le genre féminin."
Dès toute petite, Rebecca est maintenue à l'écart et surtout hors de la vue des autres par sa famille, pour la (sur)protéger du monde extérieur. Sauf qu'à l'intérieur de la grande demeure, sa mère est retranchée dans son silence, indifférente à ce qui se passe, elle ne parle "que deux ou trois fois la semaine, sans préambule, et jamais à quelqu'un en particulier". Son père est un médecin prestigieux, un gynécologue qui aide ses patientes mais reste impuissant à faire sortir sa femme de son mutisme et à donner à sa fille les clefs pour vivre. Sa tante, pianiste très belle mais sans réel talent, instrumentalise son don musical avec des intentions pour le moins troubles.
C'est que Rebecca est vraiment douée pour le piano. Fascinée par les quatre-mains de son père et de sa tante, elle s'approche de l'instrument, s'y essaie et s'y accroche, et c'est une révélation : "La musique s'empara de ma vie. Pour la première fois, j'avais conscience qu'on attendait quelque chose de moi et cette pensée emplit mes jours de sentiments jusqu'alors inconnus qui prirent la place de cette espèce d'attente vide dans laquelle mes forces s'étaient engourdies. Je pouvais peut-être prouver qu'il y avait du bon en moi, que l'on pouvait m'aimer à ma juste valeur et pas uniquement à cause d'un sentiment confus de culpabilité ou par devoir de protection."
Dès lors, elle en est certaine : "Je dois concentrer ma vie dans mes mains, ma vie entière dans mes mains, toute ma vie." Car être virtuose ne protège pas de tout, quand on est laide. La dictature de l'apparence est là, toujours, elle la poursuit partout, dans les concours du conservatoire, à l'école, au lycée. On continue de la cacher, de la mettre à l'écart, de la singulariser encore plus qu'elle ne l'est déjà... Heureusement, il y a la douce servante Maddalena, la seule qui, dans la maison, lui apporte attention et tendresse ; maîtresse Albertina qui la défend becs et ongles lorsque des parents veulent qu'elle quitte l'école à cause de sa laideur ; Lucilla, la fougueuse et bavarde petite fille qui sera sa seule amie ; et la Signora de Lellis, la vieille dame mystérieuse, fantasque, pianiste et confidente...
Grâce à ces femmes, grâce au piano, Rebecca va parvenir, difficilement et courageusement, à trouver sa place dans le monde et à inventer sa façon d'y évoluer. Non pas normalement, son physique disgracieux lui interdit à jamais, mais "à côté", en cultivant son don exceptionnel pour la musique.
Les quarante chapitres de ce roman constituent autant d'étapes du cheminement douloureux mais salvateur qui aboutira enfin sur un horizon de vie. Nous suivons pas à pas Rebecca dans sa confession profondément touchante, bouleversante, nous admirons son stoïcisme, sa force de réussir à bâtir sur le désastre continu qu'est sa vie, une personnalité forte, magnifique, en dépit de son apparence.
"J'avais découvert un moyen d'être, une existence possible. La beauté se veut visible. Pour ma part, l'invisibilité était une bénédiction."
L'écriture de Mariapia Veladiano est tout en finesse, en nuances, en retenue, parfois âpre, parfois poétique, parfois rude, parfois tendre. Il y a dans ce roman autant de douleur que de lumière, et c'est cette composition en oxymore qui fait la profondeur et la densité du récit et rend encore plus forts la dénonciation de l'hypocrisie familiale, sociale et culturelle ainsi que le réquisitoire violent contre le culte de l'apparence qui exclut par principe toute singularité et fait croire qu'il n'y a pas d'espace pour la différence.
Alors qu'une autre vie est possible, un autre langage. Une vie à côté. Une vie à soi.
Qui se souvient de Prue Sarn, la soeur du Gédéon de Mary Webb, douce fille défigurée par un bec-de-lièvre ?
On pense immanquablement à elle en faisant la connaissance de Rebecca, l'héroïne très disgracieuse du premier roman traduit en français de l'Italienne Mariapia Veladiano dans la Cosmopolite de Stock. Car Rebecca est d'une laideur que nul ne fait semblant de contester, une laideur définitive dont l'excès nous épargne toute description. Cela ne l'a pas rendue méchante, ni folle, ni totalement névrosée : comme elle l'avoue elle-même elle «est une insulte à son espèce» mais ne parvient pas à en vouloir au reste de l'humanité qui la méprise, à sa mère qui s'est retranchée depuis sa naissance dans le malheur d'avoir engendré un monstre, à son père qui, quoique médecin prestigieux, manque absolument de courage pour lui apprendre à supporter sa terrible condition, à sa tante qui l'instrumentalise et cultive son don musical avec les desseins les plus troubles, au temps qui n'arrange rien. Stoïque ? Habitée par une force surhumaine qui lui permet de pencher sans jamais rompre ? Intelligente comme le sont souvent ceux que leur différence oblige à une adaptation constante ? Sans doute tout cela à la fois. C'est en tout cas ce qui se diffuse tout au long de cette confession qu'est La vie à côté (traduit par Catherine Pierr-Bon), chemin de croix d'une enfant qui va devenir, sous nos yeux humides d'émotion, une femme. Auto-analyse particulièrement réussie, ce roman joue sur notre voyeurisme, notre goût pour une compassion que déjoue la victime qui bâtit sur la ruine continue qu'est sa vie une identité forte. Sa passion pour la musique n'est pas étrangère à cette survie en milieu hostile au coeur d'une petite ville qui a trouvé à bon compte son démon local sur lequel cristalliser ses angoisses archaïques. Car si Rebecca supporte sa disgrâce en décidant que «c'est la nature» qui est cause de tout, elle doit subir les humiliations de ceux qui devraient l'aimer et la cachent au-delà du raisonnable. Elle nous fait découvrir à quel point l'amour filial peut être l'autre nom de l'horreur et de quelles stratégies sont capables les proches, ceux qui n'ont pas le droit d'avouer l'horreur qu'ils ressentent. On ne s'étonnera guère qu'un secret soit au coeur du récit, un secret qui vient percer le mystère de cette mère qui ne parle jamais à sa fille, ne la croise pas, ne lui dit rien, la vouant à un silence torturant.
C'est un des romans étrangers sur lesquels il faudra compter.
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