"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Filumena est une âme corse, une petite mamie qui aurait beaucoup de choses à raconter mais qui veut surtout qu'on la laisse en paix !
Si elle a choisi l'heure la plus calme pour sortir de chez elle et aller chercher sa "trousse à cigarettes" et ses mots croisés, c'est en effet qu'elle ne veut parler à personne, et surtout pas aux commères qui ne se gêneraient pas pour l'interpeller à son passage.
D'autant que 300 mètres, c'est presque une expédition lorsqu'on a tant de difficultés à avancer, le "bout de l'enfer" pour Filumena…
"Ma douleur est sans nom et je n’ai pas fait trente mètres. Je n’y arriverai pas. Comment faire ce parcours de malheur. Ce n’est pas un jour pour l’exploit. Le soleil coule comme du plomb en fusion sur mon crâne gris. Je vais fondre sur le trottoir. C’est sûr. Je vais disparaître en plein midi et personne ne saura où je suis passée. Il ne restera sur le goudron que ma canne et un tas de chiffons noirs."
300 mètres (soit 200 pages de notre auteur Joël Bastard) c'est au moins ce qu'il faut pour détricoter le fil d'une vie, se replonger dans les souvenirs (à Bastia, Ponte-Scogliu son village d'enfance ou même incroyablement au château de Versailles) et faire résonner les noms de tous ceux qu'elle a perdu en route (son mari, sa meilleure amie…).
Le petit appartement où elle vit à Bastia est à présent le centre de son monde. Plus personne ou presque ne vient l'y voir alors les petites habitudes du quotidien ont pris le pas.
Au cours de son périple, si elle ne veut pas parler, elle ne se gêne pas pour donner son avis mentalement sur les uns les autres.
Son regard sur les gens est bien acéré (Carbone qui assure la tranquillité de son patron…) et prête souvent à sourire (Francine qui passe son temps à balayer le trottoir, Dévote la garce de Ponte-Scogliu...).
Mais si c'est une mamie aux yeux mitrailleuses, elle sait aussi rire d'elle-même et elle le fait avec autant d'ardeur.
Ce portrait est drôle et touchant, en 300 mètres ou 200 pages on n'a vraiment pas le temps de s'ennuyer !
Filumena se déplace avec beaucoup de difficultés. Ses pieds la font souffrir au-delà de tout. Chaque pas est compté à l’intérieur de chez elle comme à l’extérieur. Elle est lente, c'est tout. L'escargot à côté d’elle est un bolide. Elle a tout son temps. Elle ne sort que pour aller acheter des cigarettes et des mots croisés. Trois cents mètres à parcourir dans la douleur, elle va de banc en banc, sous la chaleur, noyée dans ses souvenirs ; son village corse de Ponte-Scogliu, Ernestu son père, Andréa son amie d’enfance, sa confidente, son seul soutien. Marseille et l’usine de tabac. Baptiste son mari mort il y a trente ans, sa mère qui a plus de cent ans continue à la critiquer, Leslie l’élégante Américaine, les bergers sans bêtes, les commérages des voisines, le château de Versailles et son parc, Savério un amour de jeunesse. Toutes les images d’un ancien monde devenu invisible.
Un récit très original puisqu’il se déroule sur un trajet de trois cents mètres effectué avec peine par une vieille dame à l’œil acerbe. Chaque pas est l’occasion de se souvenir. Joël Bastard nous offre un roman plein de poésie, d’émotion et d’humour. J’ai vraiment eu envie de prendre le bras de Filumena et de l’accompagner jusqu’au bar tabac d’Antoine.
Merci aux éditions Belfond de leur confiance.
Au cours d’un trajet que les années ont transformé en un ultratrail pour la vénérable Filumena, les souvenirs s’égrènent au gré des rencontres (qu’elle évite soigneusement), ou des lieux sur lesquels se pose le regard. Les articulations ne suivent plus mais les souvenirs sont encore vifs et clairs. L’enfance, l’adolescence et les amours, les drames et les joies passées nous sont contées, avec la verve et le mordant de la vieille dame qui ne mâche pas ses mots.
C’est aussi l’amour de l’île qu’elle a quitté un temps pour mieux y revenir et y passer ses dernières années.
Le ton acerbe et sans filtre des propos donne du piment à un récit qui retrace une vie marquée par la condition d’insulaire, dont l’exil n’était pas un choix mais une nécessité qu’elle soit économique ou amoureuse…
C’est court, cependant les trois cents mètres parcourus ne devraient pas avoir sur le lecteur le même effet douloureux que sur les pieds de notre marcheuse…
Merci à Netgalley et aux éditions Belfond.
180 pages Belfond 7 mars 2024
#JoelBastard #NetGalleyFrance
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