"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Après une jeunesse tumultueuse et prodigue dans l'armée des uhlans, le comte Istvan Dukay -Dupi, pour les intimes- est rentré dans le rang en épousant Klementina Schäyenheim-Elkburg, une princesse autrichienne apparentée aux Habsbourg. Le noble hongrois est désormais à la tête d'une belle famille de cinq enfants. En 1919, les Dukay s'apprêtent à quitter leur terres d'Ararat où ils se sont réfugiés pendant la guerre pour retourner à Budapest en leur palais de la Septemvir utca. Ils emmènent avec eux Madame Couteaux, une française chargée de l'éducation de la petite Zia, tout juste âgée de huit ans. La fin de la guerre ouvre une ère nouvelle et l'avenir semble radieux pour les Dukay et la Hongrie. Pourtant, les temps ont changé et la monarchie austro-hongroise vacille. De 1919 à 1939, les Dukay vont traverser les bouleversements de leur monde, de la société, de l'Europe entière, chacun à leur manière. Imre (Rere), le premier-né, déficient mental au grand coeur, mène sa vie entre ses diverses collections d'objets hétéroclites, ses lubies bizarres et ses crises de colère. Kristina, l'aînée des filles, est une rêveuse romantique. Une diseuses de bonnes aventures lui ayant prédit qu'un jour elle tiendrait le cœur d'un roi entre ses mains, elle s'éprend éperdument de Charles, le prince héritier du trône d'Autriche-Hongrie et refuse toutes les demandes en mariage, même quand lui-même épouse une autre femme. Janos, influencé par son précepteur, devient un fervent admirateur des thèses d'Hitler, au grand dam de son père qui le renie. György part faire des études aux Etats-Unis dans l'optique de gérer un jour l'immense domaine familial. Et Terezia (Zia), la préférée de Dupi, une âme libre et forte, élevée avec un brin de fantaisie par Madame Couteaux, la seule peut-être à pressentir que le temps de l'aristocratie hongroise est compté.
Quelle belle saga historique et familiale ! Un véritable tourbillon de sentiments, d'anecdotes, de voyages, de personnages, de perles et de diamants. Avec distance, humour mais aussi un certain sens du romantisme, Lajos Zilahy décrit cette noblesse hongroise, terrienne, attachée à l'étiquette mais qui sait aussi faire parler le sang des huns qui coule dans ses veines. Autour des Dukay gravite une galerie de personnages réels ou imaginaires, aristocrates ou serviteurs, la fine fleur de la société européenne ou les paysans de Bohème. C'est une plongée dans un monde à jamais perdu qu'il nous propose de son apogée à son inévitable déclin. Avec la fin de la première guerre mondiale s'amorce une mutation en profondeur de la société européenne. Au travers du destin des Dukay, on vit les prémisses de ces changements : conflits territoriaux, chute de l'empire austro-hongrois, révoltes ouvrières et paysannes pour plus de justice sociale, montée en puissance de l'Amérique, avènement du nazisme.
Les Dukay courent-ils à leur perte ou la jeune génération saura-t-elle s'adapter au changement ? Au moment où s'achève ce premier tome, le 1er septembre 1939, ils ne le savent pas encore mais ils s'apprêtent à vivre les heures les plus sombres de leur histoire.
https://evabouquine.wordpress.com/2016/05/09/lajos-zilahy-les-dukay/
La Hongrie du début du 20ème siècle, et plus particulièrement de l’entre-deux guerres, est l’objet d’un des livres majeurs de l’auteur hongrois Lajos Zilahy, Les Dukay (livre paru chez Folio). Chronique d’une riche famille aristocrate hongroise, ce livre nous éclaire sur un monde en plein bouleversement. Une jolie lecture, non dénuée d’humour !
Le roman débute sur une scène de l’année 1919. La famille Dukay part se réinstaller dans son château d’Ararat, après que les dernières agitations de l’après-guerre eurent disparu. Très vite, le lecteur prend conscience de la grande richesse de cette famille : le château comporte 92 pièces et emploie 58 salariés, il est au coeur d’une propriété de plus de 50.000 hectares. Les Dukay possèdent également des biens immobiliers à Budapest ou encore à Paris.
Istvan Dukay, surnommé le comte Dupi, est à la tête de cette fortune. Il a 5 enfants avec son épouse, la comtesse Menti (mais encore plus d’enfants illégitimes) ; l’aîné, Imre, surnommé Rere, souffre de déficience mentale. Kristina, quant à elle, se sent appelée aux plus hautes fonctions et voyagera en Europe en pensant pouvoir épouser un souverain. Viennent ensuite György, Janos et Terezia, dite Zia, qui est au centre du livre. Il est d’ailleurs très intéressant d’observer l’éducation de ces jeunes enfants, dont la vie était très influencée par le choix des précepteurs (certains très conservateurs, d’autres plus libéraux). :
"Quand l’enfant manquait une leçon de piano ou une heure d’écriture, elle ne faisait pas de semonces longues, larmoyants et moralisatrices. Elle ne l’envoyait jamais au coin. Brusque comme un animal, elle flanquait simplement à Zia une bonne gifle (…). D’autre part, Madame Couteaux trouvait parfaitement naturel que Zia lui rendît instantanément sa gifle. Souvent, elles se crachaient réciproquement à la figure."
A travers l’histoire de chacun des descendants, on suit donc un monde qui ne ressemble plus à celui de leurs parents. Kristina s’engage très tôt en faveur des suffragettes. Zia est choquée par l’exploitation des serfs qui est faite sur le domaine de la famille, et prendra une décision contraire à la volonté de son père. Janos quant à lui s’oriente très vite vers le parti nazi d’Hitler. Les inégalités du monde d’hier deviennent insupportables, l’aristocratie européenne d’avant 1914 ne règne plus en maître.
S’agit-il pour autant du déclin d’une famille à la manière des Buddenbrook, de Thomas Mann ? Pas complètement puisque la famille garde son opulence. Il s’agit plutôt de la fin d’une époque et d’un style de vie, comme le résume une des dernières scènes du livre :
"Ainsi conversaient les amis du comte Dupi sans se rendre compte qu’ils disaient adieu non à un homme, mais à une époque."
En plus de la fine description des personnages, des ambiances, de l’humour omniprésent, j’ai également beaucoup apprécié les allusions historiques : on suit par exemple le couronnement de l’empereur Charles en 1916, puis son exil forcé hors de la Hongrie à Madère. Le contraste si fort entre les deux évènements est saisissant. Voici également retracée une discussion après un bal qui en dit long sur l’ironie mordante de Zilahy :
"Comme il est de belle humeur, Herr Schmidt, dans son habit merveilleusement coupé, et le verre de champagne à la main, tandis qu’il discute avec l’ambassadeur de Pologne Izvolsky au sujet de la correspondance italienne de Goethe ! Il ne laisse pas deviner que, quelques années plus tard, en tant que chef d’un des Aktionsgruppe de Himmler, il massacrera pour sa part dix-sept mille Polonais. Combien touchante, par exemple, cette phrase qu’il prononce : « Oh, ja, Excellenz ! Les derniers mots de Goethe : Mehr Licht ! font de nous tous, Européens, des frères ! »."
Replongez-vous dans cette histoire européenne qui est la nôtre en lisant ce livre (notons également qu’une suite existe, L’Ange de la colère, paru également chez Folio).
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