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« Ulysse hésita : ou bien supplier cette fille charmante en la prenant aux genoux, ou bien sans plus avancer n’user que de paroles douces comme le miel ? Il pensa tout compté que mieux valait rester à l’écart et n’user que de paroles douces comme le miel : l’aller prendre aux genoux pouvait la courroucer. Aussitôt il tint ce discours : [Je te prends les genoux, maîtresse, que tu sois déesse ou mortelle] ».
C’est par l’un des plus beaux chants de l’Odyssée que l’académicienne Barbarin Cassin débute son essai prodigieux sur le pouvoir des mots, Homère, divin à l’image d’Ulysse, inventeur païen du performatif, là où le langage devient action, notion développée par John L. Austin dans « How to do things with words » et qui devient avec Barbara Cassin « Quand dire, c’est vraiment faire ». Oui, vraiment…
Quand Ulysse se présente devant Nausicaa, au lieu de se jeter à ses genoux et les lui prendre il va « simplement » déclarer : « Je te prends les genoux ». Parler au lieu de faire, un acte illocutoire.
C’est l’occasion d’une véritable déclaration homérique, une ode au poète grec qui est à la base de tout (que Platon le veuille ou non), un juste retour pour un Homère qui glorifiait tout, et qui, permet à la philosophe d’introduire une autre notion, celle de l’éloge.
La deuxième partie est consacrée à Gorgias et sa « belle Hélène », où « louant le louable et blâmant le blâmable » c'est une quintessence du paradoxe de l’éloge qui finit par innocenter Hélène. Une preuve pour ce chantre de la rhétorique de son immense critère de la vérité. S’ajoute évidemment une étude sur le Gorgias de Platon, ces dialogues entre Gorgias et sa rhétorique-sophistique, et, Socrate pour qui, si je résume affreusement, l’art de bien parler est un mensonge…
La troisième partie est plus contemporaine avec la naissance du peuple arc-en-ciel qui est, pour la philosophe, une performance politique même si tout n’est pas une réussite. On souligne le discours de Desmond Tutu et le rôle de la CVR, la Commission Vérité et Réconciliation. Mais la référence à Gorgias est encore présente « Le discours est un grand souverain qui, au moyen du plus petit et du plus inapparent des corps, performe les actes les plus divins ». Toute la question de cette page de l’Afrique du Sud est peut-être dans l’intraduisible tag « How to turn human wrongs into human rights » inscrit sur la maison de l’archevêque à Cap Town, ou comment basculer du négatif au positif par la seule force du langage. Reste l’épineuse matière de l’amnistie et du pardon ; pourtant l’amnistie sud-africaine est loin d’être une amnésie… comment réconcilier ce qui parait irréconciliable ? En politique il est important de prendre soin du langage pour tenter l’anamnèse.
Dans un autre registre, le « yes we can », n’est-il pas passé du performatif au constatif…
De l’antiquité à nos jours, est-ce que le discours grec peut encore être d’actualité ? A l’heure des fake news, des rumeurs surfant sur Internet, de « la rhétorique sans rhétorique des réseaux sociaux », des jugements subjectifs, un peu de recul sur la performance langagière et le pouvoir des mots dans toute sa longue trajectoire ne peut être que salutaire. Mais avec toujours la plus belle histoire d’amour depuis que l’humanité existe, celle du « logos ». En se souvenant d’Aelius Aristide et que « le logos marche du même pas que le temps ».
https://squirelito.blogspot.com/2018/11/une-noisette-un-livre-quand-dire.html
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