"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Suivie par ses millions de followers, Emmy est une instamum, une influenceuse qui étale sa vie pas toujours rêvée sur le fil Instagram mamapoil.
Tout y passe, sa vie, mais aussi celle de sa fille Coco et du petit dernier Orson. Sans oublier Dan, la mari fidèle et suiveur, auteur d'un seul roman huit ans plus tôt et qui semble désespérément chercher l'inspiration pour le suivant.
Qu'importe, avec ses contrats mirifiques Emmy fait bouillir la marmitte et paye allègrement les factures, maison, famille, école pour Coco, vacances, tout est devenu possible.
Irene, son agente, prend soin de la carrière d'une de ses meilleure pouliches. Et de quasiment toutes les autres instamums de sa constellation.
Mais pour gagner des followers, il ne faut pas raconter sa vraie vie, celle là personne n'en veut. Pas toujours montrer du rêve non plus. Il vaut mieux être à plaindre, affabuler autant que possible tant que ce sera crédible, la vie d'une instamum n'est pas un calvaire mais s'en approche. Un véritable travail de composition finalement.
Pourtant, une personne rode dans l'ombre, et sa façon de suivre Emmy n'est pas vraiment celle dont rêve toute influenceuse... Que lui veut elle, et jusqu'où ira t elle...
Le roman, parfois poussif et avec quelques longueurs, évoque parfaitement le monde sans pitié des réseaux sociaux. Que peut-on y dire, jusqu'à quel point peut-on s'exposer sans se brûler les ailes, qui se cache derrière les followers. Car amour et haine, jalousie et empathie, tous les sentiments les plus contradictoires s'expriment sur la toile pour le pire comme pour le meilleur.
Trois voix pour une seule histoire. Trois points de vue pour éclairer le lecteur et lui dévoiler à travers ces trois voix les sentiments et les volontés de chacun des principaux protagonistes.
En ces temps compliqués, il n'est pas rare de voir de nombreuses personnalités se retirer de ces réseaux sociaux qui ont pourtant contribué à établir leur célébrité. Alors si l'on peut dire, raconter, s'exposer, il ne faut jamais trop en dire. Toujours protéger ses enfants et garder une part d'intimité et de secret.
Suivie, People like her dans la version originale parue en 2021, a été publié la même année par les éditions Hugo Thriller. Le style des auteurs est tonique, un subtil mélange de ton positif un rien désabusé: "Jeune fille aux cheveux incoiffables et aux dents de lapin, encore empêtrée dans les rondeurs de l'adolescence, je rêvais déjà d'être directrice artistique dans le milieu de la mode. Et atteindre finalement mon but ne m'a pas fait déchanter: j'adorais vraiment ce boulot. Je n'ai jamais imaginé faire autre chose, comme le confirmera Polly, la plus gentille et la plus patiente des amies. La meilleure aussi." (Pages 11-12). Ajoutez à cela un zeste de ton léger et d'humour sarcastique: "Pour atteindre la porte d'entrée, il faut passer devant l'escalier qui mène à l'étage (trois chambres et une salle de bain), puis devant le salon où se trouvent le canapé, la télévision et surtout les jouets, et enfin aborder le vestibule, toujours affreusement encombré. A l'issue d'un slalom entre un landau, une poussette, une draisienne, une trottinette et le portemanteau qui croule sous les vêtements, je marche sur la même licorne chantante et pousse un juron." (Pages 31-32). => Ensemble qui rend les personnages plus sympathiques, plus proches des citoyens lambda que nous sommes.
Le récit est raconté à la première personne, au présent: la narratrice s'adresse directement au lecteur, créant avec lui un lien de complicité. Il l'écoute lui raconter son histoire.
Construction: un enchaînement désormais classique de chapitres du point de vue de Emmy, d'autres du point de vue de Dan, son mari, également à la première personne, et de passages en italique d'un narrateur non identifié, racontant une partie de l'histoire selon son propre point de vue. Cette alternance d'éclairages différents de la même histoire permet au lecteur d'en aborder divers aspects afin de se forger sa propre opinion sans se laisser influencer par l'un ou par l'autre.
Thèmes: la maternité et tous ses questionnements, ses remises en question; l'hypocrisie et la superficialité des réseaux sociaux, leur toxicité, une virulente critique des méfaits d'Instagram: "Et ce dont vous finissez par vous rendre compte quand vous passez du temps sur Instagram, c'est à quel point tout ça est soigneusement coordonné. Les hashtags. La façon dont toutes les instamums likent et commentent systématiquement leurs publications respectives. La façon dont elles font sans cesse la promotion des autres influenceuses de leur petite coterie, se mentionnant les unes les autres et s'identifiant entre elles. La façon dont elles rabâchent les mêmes messages, les mêmes thèmes." (Page 178).
Emmy Jackson est une jeune femme très appréciée. Virtuellement. Par le million d'abonnées à son compte Insta sur lequel elle partage son quotidien et prodigue ses conseils de maman. Son credo: la sincérité. "Chaque fois que je me connectais et lisais le commentaire d'une mère qui vivait les mêmes choses que moi, c'était comme si des bras traversaient l'écran pour me serrer un bref instant et m'insuffler un peu de vie. J'avais le sentiment d'avoir trouvé une famille, d'évoluer parmi les miens." (Page 13).
Sauf que le personnage d'Instamum qu'elle s'est créé ne correspond pas tout à fait à la réalité, comme le dit Dan son mari: "Allez savoir pourquoi, tandis que je l'écoute raconter son histoire à la salle qui est conquise -son histoire qui est aussi, dans une très large mesure, notre histoire-, je me surprends à tenir le compte du nombre d'anecdotes qu'elle exagère, déforme ou dramatise au point qu'elles en deviennent méconnaissables. J'abandonne au bout d'environ trois minutes." (Page 17).
En réalité, pas une once de vérité dans ce monde virtuel fabriqué de toutes pièces: "Le meilleur moment pour mettre mes publications en ligne se situe juste après le coucher des enfants, lorsque les mamans de mon million d'abonnées se versent leur premier verre de vin avant de se laisser happer dans un scroll frénétique au lieu de rassembler assez d'énergie pour s'intéresser à leurs maris. C'est donc l'heure que je choisis pour envoyer mes posts apparemment spontanés, improvisés, sur le vif, mais qui en réalité ont été soigneusement mis en scène, photographiés et écrits longtemps à l'avance." (Page 42).
Bientôt, les doutes s'infiltrent dans l'esprit de Dan, qui supporte de plus en plus difficilement cette vie factice, exposée à tous: "Avons-nous commis une terrible erreur? Que pouvons-nous faire pour nous protéger davantage? Avons-nous, en exposant nos vies et celle de nos enfants sur Internet, pris une décision stupide, parfaitement insensée? Mettons-nous Coco et Orson en danger? Tout cela est-il mauvais pour nous? Sommes-nous d'affreux parents? Des êtres humains en dessous de tout?
Questions légitimes lorsqu'une femme non identifiée, meurtrie par le drame qui lui a enlevé sa fille Grace, les guette dans l'ombre, avide de se venger d'Emmy pour ce qu'elle leur a fait (on ignore quoi). La menace qui gronde au loin se rapproche inexorablement...
Tout commence comme dans un film hollywoodien, une comédie romantique racontant la vie parfaite d'une famille parfaite: des parents qui s'adorent, qui adorent leurs deux petits, ne connaissent pas les affres des fins de mois difficiles...Partagent chaque jour cette vie idéale avec un million d'inconnu(e)s...Les pages défilent. Bien sûr le lecteur se tient à l'affût du grain de sable qui va immanquablement enrayer cette machine parfaitement huilée. Quand ? Comment? Car tout le monde sait, en tout cas les gens qui font preuve d'un tantinet de jugeotte, qu'il est malsain d'exposer ainsi sa vie sur les réseaux sociaux, de s'offrir en pâture à toutes sortes de détraqués, de prédateurs...
Le propos de Suivie n'est pas de fustiger Internet et plus précisément Instagram, mais d'alerter sur les dangers et dérives possibles à exposer sa vie sur les réseaux sociaux. Car on ignore totalement qui se trouve derrière l'écran. Le destin d'Emmy pourrait être celui d'innombrables influenceuses. Il suffit de lire ce qui se passe sur la Toile pour comprendre que Suivie n'est pas qu'une fiction. Sans pour autant tomber dans la paranoïa...Moins on dévoile son quotidien à de parfaits inconnus, mieux c'est...
Un thriller frissonnant sur l'impact d'un système manipulé qui échappe à tout contrôle.
Emmy est ce que l'on appelle une influenceuse sur Instagram. Sa vie de maman est "suivie" par un million d'abonnés. Elle vit à travers et grâce à cela. Des posts quotidiens qui engendrent des milliers de commentaires, auxquels elle répond scrupuleusement, prodiguant des conseils bateaux à qui le veut. Tout ceci horripile son mari, écrivain en mal d'inspiration. Parce que derrière toute cette apparence de "Maman surbookée au bord du burn-out", il y a surtout une belle mise en scène et des vérités transformées en pieux mensonges. Placements de produit et cadeaux à gogo, photos filtrées et cernes inventées, Emmy ne crache sur rien pour embellir ou noircir le tableau selon ses besoins. Mais derrière les écrans se cachent des humains qui croient et boivent ses paroles. Un post de plus, un conseil de trop et elle devient la cible bien réelle d'un de ses suiveurs. Suivie elle va l'être, harcelée et pire encore. Le château de cartes s'effondre au fur et à mesure. Qu'à t-elle dit, cachée, fait pour en arriver là ? Jusqu'où le piège va-t-il se refermer sur elle ? Et surtout la vérité pourra-t-elle éclater sur les réseaux sociaux comme l'entend son suiveur ?
Manipuler une manipulatrice et l'arroseur arrosé des temps modernes.
Un roman à plusieurs voix : Emmy, Dan son mari et le suiveur de l'ombre dont on comprend assez vite est une suiveuse. Contre toute attente, mon empathie s'est orientée vers cette suiveuse, même si ce qu'elle fait est "hors la loi". Emmy est un personnage imbuvable et son mari n'est pas très loin derrière. Tous ses mensonges, ou ses arrangements avec la vérité comme elle le dit, sont tout simplement détestables.
C'est aussi un roman à 4 mains, puis que Ellery Lloyd est le pseudonyme du couple formé par Collette Lyons (journaliste) et Paul Vitos (écrivain).
Quand Emmy, influenceuse sur la parentalité expose sa vie de famille à des millions de followers, elle n'imagine pas une seule seconde se mettre en danger. Et pourtant derrière la toile, ses moindres gestes interprétés pourraient se retourner contre elle. De suivie à poursuivie, il n'y a parfois qu'une étape à franchir, et Emmy va en faire la pire des expériences...
Avec ce roman, on entre à l'intérieur des coulisses d'une influenceuse avec tout ce que cela comporte en matière d'investissement et de contrainte. Dans ce récit en alternance, on suit le point de vue d'Emmy, de Dan son mari écrivain en panne d'inspiration, et d'une abonnée de l'ombre en souffrance.
On décortique ici très bien les façades numériques avec le travail réalisé pour rendre un cliché spontané ou naturel, crédibiliser des placements de produits... On dit la surexposition, l'amalgame que l'on peut faire avec la personne réelle et son image.
Petit à petit, on inscrit le malaise, les failles qui vont permettre à celle qui leur veut du mal, de grandir. D'indices imperceptibles aux incidents plus marquants, l'anonyme exploite le contenu de sa victime pour se rapprocher de son but. Ses intentions et son histoire sont distillées avec précaution, derrière lesquelles on devine le morcellement, la rage intérieure.
"Avons-nous commis une terrible erreur ? Que pourrons-nous faire pour nous protéger davantage ? Avons-nous, en exposant nos vies et celles de nos enfants sur Internet, pris une décision stupide, parfaitement insensée ?"
L'écriture est habile, pertinente et les personnages bien exploités. On se laisse couler dans cette intrigue où l'angoisse enfle au fil des pages. C'est très bien construit, insidieux pour installer sinon une méfiance, une vigilance pour les réseaux sociaux.
Un thriller intelligent, captivant et bien ancré dans l'air du temps !
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