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Elle-même née en Transylvanie où elle a passé son enfance avant de migrer en Allemagne avec sa famille, Iris Wolff nous emmène à l’extrême ouest de cette région de Roumanie, près de la frontière hongroise. De la monarchie de Michel 1er à la dictature de Ceaușescu et à l’effondrement du bloc soviétique, on y suit quatre générations d’une même famille appartenant à la minorité saxonne.
L’hiver et l’isolement du petit village où son époux Hannes est pasteur pour sa communauté de langue allemande, ont bien failli empêcher Florentine de mener sa grossesse à terme. Né malgré tout sain et sauf, Samuel grandit paisiblement, au fil d’une existence simple et rurale, pourtant de plus en plus plombée par la pression politique qui vient menacer Hannes jusque dans ses prêches. Lorsque son ami Oz est sur le point d’être arrêté, Samuel l’aide à s’enfuir jusqu’en Allemagne, à bord d’un petit avion d’épandage. Il ne pourra rentrer auprès des siens que bien des années plus tard, après le renversement du « Conducător » qui se prenait pour le « génie des Carpates ».
Identité et racines, exil et liens familiaux sont les thèmes au coeur de ce récit consacré aux descendants, dont fait partie l’auteur, de ces colons allemands qui, dès le Moyen-Age, s’installèrent en Roumanie – alors en royaume de Hongrie - pour y créer d’importantes communautés. A l’unification de la Roumanie en 1918, la constitution reconnut ces minorités très anciennes non roumanophones, en leur permettant de conserver leur identité et leur langue. Nombre de ces Saxons de Transylvanie, de ces Allemands de Bucovine, ou encore de ces Souabes du Banat, furent expulsés pendant la seconde guerre mondiale ; beaucoup s’acquittèrent de taxes prohibitives pour être autorisés à quitter la Roumanie de Ceaușescu ; une nouvelle vague partit encore après la dislocation du bloc de l’Est. Mais ils sont toujours plusieurs dizaines de milliers à posséder en Roumanie des passeports indiquant leur nationalité allemande, par droit de sang, et leur citoyenneté roumaine, par droit de sol.
Relativement court, le livre enchaîne les ellipses, laissant d’autant plus au lecteur le soin de relier les pointillés entre époques, lieux et personnages, qu’avec une infinie délicatesse, la narration ne laisse transparaître le monde et ses événements que filtrés par l’intériorité des protagonistes. Si le récit y gagne en authenticité, et même en poésie, il faut faire preuve d’une certaine patience pour voir peu à peu se dessiner le fil narratif, entre impressions fugitives et silhouettes habilement esquissées. Il se dégage au final de ce « flou du monde », une impression de nostalgie contemplative beaucoup plus durable que les légères pointes de lassitude un peu désorientée ressenties de-ci de-là au cours de la lecture. Un très joli roman, qui mérite la persévérance de son lecteur.
J'ai eu l'excellente surprise de découvrir ce titre il y a deux mois parmi la sélection des Éditions Grasset sur NetGalley : je ne connaissais pas Iris Wolff, le synopsis de la maison d'édition évoquant la Roumanie de Ceaușescu m'a vite convaincue de le lire. L'auteure est ainsi née et a passé une partie de son enfance dans la région du Banat en Roumanie, sa famille a ensuite émigré en Allemagne cinq ans avant la chute du mur. Elle y vit toujours. On retrouve cet aspect de sa vie transposé dans ce roman. Il s'agit du quatrième roman de l'auteure germanophone, le premier seulement à être traduit en français, et il a été sélectionné pour le Deutsche Buchpreis en 2020.
C'est donc dans cette double culture roumaine et allemande que l'auteure a pioché pour construire une histoire qui se rapproche de la sienne sur quelques points. Le Banat est cette région géographique d'Europe du Sud-est, elle est historiquement partagée par la Roumanie, la Hongrie et la Serbie. Une région où se côtoient descendants de colons saxons, population roumaine, slovaque, une région mixte et mélangée, tout sauf uniforme, conforme aux desiderata de son Conducător omnipotent, bien loin du nationalisme imposé du couple de dictateurs au sommet de l'état à travers sa police secrète, cette Securitate, qui en plus de faire régner l'ordre, impose une sorte de paranoïa collective, dont une politique linguistique particulièrement sévère.
Le roman s'ouvre sur une scène qui n'est pas sans rappeler Et on entendait les grillons de Corinna Sabau, une atroce scène d'avortement dans un hôpital roumain, où les femmes sont parquées, déshumanisées, comme du bétail. Ce sont les premiers souvenirs, aussi bruts que brutaux, ceux de Florentine l'une des protagonistes qui observe la scène dans l’hôpital du coin. Le ton s'adoucit, ensuite, et laisse place à des souvenirs plus doux, une nostalgie plus légère qui atténue le choc et la violence des premières images d'avortement. Pourtant, rien n'est concrètement avancé, étayé, inscrits sur le papier, les échos de ce silence imposé par le règne Ceaușescu sont retentissants : la mise en abyme de la tyrannie de l'homme d'état est ainsi littéralement appliquée par le texte d'Iris Wolff, on ne dit pas, on suggère, à peine, on laisse deviner. Et d'ailleurs, le silence devient un art de vivre, à tel point que le fils de Florentine, Samuel, en perd pratiquement l'usage de ses cordes vocales.
Trouver du sens aux mots, redonner du sens aux silences, à travers la foi en Dieu, que la dictature a dépourvu de leur signification laissant place à un mutisme fait de crainte et d'effroi. La particularité de ces gens qui habitaient le Banat, c'est leur multilinguisme, roumain, allemand, slovaque, hongrois, et I'on découvre à quel point chacune d'entre elle marque une partie de leur vie, la langue maternelle, allemande, qu'on essaie de préserver intacte du blasphème de ces délations, surveillances et rapports imposés par le parti. L'idéologie salit tout, y compris les souvenirs, et peut-être que cette absence de parole qui résonne très souvent dans le roman, et par chacun des personnages, Samuel, mais aussi Florentine sa mère, les parents endeuillés, Ruth et Séverin. On retrouve dans le roman d'Iris Wolff tout ce bouillonnement de cultures est-européennes, à l'image de l'identité du Banat, où le prénom de Karline, du germain Karl, se transforme en Karoly selon la langue hongroise, en Charlie à la mode anglophone. La première partie, celle de l'enfance de Samuel, se passe sous le signe d'un temps qui est comme suspendu, ne pas respirer pour ne pas attirer l'attention, devenir inconsistant pour passer à travers les mailles du filet de la police sécuritaire.
Cette histoire de famille, celle d'Hannes et Florentine, de leur fils Samuel, Karline la grand-mère paternelle, son époux Johann, c'est la confrontation de deux pays voisins, la Roumanie et l'Allemagne, où une fois n'est pas coutume l'Allemagne apparaît comme la nation exempte idéologie mortifère, comme une terre d'exil, sauveuse, rédemptrice des péchés de sa terre voisine d'où rien ne doit sortir. L'Allemagne est cette nouvelle figure de l'avenir, un nouvel espace de liberté, qui rend la vie à nouveau possible, un nouvel élan vital qui aurait la possibilité de les voir s'épanouir. Une vie tellement pleine de liberté de s’adonner à toutes les activités, que finalement le silence devient une denrée rare.
Chaque génération de cette famille, issue d'une émigration allemande, illustre un pan d'histoire du pays : Karline a connu la monarchie roumaine, n'en est d'ailleurs jamais vraiment ressorti, elle vit encore dans un monde passé, éteint, qui sommes toutes lui permet de tenir ce présent à travers les souvenirs encore très vivants et tenaces qu'elle revit jour après jour. Hannes et Florentine sont eux les enfants du régime de Ceaușescu, gouvernés par la peur, la menace et le silence. Samuel, lui, est la voie de sortie de la dictature, celui qui redonne un nouvel espoir, une nouvelle tension à l'histoire familiale, celui qui prends les risques. Oz l'ami d'enfance de Samuel, illustre à sa manière aussi cette réclusion forcée dans leur propre pays, qui les consume tous peu à peu, à travers son incursion en prison, qui porte la représentation métaphorique de la dictature roumaine. On aime les grincements de dents de l'auteure, ces sarcasmes qui finissent d'écorcher la figure déjà bien démythifiée de celui qu'elle nomme tantôt geniul din Carpaţi (Génie des Carpates), Le Grand Timonier, Conducător (guide).
C'est un beau roman, qui illustre bien des conséquences de l'arrogance d'un couple dictatorial, l'envergure d'un totalitarisme aveugle et sourd - comme toutes les dictatures - et démesuré, laquelle se sert de la violence pour justement faire oublier ces mots, cette pensée, cette liberté de les exprimer et surtout de vivre, cette perversion qui consiste à justifier l'oppression et la privation par un sentiment factice de protection et de générosité. On y côtoie le pire, la mort sous toutes ses formes, les avortements illicites, ratés, le suicide, l'accident, et surtout une forme de résilience qui a permis et permet à la société roumaine de panser ses plaies. Et retrouver l'espoir de la parole, à commencer par Samuel
Ce roman se déroule en Roumanie sous le “règne” de Ceausescu, il raconte l’histoire de Samuel, de peu avant sa naissance jusqu’à l’âge adulte de sa fille. Ses parents font partie de la communauté de langue allemande, minoritaire dans le pays et son père est le Pasteur du village. Son enfance est silencieuse et protégée par sa famille et ses amis jusqu’à ce qu’ils hébergent deux jeunes gens de passage et que son père soit arrêté et interrogé sur le contenu de leurs discussions !
Chaque chapitre est le point de vue ou le moment de vie d’une personne de sa famille dans lequel nous le voyons grandir, murir, aimer comprendre et décider !
Le régime liberticide de Ceausescu est abordé avec beaucoup d’humour et de dérision par l’ami avec lequel il s’exilera en Allemagne.
L’écriture est douce et poétique mais n’oublie pas pour autant les duretés et les peurs de l’existence des habitants que l’auteure connait bien pour avoir vécu elle-même ce déchirement ! C’est pour moi un beau livre qui s’intéresse aux personnes et à leur humanité !
#Lefloudumonde #NetGalleyFrance
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