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Peintre doté d'une certaine renommée dans le Japon des années trente, Yuasa Joji se laisse porter par ses succès féminins, incapable de décider clairement entre les femmes qui tournent autour de lui. Alors qu'il peine à couper le lien avec sa première épouse dont il divorce, il se laisse séduire par la fantasque Takao qui s’échappe alors aussitôt, tombe amoureux de la belle Tsuyoko sans se donner les moyens de contrer l'opposition de sa famille, et, par facilité, finit par se remarier avec la jeune et bien dotée Tomoko, pour le regretter aussitôt.
Derrière les apparences du séducteur, se cache en fait un homme indécis, qui s'en remet toujours aux autres et aux événements pour infléchir le cours de sa vie. Répugnant à déplaire ou à contredire, toujours dans le sens du courant, il s'avère incapable de faire des choix et encore moins de les imposer, se contentant de se croire amoureux ou aimé, sans disséquer clairement ses propres sentiments ni chercher à voir au-delà des apparences. Naïf, veule et immature, mais sans méchanceté aucune, il finit par être le jouet de ses conquêtes ou de leur entourage, éternel coeur d'artichaut qui, pour son malheur, ne sait plus qui il aime ni qui l'aime.
Agaçant, l'homme reste malgré tout sympathique, car pitoyable et malheureux. Toute l'intrigue se déroule de son point de vue de narrateur, c'est-à-dire plutôt neutre et passif, sans grand sentiment ni état d'âme, si ce n'est un profond désarroi.
Chiyo Uno nous renvoie ici le trouble d’un Japon tiraillé entre modernité et traditions, à une époque où elle faisait elle-même figure d’exception par sa vie tumultueuse et sa lutte pour l’émancipation féminine. Son état d’esprit précurseur se retrouve dans la détermination et l’insolence de ses personnages de femmes. Il confère à ce récit une dimension critique et moqueuse à l’égard du patriarcat nippon, en même temps qu’une étonnante modernité.
Mené d’une plume fluide et alerte, ce roman agréablement dépaysant dévoile avec subtilité les complexités du Japon, au travers du regard ironique d’une femme en rébellion contre l’hypocrisie d’une société très attachée à l’honneur, avant tout masculin.
De son propre aveu, Kanô est un bon à rien qui vit aux crochets d'une femme. Or cette femme, Okayo, n'est pas son épouse mais sa maîtresse, une ancienne geisha qui gère désormais son propre établissement. Lui a fait péricliter la teinturerie familiale et fait le brocanteur en dilettante pour gagner son argent de poche. Et ce n'est pas là le pire de ces méfaits ! Son acte le plus honteux a été de quitter Ohan, son épouse légitime, alors qu'elle attendait leur enfant. C'était il y a sept ans et depuis il n'a pas revu sa femme et ne connaît même pas son petit garçon. Pourtant, quand un soir d'été, il la croise par hasard, Kanô est bouleversé. Soudain il ne pense plus qu'à cette femme lâchement abandonnée, se reprochant son inconduite. Beau parleur, il réussit à se faire pardonner et la situation s'inverse : il devient l'amant de sa propre femme. Il se rapproche également du petit Satoru, son fils inconnu, et décide de quitter Okayo pour emménager avec Ohan. Pourtant il ne suffit pas de décider, il faut agir aussi et Kanô n'est pas un homme d'action. Comment laisser Okayo et Osen, la fille qu'elle vient d'adopter, sans la faire souffrir et sans en pâtir lui-même ? Comment faire patienter Ohan et Satoru, impatients de former une famille ? Pris entre deux feux, Kanô tergiverse, hésite, promet, se ravise, ne sait laquelle choisir.
Indétrônable figure des romans d'amour, le triangle amoureux est ici dessiné avec la délicatesse d'une estampe japonaise. Avec beaucoup de pudeur, de retenue et un sens aiguisé de la dramaturgie, Chiyo Uno raconte l'histoire banale d'un homme qui ne peut choisir entre les deux femmes qu'il dit aimer. Banal l'homme l'est aussi, dans son égoïsme, sa lâcheté sa frivolité. Les femmes le sont moins. Ohan, mère aimante, épouse patiente, femme humble et digne qui s'inquiète pour sa rivale. Okayo, forte, ambitieuse, entreprenante, amoureuse de son vaurien d'amant. Et puis il y a les enfants, une fille, un garçon, tous deux cherchent un père et là encore Kanô ne saurait être à la hauteur, lui qui fuit les responsabilités comme la peste. Mais à être inconstant et volage, la vie ne fait pas de cadeau et se charge de punir le faible qui veut tout et ne donne rien. Le drame, prévisible, inévitable, frappe de plein fouet un Kanô qui découvre quand il le perd, ce à quoi il tenait le plus sans se l'avouer.
Un petit bijou comme seule la littérature japonaise peut en proposer, tout en poésie, en délicatesse. Dans un Japon intemporel, la ritournelle des sentiments au gré du passage des saisons. A découvrir.
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