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Kōhei Saitō est un jeune japonais en passe d’être incontournable sur la scène des idées. Docteur en philosophie et professeur à Berlin et à Tokyo, penseur de l’écologie, il est à l’origine d’un débat inédit sur les changements climatiques au Japon (dans l’après Fukushima...), débat qui a très rapidement gagné du terrain dans le monde.
Difficile de détourner les yeux des catastrophes climatiques et environnementales en cours… Aussi on essaie à notre petit niveau d’être les plus vertueux possible. On a bien acheté des sacs de courses réutilisables pour réduire les sacs plastiques, une gourde afin de ne pas avoir à acheter de boissons en bouteilles plastiques. On se déplace le plus possible à vélo… Certains roulent peut-être à l’électrique ? L’auteur dit d’emblée que c’est totalement insignifiant par rapport au problème du réchauffement climatique qui nécessite des solutions d’une toute autre ampleur. Assez logique... Il dénonce le piège de la productivité liée au capitalisme, repoussant toujours à plus tard les solutions. Il propose une nouvelle approche, une décroissance économique qui serait aussi satisfaction des besoins réels des populations, deux propositions apparemment incompatibles qu’il réunit et nomme communisme de décroissance ? Selon lui, après plus de quarante ans d’inaction, ce serait la seule solution sérieuse pour intervenir pendant qu’il en est encore temps ?
On part d’une situation que nous connaissons bien mais dont le tableau exhaustif dressé par l’économiste est précieux : épuisement des ressources et des hommes, impacts environnementaux exportés à la périphérie des pays développés, transition climatique basée sur des opportunités commerciales bien insuffisantes (voire néfastes...). Face à ce constat, l’auteur s’appuie sur les écrits tardifs et inédits de Marx. Il a participé au projet de réédition intégrale des œuvres de Marx et Engels, appelée la MEGA (Marx-Engels-Gesamtausgabe). L’œuvre est gigantesque, plus de 100 volumes comprenant des documents jamais publiés auparavant. Il a ainsi découvert que Marx avait évolué, à la fin de sa vie, vers une approche liant gestion des communs et décroissance. Il avait alors mis ce thème au centre de ses recherches, délaissant le productivisme trop néfaste à l’environnement. La démonstration part du constat que la valeur accordée aux biens et à la production est une valeur uniquement marchande, déconnectée de la valeur d’usage. Ce sont les profits espérés et les actionnaires qui décident, charge à la publicité et aux relais divers d’imposer ces achats sans connexion avec les besoins réels. Il parle d’accélérationnisme inhérent au capitalisme. Kōhei Saitō démontre que cette approche de Marx permet de libérer l’imagination afin de trouver de nouvelles solutions face à un capitalisme reposant sur le productivisme et le mirage d’un développement économique infini. Il met en avant l’impératif de conjuguer décroissance, gestion des communs avec la démocratie et la solidarité.
Les derniers chapitres se font moins théoriques, collant à la situation actuelle, avec des États dysfonctionnels. Face à cela nos sociétés pourraient sombrer dans la dictature, qu’elle soit écologique ou pas, voire vers la barbarie, sauf à donner de l’importance à la démocratie, aux producteurs qui s’organisent en coopératives, à l’économie sociale et solidaire, dans une société qui accepte et revendique la décroissance (sinon retour à la case départ avec épuisement des ressources et effondrement de l’environnement). Ce qui signifie pour lui, de produire selon les besoins réels, selon une nouvelle rationalité hors des marchés.
Les critiques n’ont pas manqué face à cet essai à contre-courant des règles économiques inamovibles officielles. La réfutation de ces critiques est abordée point par point. Les expériences de socialisme participatif déjà en cours sont exposées. J’ai ainsi découvert le mouvement SAFSC, South African Food Sovereignty Campaign, plateforme pour promouvoir l’agriculture coopérative par la base. Et le réseau des « villes sans peur » qu’a lancé Barcelone, prônant la coopération entre des villes d’Afrique, d’Amérique du sud et d’Asie. Aussi, la Via Campesina qui vise à reprendre l’agriculture en main et la gérer de manière autonome. « Combien de personnes connaissent le mouvement Via Campesina, qui concernerait plus de 200 millions d’agriculteurs dans le monde ? » Au final des expériences prometteuses qui pourraient être reprises à grande échelle.
Il cite des auteurs tels que Joseph Stiglitz, Edward W. Said, André Gorz, Thomas Piketty, Naomi Klein… Aussi érudit que pédagogue Kōhei Saitō expose une pensée originale qui pourrait bien faire date. Dans la littérature qu’on aime ou qu’on n’aime pas, il y a la littérature large et ouverte dont on a besoin, qui donne le sentiment qu’on ne relance pas toujours les mêmes dés... Ce livre appartient à cette catégorie. On peut y piocher à loisir et réfléchir pour longtemps.
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