Le premier titre des Éditions Métailié à paraître en ce mois de janvier, le nous ramène en Amérique du Sud, plus particulièrement au Brésil, avec un auteur, Bernardo Carvalho, qui est également traducteur et journaliste : c’est le huitième roman publié chez les éditions, quant à moi, c’est le...
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Le premier titre des Éditions Métailié à paraître en ce mois de janvier, le nous ramène en Amérique du Sud, plus particulièrement au Brésil, avec un auteur, Bernardo Carvalho, qui est également traducteur et journaliste : c’est le huitième roman publié chez les éditions, quant à moi, c’est le premier roman de cet auteur que je lis. J’ai été attirée par le fait que l’action se déroule avant et après le confinement, c’est donc un roman qui nous fait voyager et simultanément qui ne nous ramène que quelques mois en arrière dans le temps. Un roman qui nous est à la fois proche, nous sommes tous encore marqués par ces semaines de confinement, et distant, de par le contexte qui est le sien .
La narratrice est une femme de trente-neuf ans, et qui enseigne la sociologie à l’université. Quittée par son mari, elle entretient une aventure d’un soir avec un étudiant, dont elle ne connaît ni le nom, ni les origines. Elle tombe enceinte, et dès la fin du confinement, elle se décide à partir à la recherche de celui qui endosse cette paternité ignorée. C’est une femme confrontée à la solitude, une double façon de la vivre, dans son nouveau climat, et dans l’isolement forcé pour lutter contre le Coronavirus. Pour rappel, on est en 2020 au Brésil, le confinement a été déclaré par les différents gouverneurs des Etats contre l’avis d’un Joan Bolsonaro, covidosceptique et anti-vax reconnu, grand fan de Didier Raoult, le professeur charlatan qui a été à la source de nombreux morts avec ses affabulations et sa chloroquine.
C’est un récit fragmenté, polymorphe, dont un monologue intérieur mené par une femme à l’aube de sa cinquième décennie, qui débute une vie nouvelle. Tout part, plutôt mal, d’une conférence qui dézingue en beauté ses romans écrits sous un pseudonyme masculin. La scène est plutôt cocasse, et un brin moqueuse, j’imagine de la critique littéraire puisque y est dénoncée l’incapacité du faux-auteur à appréhender la réalité autrement que par le biais de son prisme masculin. D’autant plus ironique quand on sait que Bernardo Carvalho utilise, lui, la focalisation féminine. C’est aussi interrogateur, le fait de se cacher derrière une identité masculine pour publier son livre. Peut-être la volonté d’échapper à toute forme de catégorisation pour garder une certaine forme de liberté littéraire. Une femme dont la liberté renouvelée est exacerbée par cette menace de la maladie, qui rend le présent encore un peu plus intangible, fugace, et qui dans ces restrictions actuelles expérimente une autre forme d’existence : libre, imprévisible, mouvante, insaisissable. L’expérimentation de ce confinement qui est consciencieusement disséquée et analysée ici est générale, en tant que lectrice française je me l’approprie totalement, et l’auteur la dresse en tant que frontière invisible entre ancien et nouveau monde, sans et avec coronavirus.
Il parle aussi de rapport à la réalité, les biais qui faussent les rapports entre vision personnelle et objectivité, et pour cela le covid est un parfait exemple : il démontre comment les gens se fourvoient, portent des œillères, déforment la réalité, d’abord par son prisme à elle. Notamment à travers du racisme systémique qui divise la population, traitée (et soignée, entre autre) inégalement selon ses origines sociales, sa couleur de peau. Ce récit, anonymisé, pas de nom propre qui puisse personnifier le texte, s’assimile à une étude sociologique, celle d’une femme quarantenaire, fraîchement divorcée, enceinte d’un étudiant. Il met en relief l’anonymisation de cette société, à travers un enfant né de parents qui ne savent rien de l’un et de l’autre, des contacts dépourvus de chaleur et de lien, ou internet, contradictoirement, accentue cette déconnexion entre les individus d’une société particulièrement fragmentée, encore plus sous la présidence Bolsonaro.
L’auteur mène une réflexion intelligente sur le monde post-covid, ou du moins post-confinement, puisque la maladie, elle, est toujours là : sur la corrélation de la réalité et de la mémoire, ce qui est vraiment et la façon dont les gens s’en souviennent, avec cette mémoire personnelle qui brode, enrobe une vérité propre à soi-même. Après ce confinement qui a davantage divisé les gens, qui a exacerbé les incertitudes, et l’inquiétude qui en découle, quant à l’avenir qui nous est réservé.