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Berlin, novembre 1932. Depuis plusieurs générations, la famille Oppermann est à la tête d’une entreprise florissante, active dans le commerce de mobilier bon marché. Trois frères et une sœur, proches de la cinquantaine, en sont les actionnaires actuels, mais seul Martin s’occupe réellement de gérer l’activité commerciale. Gustav, le seul à être célibataire et sans enfants, s’intéresse bien davantage à la poésie et la littérature et à sa jeune maîtresse, tandis qu’Edgar, éminent chirurgien laryngologue, se dévoue à ses patients et à sa clinique. Quant à Klara, elle se contente d’assurer son rôle de femme au foyer.
Dans cette famille juive bourgeoise aisée et respectée, chacun se considère Allemand, bien ancré dans sa patrie depuis des dizaines d’années.
Mais ce sentiment d’appartenance est de plus en plus contesté, à mesure que le nazisme et l’antisémitisme gagnent du terrain. Cependant, à ce moment, peu nombreux sont ceux qui, dans la communauté juive, prennent au sérieux les braillements hystériques d’Hitler. Ainsi, à la charnière de 1932-1933, chez les Oppermann, tout l’éventail des opinions est représenté, de l’incrédulité totale (les choses vont se calmer après les élections, le parti d’Hitler ne gagnera jamais, quel intérêt auraient les « völkisch » à éliminer les juifs,…) au pessimisme le plus sombre (il faut quitter l’Allemagne au plus vite en sauvant ce qui peut encore l’être, on ne veut plus de nous ici, il faut émigrer, en Palestine ou ailleurs,…).
Et puis Hitler est nommé chancelier, son parti remporte les législatives, et le pire est à venir. Les plus naïfs ouvrent finalement, tardivement, douloureusement les yeux et prennent progressivement conscience, jusque dans leur corps pour les plus malchanceux, du « sadisme organisé, [du] système d’humiliations d’une ingéniosité raffinée, [de] l’anéantissement bureaucratisé de la dignité humaine » mis en œuvre par les partisans de l’ordre nouveau dans lequel les juifs n’ont aucune place.
« Les enfants Oppermann » est un roman extraordinaire, sidérant de justesse et de lucidité, visionnaire, prémonitoire. Publié en 1933, il a donc été écrit en temps réel, sur base de témoignages d’exilés, par un Lion Feuchtwanger tout juste réfugié en France. Son objectif était d’ « informer les plus rapidement possible ses lecteurs du vrai visage et des dangers de la domination des nazis ».
Sur près de 400 pages, ce livre raconte la montée en puissance des nazis, la façon dont leur idéologie a infusé sournoisement dans la population, dans un pays mis à mal par la crise économique et encore meurtri par le camouflet du traité de Versailles. D’une lecture accessible et addictive, ce roman est poignant, percutant, désespérant, puissant. Et à notre époque de repli sur soi et de montée des nationalismes, il n’a rien perdu de sa force ni de sa pertinence.
En partenariat avec les Editions Métailié.
J’ai eu l’occasion de visiter le camp des « Mille », cette ancienne tuilerie près d’Aix en Provence transformée en camp d’internement pour des milliers d’hommes et de femmes, une visite qui m’a révélé des pans de l’histoire de la période 1939-1945 que j’ignorais.
Lire ce témoignage était donc la suite logique d’une visite qui m’a profondément marquée.
Après avoir fui l’Allemagne qui l’a déchu de sa nationalité Lion Feuchtwanger vit quelques années heureuses en France. Las ! en juin 1940, il est arrêté et se retrouve interné au camp des Mille. Les conditions de vie sont dures, l’hygiène déplorable et la faim torturante mais la vie intellectuelle s’épanouie malgré tout car nombreux sont les intellectuels allemands internés dans ce camp de transit. On retrouve, sous la plume alerte et acérée de Lion Feuchtwanger, tous les travers et les mesquineries d’une société reconstituée. Ces intellectuels pour la plupart, ne se montrent pas toujours sous leur meilleur jour malgré leur perte de liberté et l’incertitude de leur avenir. On sourit aussi à la description minutieuse et savoureuse de l’administration française, ubuesque et stupide. Le camp est tenu par les gendarmes français, dépassés par cette tâche pour laquelle ils ne sont pas formés. Ordres et contre ordres abondent. On ne sait comment occuper tout ce beau monde qui s’agite et palabre, alors on lui impose des travaux inutiles comme déplacer des tuiles d’un endroit à l’autre.
Ce récit est précieux aussi pour sa valeur de témoignage. Travaillé sur le motif comme un peintre, il décrit, décortique, et analyse la vie du camp sous toutes ses facettes.
On découvre aussi l’atmosphère politique de cette époque trouble et cette lâcheté qui consistait à emprisonner des apatrides pour complaire à l’Allemagne nazie.
Bien qu’écrit dans un style quelque peu vieilli, ce témoignage se lit avec intérêt.
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