"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L’univers est peuplé d’espèces très différentes à la tête de la majorité des planètes, on trouve des « caméléons ». Espèce qui s’est affranchi de la reproduction sexuée, elle maintient la paix de manière a priori pacifique. Le premier narrateur est un scientifique de ce peuple. Le second narrateur appartient à un peuple en cours d’assimilation, des « félins ». C’est un homme moyen qui subit le fait que les mâles de son espèce deviennent stériles. On est en pleine transition, les mâles fertiles sont très recherchés pour poursuivre une reproduction traditionnelle et en parallèle les premières générations nées avec assistance et sans la différenciation sexuée pré-existante grandissent. Sauf rebellion, à terme leur mode de reproduction est condamné. L’équilibre va-t-il durer ou une guerre est-elle à prévoir ? Et si ce n’était que la partie cachée de l’iceberg ?
Le destin de ces deux narrateurs va se croiser autour d’une troisième espèce, des baleines de l’espace. Comme elles sont considérées comme non pensante, elles ont un statut d’animal et peuvent donc être chassées et transformées en vaisseaux. Mais est-ce vraiment le cas ? Qui peut juger de qui est une espèce pensante et qui ne l’est pas ? Et même si une espèce est considérée comme inférieure, quels comportements sont admissibles ou non ?
Le récit est divisé en 2 parties. La première raconte le quotidien de nos deux narrateurs et présentent un univers qui semble en paix. La seconde partie va faire la part belle aux baleines spatiale. Elle est écrite sous forme de roman choral, avec un rythme où tout s’accélère. Le passage d’une partie à l’autre est un peu délicat mais on s’y fait rapidement. Cet
univers est génial, les idées abordées sont pertinentes et permettent une réflexion sur notre monde. L’écriture est addictive. C’est une excellente lecture même si le passage au roman chorale donne une impression un peu fouilli au départ.
Cela fait très exactement une heure que je fixe du regard ma page Word, désespérément vide : j’ai beau tourner et retourner la question dans tous les sens, je ne sais absolument pas comment débuter cette chronique. Pour la simple et bonne raison qu’une bonne partie de mon être est encore enfermé dans le livre posé à mes côtés : je n’arrive pas à admettre que c’est déjà fini, qu’il est temps de revenir à la réalité. Qu’il faut quitter cet univers, ces personnages. Que l’histoire est achevée. C’est finalement assez rare, que je ne parvienne pas à me dépêtrer d’un livre, que je reste captive d’un roman sans parvenir à tourner « pour de bon » la dernière page. Que j’ai envie de planquer les autres services presse en attente tout au fond d’une armoire pour pouvoir le reprendre du début sans culpabiliser à cause de la pile qui ne cesse de grandir. Que j’aurai besoin d’une seconde lecture pour réussir à trouver les mots justes pour en parler, pour vous faire vraiment comprendre à quel point ce livre m’a captivée, fascinée, passionnée. Et surtout, à quel point je vous le conseille, parce qu’il vaut vraiment le détour …
Comme quasiment tous les mâles Imbtus, Smine Furr est infertile. Mais contrairement aux dirigeantes de son peuple, qui tiennent l’envahisseur Chalecks – reptiliens androgynes – pour responsables de cet état de fait et fomentent une révolte, le félidé n’est pas mécontent de son sort : sa stérilité lui permet d’échapper aux traditions, de ne pas avoir à prendre compagne et donc de mener une petite vie plutôt tranquille. Mais ces compétences informatiques lui valent d’être embarqué bien malgré lui dans une affaire impliquant les cybersquales, ces baleines galactiques trépanées puis lobotomisées et contrôlées par une intelligence artificielle pour servir de taxis vivants. Dans le même temps, Waü Nak Du, Chaleck spécialisé dans la cyberconversion de Fenjicks en cybersquale, se retrouve en difficulté : son projet d’élevage de bébés Fenjicks semble voué à l’échec, et il doit rapidement trouver un moyen de rembourser sa dette auprès de l’Empire qui a beaucoup misé dans ses recherches. Mais rien ne se passe comme prévu, et le voici entrainé contre son gré par un cybersquale débridé dans une incroyable quête : celle de la liberté …
Par où commencer ? Sans doute par la richesse de cet univers : l’autrice nous offre ici un space-opera foisonnant et dépaysant. Non seulement elle a fait le pari, fort audacieux et quelque peu risqué, de nous faire cheminer aux côtés de héros non-humains, Smine étant un félidé et Waü un reptilien, mais elle n’hésite pas non plus à introduire au cœur-même de sa narration des termes épicènes qui peuvent déconcerter au premier abord mais qui coulent finalement de source quand on sait que les Chalecks sont hermaphrodites. De plus, elle est du genre à laisser le lecteur tirer lui-même les conclusions qui s’imposent, plutôt que de lui bourrer le crâne avec un prologue relatant en long, en large et en travers l’historique socio-politico-économique de cette portion de la galaxie. Et si, au début, on se sent un peu dépassé par toutes ces nouveautés, tout se met rapidement en place et on ne songe plus qu’à l’histoire de ce roman-choral pas tout à fait comme les autres. Car ici, vous ne trouverez ni gentils ni méchants – les Chalecks ne pouvant pas prétendre à cette qualification, car ils sont intimement convaincus d’agir pour le bien des peuples qu’ils asservissent –, juste une ode stellaire à la liberté, quête universelle qui permet au lecteur de se sentir proche de ces protagonistes si différents de lui …
Car voilà bien le génie de Luce Basseterre : nous nous attachons autant à Smine, ce bon gros matou qui n’aspire dans un premier temps qu’à se libérer définitivement de la pression sociale qui pèse sur ses épaules, qu’à Waü, ce gros lézard qu’on pourrait considérer imbuvable et insensible s’il n’était pas aussi angoissé et paumé, sans oublier Koba, Samtol et Alduin, ces cybersquales bien décidés à libérer les leurs de l’oppression et de l’esclavage. A leurs manières, tous cherchent à s’affranchir de leurs chaines, qu’elles soient visibles (les implants qui ôtent toute liberté aux Fenjicks pour qu’ils deviennent de dociles vaisseaux interstellaires), externes (les attentes sociétales qui brident les choix des individus pour les contraindre à se plier aux coutumes ancestrales) ou internes (les peurs et angoissent qui paralysent, qui empêchent d’aller de l’avant, qui enferment dans une routine parfois malsaine pour ne pas avoir à se confronter à l’inconnu) … Ils sont très différents les uns des autres, et très différents du lecteur, mais ils sont semblables grâce à cette flamme identique qui brule en eux : celle de l’individualité, du libre-arbitre, si souvent étouffé, si souvent opprimé.
Et voilà que les routes de tous ces êtres convergent progressivement, et que les différentes intrigues s’entremêlent pour n’en former plus qu’une, celle de cette révolution d’abord silencieuse, portée par le chant des Fenjicks, et puis foudroyante. Car nulle révolte ne se fait dans dommages collatéraux, et plus la rancœur couve depuis longtemps, plus le désir de vengeance est puissant. Et alors, même la plus noble des causes peut se transformer en carnage, en mépris d’autrui. Il y a dans ce roman des passages plutôt durs, des passages plutôt sanglants, car l’autrice n’a pas enjolivé les choses, elle n’a pas romancé cette terrible réalité : quand on se bat pour « un monde meilleur », on cause toujours du tort à certains. Pire encore, on en vient à réprouver formellement ceux qui ne pensent pas comme « la masse », ceux qui résistent au changement, et on les traite de tous les noms comme si c’était un crime de craindre la nouveauté. Comme si, sous prétexte que l’autre n’est pas d’accord avec nous, il devenait un danger … Beaucoup de crimes ont été commis au nom de la liberté, sont-ils plus excusables que les autres ? Tout dépend du point de vue duquel on se place, et c’est vraiment ce que je retiens de ce roman-choral.
En bref, vous l’aurez bien compris, c’est à la fois un roman incroyablement palpitant, haletant, saisissant, et un récit admirablement intéressant, puissant, poignant. Ce n’est pas un simple roman de science-fiction, qui nous entraine au milieu des étoiles pour notre seul ravissement, ce n’est pas un simple roman d’aventure, qui nous parachute au cœur d’une quête effrénée pour la liberté, c’est aussi un ouvrage qui a bien des choses à dire sur notre monde et sur notre vie. Mais à mes yeux, c’est avant tout un excellent récit qui m’a fait rire, trembler, pleurer, vibrer : une fois plongée dans cette histoire, je n’avais plus qu’une seule envie, ne jamais en ressortir. Parce que l’univers créé par l’autrice est d’une richesse incroyable, parce que ses personnages sont tous si attachants chacun à leur manière, parce que la narration est vraiment vivante … On ne s’ennuie pas une seule seconde, et on en redemande. Et c’est vraiment un déchirement que de devoir les quitter lorsqu’arrive la dernière page, on a du mal à leur dire « au revoir » pour de bon alors on relit un passage, puis un autre, et encore un autre … En clair, je vous le recommande plutôt deux fois qu’une, et je compte bien me procurer aussi vite que possible La débusqueuse de mondes pour retrouver au moins quelques-uns de ces héros qui sont devenus de vrais amis !
http://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2021/01/le-chant-des-fenjicks-luce-basseterre.html
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