"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Yuka et Ohatsu accueillent temporairement un étranger dans leur humble logis. Cela pourrait être anodin, sauf que nous sommes en 1960, à Hiroshima, et que l'homme est américain. Malgré l'extrême discrétion de Yuka, l'Américain Sam Willoughby va découvrir en même temps que nous les ravages causés par la bombe atomique 15 ans plus tôt. Car aucun.e survivant.e n'est réellement rescapé.e de cette horrible tragédie guerrière, dont les conséquences ont engendré des séquelles irréparables sur la population...
J'ai particulièrement apprécié la préface de Maurice Pons, qui nous aide à resituer l'Histoire dans l'histoire. Ces explications sont nécessaires pour saisir les enjeux et entrer dans ce très court roman, totalement inspiré de faits réels.
Je suis rapidement entrée dans l'histoire et j'ai été touchée par Yuka, son amour pour sa sœur, Ohatsu, son mari, Fumio et leurs enfants. Cette "femme de trente et un ans, mariée et mère de famille", pour qui la "coquetterie n'est plus de [son] âge", raconte ces épisodes de sa vie à la première personne. Et ce personnage de fiction rend la parole à des centaines de personnes bien réelles ayant subi cette tragédie. Ce sont les épisodes les plus terribles qui concluent le roman, et la fin est aussi abrupte que poétique, à l'image de l'ensemble de l'ouvrage.
Le style d'Edita Morris est fluide, poétique, sensible. Même si l'écriture est très occidentale, on sent bien que le récit est totalement imprégné de culture japonaise. Le vocabulaire précis et intimiste et l'utilisation du présent renforcent notre intrusion dans l'introspection de Yuka. La construction semble assez simple, mais elle recèle d'astuces narratives intelligentes (l'oiseau, la maîtrise de l'anglais et les références aux différences de langage entre Occidentaux et Asiatiques). Edita Morris réussit à mettre en relief toutes les différences culturelles et comportementales qui séparent les Américains des Japonaises, mais aussi cette humanité qui les lie.
Ce roman se déroule environ une dizaine d'années après le bombardement d'Hiroshima. On comprend que la narratrice Yuka a vécu cet événement, tout comme sa jeune sœur Ohatsu. Les faits ne sont pas clairement énoncés mais ils sont distillés et divulgués au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture.
C'est l'arrivée de Sam qui va amener à évoquer le passé. Sam est un Américain qui est à Hiroshima pour le travail et qui décide de résider chez Yuka qui loue une pièce. C'est cette incursion extérieure qui va être le déclencheur pour montrer quelles sont les conséquences de la bombe atomique sur la vie des deux sœurs et par extension sur celle de la communauté. On découvre ainsi les séquelles visibles et invisibles en même temps qu'on nous dévoile les effets que cette explosion a eu sur les personnages. Toute une génération d'habitants d'Hiroshima vit avec la bombe atomique que ce soit dans les souvenirs ou dans leur chair car les effets sur la santé sont cachés mais sont bien réels. Cette population condamnée à subir les conséquences toute leur vie et qui marque aussi leurs relations avec le reste de la population japonaise. Ils sont considérés comme des parias et sont ostracisés par le reste de la population japonaise même si rien n'est officiel.
Bien que ce roman traite d'un sujet grave et délicat, l'autrice rend un très bel hommage à ces victimes qui refusent d'en être et nous montre le pouvoir de résilience de cette population qui a réussi à se relever après les pires atrocités vécues. Une lecture pour ne pas oublier et où on retrouve bien la marque des romans japonais même si l'autrice est américaine.
J’ai découvert ce livre qui date de 1961 et dont je n’avais jamais entendu parler. Il raconte la visite d un américain dans la ville d Hiroshima où il est hébergé chez l habitant , qui cherche à lui cacher la vie des survivants après la bombe atomique.
Ce livre est très instructif sur ce que sont devenus ces survivants 15 ans après la bombe , leurs conditions de vie , mais de manière très poétique .
Une belle lecture !
Quinze ans après le drame d’Hiroshima, la bombe continue ses ravages.
Dans cette ville en reconstruction, Yuka vit avec son mari Fumio, leurs deux enfants et sa soeur Ohatsu. Un américain, Sam-san, leur loue une chambre. Avec lui nous découvrons peu à peu les coutumes japonaises ancestrales, tout en pudeur et raffinement. Pour préserver un semblant de quiétude, on maîtrise ses sentiments, on se couvre la bouche de la main pour sourire, on s’incline pour marquer son respect, on montre sa dévotion aux anciens et on culpabilise lors des moments fugaces de joie.
Derrière ce sourire de façade, nous percevons progressivement les séquelles de ce jour funeste du 6 août 1945. Sam-san était loin d’imaginer les effets dévastateurs de la bombe lancée par ses compatriotes, qui perdurent encore des années plus tard. La volonté de Yuka de le protéger de ces révélations est touchante. Car à Hiroshima le sujet est tabou. Les brûlures et les déformations, témoins visibles de l’horreur, sont camouflées. Les survivants peuvent développer longtemps après la « maladie de la bombe atomique », la radioactivité s’insinuant insidieusement dans le corps. Ceux qui n’ont pas de séquelles physiques, comme la belle Ohatsu, portent en eux les germes de la radioactivité. Leurs enfants et petits-enfants menaçant d’être des monstres, ils sont isolés socialement.
« Et ils sont nombreux à Hiroshima, ces jeunes gens qui semblent intacts mais qui portent en eux-mêmes leurs cicatrices et leurs infirmités. » Les fantômes du passé sont toujours présents, ils accompagnent les survivants dans le deuil et la mélancolie. Yuka et Ohatsu ont perdu leur mère ce jour-là, et elles honorent sa mémoire chaque jour en déposant sur l’Otha les fleurs blanches qu’elle affectionnait tant, les fleurs d’Hiroshima. « Le fleuve est la seule tombe, à Hiroshima, que l’on puisse fleurir ».
On apprend dans la préface de Maurice Pons qu’une maison de convalescence pour les victimes de la bombe H, la « fondation Morris » du nom de l’autrice, a été installée sur les rives de l’Otha.
Ce court roman, qui a reçu le prix Albert Scheitzer en 1961, est triste et doux à la fois. Edita Morris écrit un récit poignant et un concentré intense d’émotions. Sa plume est délicate et poétique. Elle nous montre avec quelle dignité les survivants d’Hiroshima font face à cette injustice, sans haine et avec un courage qui force l’admiration. Yuka, l’héroïne, est un personnage particulièrement attachant. Avec sobriété et pudeur, elle nous laisse percevoir ses failles, son humanité, et tout l’amour qu’elle souhaite donner pour réparer l’insoutenable.
Merci à Lecteurs.com et aux éditions « J’ai lu » pour l’envoi de ce roman coup de coeur, traduit par Suzanne Lipinska et paru dans la collection « Les iconiques ». Je le recommande comme un témoignage utile, qui m’a émue et troublée, sur l’horreur de la bombe atomique.
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