"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Ce livre est une merveille d’exigence de poésie de justesse d’aventure de défaillances. Un roman monde, un roman mer, un roman peuple. Une plongée sous l’eau auprès des noyés, des sauvés, des citoyens et des en marge. De l’un à l’autre d’espérances en abandons.
Sublime couverture, superbe maison d’édition. Une langue qui chuchote à l’oreille des marins qui n’apprennent pas encore à nager, pas encore et à ceux qui savent le vent dans les cheveux le chant dans les doigts.
Je quitte Danaé et ses autours avec regrets mais délice d’avoir enfin succombé.
Sur le papier ce roman avait peu de chance de me plaire : je préfère de loin la montagne à la mer, je ne lis pas de romans historiques et encore moins ceux de 700 pages.
Mais il y a toujours une exception ! J’ai adoré ce long roman d’aventures maritimes et je sais que je garderai longtemps à l’esprit l’histoire d’Ys et des Issois, et celle de Danaé Poussin.
Sur l’île d’Ys, au cœur de l’Atlantique Nord, en ce 18ième siècle réinventé avec brio, la vie n’est pas du tout la même selon que l’on vit dans la cité ou hors des murs, selon que l’on est marin ou terrien.
Danaé Poussin, naît dans la cité, devient orpheline alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, et découvre alors la dureté de la vie loin des remparts protecteurs. L’histoire de Danaé, qui contrairement à l’immense majorité sait nager, est marquée au fil du temps par la rencontre avec cinq hommes.
Ces cinq tranches de vie constituent les cinq parties de ce roman. Le destin de Danaé est exceptionnel, elle apprendra à lire, à vivre tour à tour comme une vraie citadine ou à survivre avec presque rien, à naviguer et à se protéger des tempêtes, à aimer.
Chaque moment de la vie de Danaé est entrecoupé d’informations sur l’histoire d’Ys, l’économie et les usages en pratique sur l’île.
L’auteure crée sous nos yeux ébahis et dans une langue unique, une société dans toute sa diversité, sa complexité. Je quitte à regret Ys, république dans laquelle les femmes occupent une place essentielle, dans laquelle il n’y a pas de religion, pas de peine de mort, pas de mariage. On y choisit ses compagnons de vie, ses frères de matelotage, ses parents et enfants d’adoption. Au mieux, pour survivre aux éléments déchaînés, au vent, à la mer source de vie et qui prend si facilement celle des hommes.
Cette fresque romanesque m’a complètement embarquée et m’a laissé des images plein la tête, celles de côtes déchiquetées, de bateaux, de pirates, de noyés et de survivants, d’hommes courageux ou pas, de quelques précieux ridicules et vaniteux mais surtout celles de femmes fortes et intelligentes.
Chef-d’œuvre ! L’Alcazar littéraire !
Stupéfiant de maîtrise « Les marins ne savent pas nager » est le livre absolu, un choc de beauté.
Le lire, c’est vivre une épopée maritime. Étreindre le pouvoir d’une langue glorieuse. D’une subtile inventivité, polie en amont, la trame est un voyage hors pair, un viatique.
Écoutez voir Dominique Scali ! L’île d’Ys lève son orée, l’heure pleine dont l’île où tous dépendaient de la mer, où même les terriens se vantaient d’être marins, et pourtant personne ne savait nager ».
L’île séparée en deux versants, hiérarchisée, caste indélébile. Dualité, d’un côté la Cité, murailles fortifiées, à l’abri des rituels d’équinoxe. Lieu où ne gravitent que les nantis, ceux qui ont acté le bravoure, l’honneur, les bien-nés, les initiés cooptés. Cercle approuvant seules les arrivées d’Invitées accrochées aux bras des terriens.
De l’autre, les rivages et les bords, les écueils et embruns, rides sur les visages. Tenaces et altiers, quêtant les épaves si nombreuses, peu ou pas sachant nager. L’adage maître de la persévérance, de la droiture, de la loyauté. Autarcie et pain moisi, pauvreté et des étoiles de mer sur les cœurs. Ici, vit Danaé Berrubé-Portanguen dite Poussin. « Nom antique, celui d’une princesse grecque qui avait connu l’enfermement, voguant sur les flots pour s’évader et accoucher d’un demi-dieu. C’était surtout un nom de bateau. On donnait aux navires des noms de femmes et aux femmes, des noms de navires. »
Elle seule sait nager, sauveuse et naufrageuse, l’orpheline bercée par ses courages, ses trésors résurgences des fonds d’océan, d’écume et de survivance.
L’écriture est un flambeau qui éclaire l’île d’Ys. « Ils avaient atteint le cap Nordant, ce bout de l’île pointant vers le pôle. Cet ultime promontoire où vivaient les plus riches des pauvres, où les gens récoltaient, disait-on assez de superflu pour se consacrer au grand et à l’inutile. » Ils sont l’adage des épreuves, les gestuelles dignes et pudiques, l’éclosion des envies de franchir la Cité, défier les langueurs de la passivité des soumissions.
« Passer un certain âge, on ne peut plus se leurrer. Mais la mer veut de toi, Danaé. C’est le don que tu as reçu et avec les dons viennent les devoirs... » « Parce qu’il faut se battre pour toutes les choses qui méritent que l’on se batte pour elle. » Les riverains, collectif concorde, soudés dans l’altérité, l’équité souveraine.
« Les riverains savaient qu’on pouvait trébucher sur la beauté de quelqu’un comme sur un récif . »
Livre de l’infinie grandeur.
« Être un vrai marin, c’est savoir faire ses adieux. »
Pénétrer la forteresse, l’impression d’une Cité où ne se déplace à lames et à fonds que la superficialité et l’incandescence.
« Tu es condamné à voir les autres voler dans le sens contraire. Tout t’est dû, mais rien ne t’est réservé. Il faudrait que le vent vire, que la marée s’inverse, que ce qui est englouti remonte à la surface et que ce qui flotte coule… En attendant, fais ce que tu fais le mieux : nage. Ne cesse jamais de nager. »
Une micro-société où rien ne dépasse, pas un faux-pli ou le manque. Le sésame pour franchir la Cité serait l’apparence de chimères. Croyances floutées et trompeuses d’une Cité où la mer ne frappe pas ses enfants. Un espace chimérique, le Graal, et pourtant ! C’est ici que gravite le retournement des vérités.
« Tu es née dans la cité. Tu n’es pas une créature du rivage. V’là qui complique tout. Tu est un oiseau qui hiverne l’été et qui estive l’hiver. »
Danaé, plus qu’un symbole, le mythe tressé, pieds-nu dans le sable. Issoise jusqu’au bout des lèvres. Ce livre miraculeux est un don d’écriture. Une chance éditoriale inouïe. Une histoire mappemonde où l’on pressent le langage intrinsèque. La plume qui dévore le papier. L’éclosion d’une littérature unique. Vous savez, ce genre de livre qui perdure dans les siècles. D’aucuns sauront encore dans le lointain pas encore né, la forme de chaque virgule, le regard de Danaé. L’étreinte belle et sauvage, la déambulation dans le rare et Ys. Livre d’apothéose, juste une cloche pour bâtir une école à flanc de roche et de transmission. « Les marins ne savent pas nager », encore et encore, l’écho en moi.
Un livre chant, l’entre-monde où rayonnent les vives beautés, les cycles des paroles marines et estimables. Ce livre est le piédestal, la nage en pleine page, jusqu’à l’horizon :et la rencontre avec Danaé. Publié par les majeures éditions La Peuplade.
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