"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Lancelot Hamelin , dans son premier roman ,Le couvre-feu d’octobre, décrivait les destins divergents de deux frères, opposés sur l’attitude à adopter sur le conflit algérien .Dans ce second roman, c’est la question de l’intégration qui est abordée, et plus précisément, celle de savoir si les individus, séparés par l’histoire, les mœurs, la religion, les classes sociales, peuvent encore emprunter une passerelle pour communiquer ou tenter de faire connaissance .Cette dernière démarche est réussie par Karim, alias JKK .Ce jeune homme vit dans les quartiers nord de Marseille, de trafics de voitures volées, de recels de matériels automobiles qu’il organise avec Zohar, un copain originaire des Comores ,et un vieux légionnaire sur le déclin , que tous deux visitent régulièrement pour leurs affaires .
Par une chance extraordinaire, il parvient à rencontrer Laurélie , jeune fille fringante, séduisante, bourgeoise bien installée dont les parents Charles Mazargue, juge aux idées progressistes, et Thereza, son épouse, fille d’un docker syndicaliste partagent ces mêmes idéaux .
Tout serait caricatural, déjà écrit, vu l’éloignement des protagonistes en présence .Leur relation serait inenvisageable à ceci près que Karim décide, pour « infiltrer » cette famille, d’inventer un gros mensonge et de se faire passer pour un étudiant en deuxième année de médecine .Ce recours au mensonge, il le justifie, intérieurement, par une condescendance qu’il croit déceler dans l'attitude de cette famille qui veut ,croit-il, l’ajouter aux exemples de « l'assimilation à la française ».
Pour atteindre son but, il fait appel à Karima, étudiante en médecine qui l’initie aux rudiments de cette discipline et lui apprend à déchiffrer les manuels médicaux.
En lisant Le comte de Monte-Cristo, Karim éprouve déjà du plaisir : « en lisant, il comprenait comment la logique de cause à effet qui relie les accidents de la vie se cachait dans la masse informe du réel pour ressurgir d’un coup. Oui, parfois le sens des événements apparaît à nos yeux. ».
Karim passe par tous les états d’âme, toutes les situations psychologiques imaginables : dépression, doute, attraction pour cette famille, répulsion, dégoût, mépris .C’est l’intérêt de ce roman de décrire, avec grande précision et pertinence ces réactions, pour révéler à tout moment son état d’esprit, ce qu’il éprouve vis-à-vis de Laurélie, cet amour inespéré : « Dans cette société dont il était exclu, où les Mazargue avaient envisagé de l’introduire, la liberté d’expression se réduisait à cette médiocrité convenable qu’on réservait à l’individu .Aussi, mettait-il tout son talent d’éponge à absorber les bonnes manières mentales que Thereza lui communiquait au cours de ce lavage de cerveau . »
Au final, le « petit Maure », expression qu’il surprend dans la bouche de Thereza pour le qualifier, mettra fin à cette relation impraticable .Il s’en ira, rechercher son père, vers Paris, pour résorber un contentieux personnel celui d’une paternité douloureuse.
A la crête des vagues est un roman, tout comme le premier de l’auteur, qui s’attache aux choix possibles d’un être humain dans l’existence ; il dépeint avec une grande efficacité les obstacles, leur nature, leurs origines, qui empêchent, partiellement ou totalement, la réalisation desdits choix .C’est le grand mérite de ce roman, dont la lecture est à recommander.
La littérature française envoie des signaux prometteurs. Après Alexis Jenni et son Art français de la guerre, ou encore Jérôme Ferrari avec Où j’ai laissé mon âme, ouvrages de qualité qui nous sortaient du nombrilisme ambiant, voici un très beau roman de Lancelot Hamelin, Le couvre-feu d’octobre.
C’est un premier roman, et il faut signer ce prime aveu : c’est largement réussi.
Trois personnages, Octavio, son frère aîné, jamais nommé dans le texte du roman, et Judith, tous trois originaires d’Oran, occupent l’intrigue. Octavio, durant sa jeunesse oranaise, a nourri une profonde passion pour Judith, fasciné par l’origine juive de cette dernière, l’assimilant, dans sa condition, aux indigènes, aux Algériens musulmans. Pourtant, c’est son frère aîné qui épouse Judith.
Octavio se rend en France en 1955 pour y poursuivre des études universitaires .Deux ans plus tard en 1957, le couple s’installe aussi en métropole.
Octavio rencontre alors, dans les milieux estudiantins parisiens des sympathisants communistes. Il se lie avec Denis, proche de cette mouvance politique, mais s’en éloigne assez vite, rebuté par sa tiédeur et son incompréhension des aspirations du peuple algérien à l’indépendance. Ultérieurement, il est lis en contact par l’intermédiaire d’un mystérieux Egyptien avec une cellule du FLN.
Commence alors l’initiation : les techniques pour échapper aux filatures policières, les localisations de planques, les rendez-vous secrets .Après cette mise à l’épreuve, Octavio transporte des armes, des « valises », dont la dangerosité du contenu est évidente.
Son frère entre dans la police et se lie avec des milieux d’extrême –droite pour devenir membre de l’OAS.
Le grand mérite de ce roman est d’éviter l’écueil d’être uniquement une illustration d’une thèse historique : celle de l’inéluctabilité de l’accès à l’indépendance de l’Algérie. Lancelot Hamelin nous rappelle , à juste titre, que les idées , convictions de toute nature, sont portées par des êtres humains , en proie au doute , friables, fragiles .Ainsi , la lecture des lettres que Denis, son ancien camarade envoie d’Algérie où il a choisi d’accomplir son service militaire pour se conformer aux consignes du parti communiste est –elle révélatrice des contradictions et drames ayant à cette époque frappé le milieu militant politique de la gauche en France . A la fin du roman, Octavio trahit le FLN, par la défaillance de transmission de documents importants
Il y a, également, tout un travail de reconstitution , à saluer , tel que la description des habitants du bidonville de Nanterre , dans les années cinquante à quelques kilomètres de Paris : « Vivait dans ce douar de bidons un peuple comprimé, un peuple lui aussi bidon , déplacé et chassé d’un pays où les ancêtres avaient été violentées par les bombes dans le repos même des cimetières ; les chenilles des blindés ,le napalm et le cri de leur descendance .Dans ce pays où ils avaient été jetés , et où la liberté n’était pas pour eux, c’était ici que les Algériens trouvaient un refuge. »
Les citations de discours des hommes politiques de l’époque restituent fidèlement le décor et resituent l’action d’Octavio et de son frère dans le contexte historique
.Ce roman, à travers ces deux destins de frères déchirés par l’histoire mais qui continuent à s’aimer, filialement, n’est pas manichéen : il décrit, avec efficacité et justesse, les crimes des deux camps, l’affrontement de deux terreurs. L’arrière-fond historique, ces années de braise, ainsi que les appelait le cinéaste Lakhdar Hamina sont en résonance permanente avec le destin de Judith, d’Octavio et de son frère. A lire absolument.
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