"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
On a envie de l'aider et de bien l'aimer Rico le loser "sans-dent" bedonnant à quelques encablures du sexagénaire. Et l'on parvient sans peine à l'apprécier. Il est touchant, il en fait trop, vivote de ses trafics sans forcément chercher plus -sauf si une occasion point trop fatigante lui tombe dans les mains. Il est désabusé, un peu nostalgique du Marseille d'antan "Et il ne faut pas le stimuler beaucoup pour qu'il déroule sa nostalgie d'un Marseille fernandélo-guéguianesque, avec une pincée de borsalinisme toutefois -ne serait-ce que pour son goût pour la geste mafiosique." (p.52). Borsalino étant l'un de ses films de référence, tendance Alain Delon, son quasi-sosie
Hugues Serraf, comme à son habitude, croque un anti-héros sympathique. Beaucoup d'ironie, d'humour, de légèreté tout en abordant des thèmes lourds, comme la vie qui passe, les regrets d'être passé à côté d'une vie plus enviable, la pauvreté... C'est drôle grâce à des formules détournées, des néologismes, des mots du parler marseillais. Rico, je le vois bien dans un film de Delépine et Kervern, c'est tout à fait le même univers, la France d'en-bas qui, en trimant -OK, c'est un concept assez éloigné pour Rico- enrichit et sert la France d'en-haut.
C'est un roman bien ancré dans notre époque, dans notre société où la réussite se mesure à la grosseur de sa voiture et/ou de sa maison, qui capte l'air du temps et le lecteur doucement et sûrement. Mieux sans doute que certains écrivains à la mode -mais j'abuse, je ne les ai pas lus, j'ai seulement lu sur eux et leurs livres. Sortez des sentiers battus, et osez rencontrer Rico, il saura faire le reste pour que vous restiez avec lui 180 pages.
Hugues Serraf vit à Marseille, j'ai lu et chroniqué certains de ses romans : Deuxième mi-temps, Comment j'ai perdu ma femme à cause du tai chi, Le dernier juif de France.
Après avoir découvert le milieu de l’art dans ce qu’il a de plus vil lors du premier roman de Fabrice Chatelain « En haut de l’affiche », paru aux éditions “Intervalles”, je me suis ici immergée dans le milieu du journalisme de la presse écrite aux mêmes éditions.
Plongée dans la rédaction de l’hebdomadaire parisien « Vision » qui peine à se tenir à flots entre la perte d’abonnés et l’engourdissement de leur ligne éditoriale, j’y ai découvert notre héros, chroniqueur de la rubrique cinéma qui stagne dans une vie assez plan-plan. L’arrivée d’un nouveau directeur va ébranler la rédaction, que ce soit par sa vision managériale que par ses idées du journalisme. En parallèle, notre chroniqueur doit parer son frère, Jeremy, pour qui la vie de dentiste juif en banlieue serait devenue périlleuse.
Bon, dire que toute ressemblance ne serait que fortuite serait en quelque sorte se voiler la face. Surtout que l’auteur est lui-même journaliste. Sa profession l’a sûrement bien aidé mais ce livre est réellement bien construit et bien écrit. Par une plume très fluide, Hugues Serraf met en exergue plusieurs thèmes actuels de société dont l’anti-sémitisme latent et ô combien, hélas, grandissant. Par des petits faits divers dont certains en minimisent les conséquences, c’est un danger actuel sur lequel on ne peut fermer les yeux.
Malgré un certain détachement pour la forme, on ne peut s’empêcher de se demander si l’auteur s’est lui-même inspiré de son vécu pour ce livre. Avec beaucoup d’ironie, notre héros se plaît à aller dans le sens contraire de ses pairs afin de pousser à la réfraction. Ce qui pourrait passer pour un roman léger et sans prétention pousse finalement les lecteurs à la réflexion, sans qu’ils ne s’en rendent compte. Et ça, j’aime beaucoup!
Sous la forme d’une critique satirique du monde des médias, c’est pourtant bien face à un appel au réveil des consciences qui est amené par Hugues Serraf et ce, de manière intelligente et éclairée.
Surprise, je ne m’attendais pas du tout à ce service-presse. Or, je serais sans doute passée à côté de ce livre qui, pourtant, mérite d’être connu et d’être lu. C’est pourquoi je remercie infiniment les éditions Intervalles pour leur confiance.
La cinquantaine, chauve, journaliste-critique-cinéma à l'hebdomadaire Vision, vaguement glandeur, c'est d'un œil circonspect que le narrateur regarde l'arrivée d'un nouveau patron censé dynamiser le journal en perte de vitesse. Pressenti pour devenir responsable du département culture, son mauvais esprit revendiqué, son goût de se moquer de tout et de tous le desservent. Et puis, il apprend qu'il est juif. En fait, il le savait bien sûr, mais très éloigné de la religion, ce n'est pas une identité ni même un questionnement pour lui, sauf lorsque l'antisémitisme le rattrape.
Ce personnage, ça pourrait être moi : la cinquantaine, -presque chauve-, athée, je hais tous les communautarismes quels qu'ils soient, et aime rire de tout. Mais, je ne suis ni journaliste, ni cycliste, ni juif. Personne n'est parfait. J'aime beaucoup le détachement, l'humour décontracté et cinglant de Hugues Serraf et de son double littéraire. Il rit de tout et de tous, en commençant par lui, la base avant de se moquer des autres. Son roman léger de prime abord, pose pas mal de questions et dresse un constat sévère de la société actuelle. Non pas qu'il dise que c’était mieux avant, mais il faut avouer que dans certains domaines, la volonté de rajeunir, de dynamiser ne se fait pas pour du mieux. En tant que journaliste, il parle de la dérive des médias vers les scoops à tout prix, sans vérification des sources et des infos, vers le sensationnalisme -qui fait vendre- jeté brut, sans explication, sans analyse. Désormais n'importe qui s'érige en expert et vient asséner ses vues sans les étayer ; les spécialistes auto-proclamés ou cooptés étant experts en tout. La description du petit monde de Vision est succulente, encombrée de jargon professionnel incompréhensible empli de mots creux juxtaposés.
L'autre grand sujet est le communautarisme, le racisme et l'antisémitisme. Tout ce qu'on entend un peu partout est dans les propos de l'un ou l'autre des intervenants : la différence entre l'antisémitisme et l'anti-sionisme, ce dernier permettant de minimiser le premier. Le rappel systématique du conflit israélo-palestinien pour justifier l’antisémitisme ordinaire. L'amalgame de tous les juifs forcément islamophobes et défenseurs d'un Israël envahisseur. Tout va dans le sens d'un manichéisme empêchant toute contradiction, toute discussion.
Bref, tout cela est fort bien fait, car écrit avec humour et détachement. Le narrateur est drôle, son côté revenu de tout et taquin est un délice. Il se plaît à provoquer la contradiction, juste pour voir les réactions (un autre point commun). Il est parfois gentil et d'autres fois vachard. Parfois sur des personnalités fictives -aux traits qui en rappellent des vivantes- et d'autres fois sur des réelles. Je me suis souvent dit, pendant ma lecture, que j'offrirais ce livre à untel qui a des idées -courtes- arrêtées sur le conflit israélo-palestinien sans en englober l'histoire entière, à un(e)tel(le) qui scrute chaque phrase pour savoir si dedans il n'y aurait pas quand même un peu de sexisme, à un(e)tel(le) qui jure que les juifs quand même ils sont partout où il y a de l'argent et du pouvoir, que les arabes sont tous des voleurs et les noirs des fainéants... Mais je ne suis pas certain qu'ils goûteraient le sarcasme et l'ironie de Hugues Serraf.
Hugues Serraf se met dans la peau d’un critique de cinéma dont l’hebdomadaire vient d’être racheté, entrainant une nouvelle ligne éditoriale. Incisif et drôle, c’est comme si Balzac avait rencontré Thierry Jonquet.
Toute ressemblance n’est pas fortuite, même si cette formidable plongée au cœur de la rédaction d’un hebdomadaire parisien n’est pas un roman à clefs. Et pour ceux que le jeu amuse, disons qu’Edwy Plenel pourrait très bien avoir servi ici de modèle à Léon Nykras, le directeur qui prend ses nouvelles fonctions. Et j’imagine que le personnage principal, en l’occurrence le chroniqueur cinéma, pourrait tout aussi bien être le double de l’auteur (la belle illustration de couverture de David Lanaspa venant conforter cette hypothèse).
Nous voici donc à l’heure des grandes manœuvres qui vont faire tomber Vision dans l’escarcelle d’un capitaine d’industrie, bien décidé à transformer le magazine de gauche en tribune du néo-progressisme. L’œil goguenard de notre journaliste aguerri regarde avec un certain intérêt la transformation en cours et la nouvelle maquette ne lui déplaît pas. Après tout, il ne se mêle pas de politique. Seulement voilà, la culture n’est pas en dehors du monde et le choix de ses chroniques doit aussi servir la cause. Et bien entendu, c’est là que le bât blesse.
Ayant longtemps travaillé au sein d’un hebdomadaire, il m’a été très facile de m’identifier à cet anti-héros, d’autant que dans mon cas, les débats ont conduit à la réduction puis à la disparition de la rubrique littéraire… Autre temps, mœurs identiques!
Mais foin de considérations personnelles et revenons au dernier juif de France. Au sein de la rédaction les événements s’accélèrent et les rebondissements s’enchaînent, si bien qu’on ne lâche désormais plus le livre. C’est le meurtre d’un rabbin à Sarcelles qui va cristalliser les débats, provoquer la prise de conscience. Et offrir à l’auteur l’occasion de nous livrer une savoureuse galerie de personnages. Comme dans un casting de cinéma, les premiers et les seconds rôles sont formidables, de la rédactrice en chef fraîchement nommée à la mère de sa petite amie. L’humour et le décalage entre les petites histoires et les grands problèmes font mouche! Quand par exemple l’antisémitisme rampant devient éclatant, quand on se rend compte que du sang juif coule dans ses veines, ce qui ne semblait jusque-là ne pas le préoccuper, pas davantage que ses collègues. Mais s’il oubliait pour un temps la filmographie de Woody Allen, ce serait peut-être pas si mal… Les comiques antisémites sont beaucoup plus amusants!
Et voilà comment une vie plutôt agréable se transforme en combat. Comment les petites routines du quotidien s’effacent au profit d’un engagement pour une liberté désormais bridée. Sous couvert d’une gentille farce, c’est bien à une analyse de notre société que se livre l’auteur. Sous couvert d’une critique au vitriol de la scène médiatique française, c’est bien à un réveil des consciences qu’appellent ces lignes. Il n’en reste pas moins que sont ici rassemblés tous les ingrédients du roman idéal pour les vacances. Hugues Serraf, c’est l’assurance de ne pas bronzer idiot !
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