Au cœur du second roman de Céline Debayle on trouve deux hommes absents. Ceux que la narratrice – une fillette dans la France des années cinquante – cherche à retrouver dans son souvenir.
En une phrase, la première du roman, le lecteur a tout à la fois le résumé du livre et l’état d’esprit de...
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Au cœur du second roman de Céline Debayle on trouve deux hommes absents. Ceux que la narratrice – une fillette dans la France des années cinquante – cherche à retrouver dans son souvenir.
En une phrase, la première du roman, le lecteur a tout à la fois le résumé du livre et l’état d’esprit de la narratrice: «Mon oncle fait la guerre, mon père ne fait rien». Cet oncle est parti vers l’Indochine pour défendre les miettes de l’Empire, tandis que son frère passe son temps dans les cafés à s’acoquiner à la pègre, à jouer, à boire.
Nous sommes à Marseille, en 1953, au moment où la mère de la narratrice décide de quitter ce père devenu totalement ingérable, de partir se réfugier à Antibes.
Sa fille ne comprend pas vraiment ce qui se passe, suit le mouvement sans imaginer qu’elle ne reverra plus ce père qu’elle aime tant. Dans son esprit, il reste sa vedette de cinéma ressemblant à Clark Gable dans «New York-Miami, sans moustache mince ni chapeau mou», celui qui la «secouait de rires avec un rien, une singerie, le mot Honolulu, le bruit du moustique». À sept ans, elle est déjà nostalgique de cette époque où son père marchait droit, lorsqu’il était maître d’hôtel au restaurant Lou Pescadou.
«Le siècle était pile à mi-course. La France se remettait debout, l’Europe naissait. Insouciance, croissance, espérance, l’horizon dégagé jusqu’à l’an 2000. La Guerre froide n’inquiétait pas encore. C’était l’époque de la cigarette reine, des bouteilles consignées, du beurre à la coupe, des agents aux carrefours avec le bâton blanc. L’époque des bals à javas et des blagues à Toto, des tabliers d’écoliers et des opérettes de Luis Mariano.»
Le soleil se couchant sur la Méditerranée au large d’Antibes ne pourra effacer les larmes de la fille, ni celle de sa mère. Toutes deux n’imaginaient pourtant pas que leur destin avait déjà basculé, que leur ex-mari et père était déjà «en route vers le noir. Terrible noir. Irréversible noir.»
C’est tout à la fois cette descente aux enfers et l’évolution psychologique de la narratrice que Céline Debayle réussit fort bien à rendre dans ce roman à l’atmosphère singulière. En dressant un parallèle entre les deux frères, le voyou et le soldat, le moins que rien et le héros qui défend son pays, elle accentue le gouffre qui va emporter une enfance. Dans cette France qui se métamorphose, la peur va alors faire place à l’insouciance. Et si son père ne la retrouvait pas? Et si sa mère disparaissait elle aussi? Et si elle devait alors vivre chez cette tante et cet oncle qu’elle aurait tant aimé voir mourir à la place du si joli couple formé par ses parents?
Le choix de la romancière de confier le récit du drame qui se noue au fil des pages à une fillette permet de donner lui donner davantage d’intensité, de violence. Saisissant!
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