"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le « western provençal » de Giono, « Le Chant du monde » avait fait depuis peu son entrée en bande dessinée sous les pinceaux de Jacques Ferrandez quand un autre amoureux de cet univers à l’écriture très descriptive où la nature est un acteur majeur, Jacques Terpant, aguerri dans l’art de l’adaptation grâce aux albums qu’il avait tiré des romans de Jean Raspail caressa le projet d’adapter l’une des premières œuvres de l’auteur : « Un de Baumugnes », le deuxième volet de « La trilogie de Pan ». Renonçant finalement à son plan initial, il décida de s’allier à son complice Jean Dufaux pour la troisième fois après « Le Chien de Dieu » et l’adaptation de l’oublié « Nez de cuir » de Jean de la Varenne afin de relever un défi de taille en s’attaquant à celle d’« Un Roi sans divertissement ».
Cette « chronique » est en effet réputée inadaptable : Giono l’écrivit en 47 jours mais mit plus d’un an pour en tirer le scénario du film de François Leterrier qui fut un cinglant revers commercial car les lecteurs n’y retrouvaient ni la complexité narrative ni la profondeur psychologique ni la dimension philosophique de l’œuvre source. Ces deux bédéastes ont-ils donc réussi là où le romancier lui-même avait échoué dans cet album publié par Gallimard aux éditions Futuropolis ?
DANS LE LABYRINTHE
Quand on évoque « Un roi sans divertissement », en effet, on ne manque jamais de souligner la complexité de la narration : les narrateurs se succèdent et les époques s’entremêlent dans le récit de la traque d’un sérial killer dans les années 1840 et surtout dans le portrait effectué de celui qui la mena : le capitaine de gendarmerie Langlois. Ceux-ci sont effectués vingt ans après les faits par l’une des témoins de l’époque (Saucisse) à des villageois puis des décennies plus tard par le chœur de ces derniers devenus vieillards au narrateur. Dufaux et Terpant trouvent un équivalent en utilisant la métaphore théâtrale. On a ainsi d’emblée la double voire la triple énonciation : les acteurs-personnages de l’album semblent se parler entre eux mais leurs propos sont destinés au romancier et à madame Tim présentés comme les spectateurs d’une pièce et, par-delà, la narration est assumée par le dessinateur et le scénariste avec comme destinataire le lecteur. La frontière floue des récits et le mélange des époques si caractéristiques du style du roman sont retranscrits très judicieusement par les voix off. Les narrateurs se superposent : parfois madame Tim commence, et c’est Giono, Clara ou Frédéric II qui prennent le relais sans que le changement soit signalé. Le lecteur doit demeurer aux aguets pour ne pas perdre le fil d’Ariane et sortir du labyrinthe du récit. Les deux bédéastes renforcent même cette complexité en introduisant dans l’album la fausse suite du roman : « Noé », dans laquelle on voit le romancier dialoguer avec ses personnages, créant un vertige pirandellien et soulignant ainsi l’étonnante modernité du roman. Ils réussissent donc à garder, voire à augmenter la complexité narrative initiale, contrairement au scénario du film qui retrouvait la narration linéaire présente dans les premières œuvres de Giono dont il avait voulu se défaire.
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C’est parce qu’il voulait souligner la dimension orale de son récit que l’écrivain choisit de le baptiser « chronique » et non roman. Il ne s’agit nullement une chronique stendhalienne rendant compte des bouleversements historiques du temps, bien au contraire ! Si le récit enchâssé se déroule au moment de la Restauration, il n’est jamais question du retour de la monarchie et de soubresauts révolutionnaires : tout cet arrière-plan est gommé pour se consacrer à la peinture des personnages et du cadre environnant.
FAIT D’HIVER
Le roman inaugure la deuxième manière de Giono. Comme le souligne l’épigraphe, c’est un livre de sortie de prison. Après les déboires vécus -à tort- au moment de l’Epuration, l’auteur perd sa foi en l’homme et se met à écrire des histoires bien plus âpres et violentes en leur donnant un nouveau cadre : nous ne sommes plus en Provence mais dans le Dauphiné où les hivers sont rudes et les villages fermés sur eux -mêmes, dans un pays clos propice au tragique.
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Giono avait accentué ce sentiment de claustrophobie dans le film de Leterrier en exigeant une palette extrêmement réduite : bien que tourné en technicolor, le film jouait sur le noir et le gris des costumes et le blanc de la neige pour que les rares occurrences du rouge soient encore plus mises en valeur et que le spectateur ressente davantage l’obsession née de l’oppression d’un univers monotone et carcéral. Ces gammes chromatiques sont également déployées dans l’album avec les magnifiques pages en couleur directe de Terpant, mais le dessinateur rend surtout hommage à ces lieux qu’il connaît parfaitement en utilisant des couleurs chaudes et joyeuses qui célèbrent le Trièves et sa splendeur automnale dans les grandes cases consacrées au hêtre de Frédéric II, par exemple, qui forment de vrais petits tableaux.
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Les auteurs nous offrent une version en cinémascope en technicolor avec des couleurs chatoyantes. On y trouve une distribution de rêve : des figurants à la trogne expressive et l’air benêt pour un soupçon de comédie ; un vrai héros, Langlois (inspiré du charismatique Daniel Day-Lewis) alors que dans le roman il est âgé (56 ans) et n’est même pas à l’origine de la découverte du serial killer ; une jeune première pour la romance. Clara a les traits de Simone Signoret jeune, puisqu’à l’instar de Giono dans son scénario, le duo a rajeuni et embelli le truculent personnage romanesque de Saucisse. Ce côté glamour est aussi accentué par l’importance donnée au personnage de Madame Tim dans la bande dessinée alors que le romancier avait choisi de la gommer de son scénario et qu’elle n’apparaissait que dans la deuxième partie du roman. Elle amène des scènes joyeuses de fête et de printemps qui sont développées dans la bande dessinée et font contrepoint au climat tragique de l’ensemble. Dufaux et Terpant parviennent finalement à (ré)concilier les deux pans de l’œuvre de Giono : célébration de la nature et pulsion de vie d’un côté, noirceur de l’âme humaine de l’autre.
LE THEATRE DU MONDE
Il ne s’agit nullement d’une trahison puisqu’avant de regrouper ses récits nouvelle manière sous le titre de « chroniques », le romancier avait opté pour celui d’ « opéra-bouffe » ce qui mettait en valeur le mélange des genres- policier, conte philosophique- et des tons comique et tragique. Cela lui permettait de filer la métaphore du divertissement pascalien mais aussi de retrouver le thème cher à l’époque baroque du « théâtre du monde ». La référence au théâtre omniprésente dans l’album est donc parfaitement justifiée par sa portée philosophique. Le monde est un théâtre, chacun y est différent de ce qu’il semble être et chacun joue pour oublier la vacuité de sa condition humaine…
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Giono, écrit que l’assassin d’« Un Roi sans divertissement » « n’est peut-être pas un monstre » parce que finalement tout homme porte en lui un fond monstrueux. C’est sans doute pourquoi dans le film il prête sa propre voix au meurtrier– toujours hors-champ. Jacques Terpant s’en fait l’écho en dotant l’assassin de ses propres traits ! Le dessinateur reprend ainsi une autre des métaphores gioniennes. Le romancier cite, en effet, Pascal en clôture de son roman mais change radicalement le sens des mots qu’il lui emprunte car il s’éloigne de son point de vue chrétien. Pour Giono, il n’y a rien d’autre que le divertissement pour nous aider à vivre. Il y voit le seul remède au vide de notre condition. L’artiste est un équivalent du meurtrier de l’histoire qui agit comme un esthète en choisissant ses victimes pour la richesse de coloration de leur sang ou en écrivant en lettres de sang sur le cuir du cochon : il pratique la mise en couleurs d’un univers monochrome non pas grâce au crime mais grâce à son art. L’art se substitue à la cruauté : on se divertit en écrivant et en dessinant et nous, les lecteurs, sommes divertis par notre lecture en cherchant à percer le mystère des disparitions au village et à décrypter Langlois dont les motivations nous échappent (l’album étant en cela bien plus subtil que le film dans lequel le procureur nous donnait des guides redondants de lecture). Cet hommage à l’art salvateur se retrouve également dans l’épilogue de l’album.
Ainsi, on peut opposer aux contempteurs des adaptations d’œuvres littéraires en bande dessinée l’exemple éclatant de réussite du « Roi sans divertissement » de Dufaux et Terpant. Loin d’être un exercice paresseux et facile pour auteurs en mal d’imagination, cette transposition est une véritable recréation qui révèle au sens photographique du terme tant par sa narration que par sa maestria graphique toutes les qualités et la richesse de l’œuvre source. Cet album est un divertissement de roi : on a affaire à un bel hommage et on prend ici tout la mesure du terme « roman graphique » !
Pour nous tous, l’expression « gueules cassées » est synonyme de grave blessures au visage causées lors des combats de la Première Guerre Mondiale, c’est d’ailleurs à cette époque que ce terme est apparu. Mais les graves séquelles physiques dues à des combats existaient bien avant.
Voici l’histoire d’un de ces blessés, en réalité celle de son grand-oncle, que nous raconte Jean de la Varende dans son roman « Nez de cuir, gentilhomme d’amour » paru en 1937 et c’est adapté par Jean Dufaux et Jacques Terpant que le comte Roger de Tainchebraye prend vie sous nos yeux, dans « Nez de cuir »
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1814, la campagne de France oppose l’Empire de Napoléon 1er à la Sixième Coalition (Royaume-Uni, Irlande, Russie, Prusse, Suède, Autriche) qui tente d’envahir la France. A l’issue de ces combats Napoléon 1er devra abdiquer et sera exilé à l’île d’Elbe.
C’est pendant la bataille de Reims, face à des troupes de cosaques à cheval que Roger de Tainchebray est laissé pour mort, gravement blessé au visage par un coup de sabre qui lui a sectionné le nez et la joue, des coups de lance et une blessure au pistolet. Malgré la gravité de ses blessures, le jeune comte de 22 ans survit et après une convalescence d’un an, retourne habiter le château familial du pays d’Ouche (Orne). C’est là qu’il est attendu par la noblesse et la bourgeoisie locales qui sont impatientes de découvrir son nouveau physique, caché par un masque de cuir. Car même s’il a recouvré ses capacités physiques, son visage sera dorénavant caché.
Le jeune Don Juan va alors se lancer à corps perdu dans une fuite en avant où les femmes seront toutes l’objet de ses convoitises jusqu’à sa rencontre avec la très jeune et très belle Judith de Rieusse. Mais comment construire une histoire d’amour quand un masque de cuir interfère entre deux visages ?
Une magnifique remise en lumière d’un écrivain qu’on avait quelque peu oublié et qui pourtant écrivit de nombreux romans et nouvelles évoquant son terroir normand. Les très beaux dessins illustrent à la fois parfaitement le faste de cette société très privilégiée, mais également la beauté du bocage et des forêts normands.
Une très belle invitation à découvrir cynisme, amour et déchéance.
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