"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Après avoir traité du fait religieux en banlieue avec Les territoires gagnés de la République ? puis enquêté à propos de femmes managers du Golfe avec La femme est l’avenir du Golfe, Arnaud Lacheret vient de publier un nouvel ouvrage qui nous touche au plus près : Femmes, musulmanes, cadres… Une intégration à la Française.
Ce document publié, comme les deux premiers par Le Bord de l’eau, reprend, analyse, commente et tire des conclusions à partir des réponses de vingt-trois femmes ayant trente-sept ans de moyenne d’âge et un niveau d’études à Bac+5 pour la majorité d’entre elles.
Après une longue introduction, Du Golfe à la France, Arnaud Lacheret m’a passionné avec la lecture de ses huit chapitres, n’éludant aucun problème et s’efforçant d’être quand même optimiste.
De Sonia (29 ans) à Zaineb (42 ans), ces vingt-trois femmes sont toutes de la seconde génération d’immigrés nord-africains. Elles ont réussi leurs études en s’arrachant à leur milieu, gardant toutefois des liens plus ou moins étroits avec leur famille.
Arnaud Lacheret qui dirige la French Arabian Business School de Bahreïn, est docteur en science politique. Il a mené son enquête avec rigueur comme il l’avait fait avec les femmes du Golfe. Les entretiens ont été assurés en visioconférence et seul le son a été enregistré.
Ne laissant rien au hasard, l’auteur qui a travaillé quinze ans dans des cabinets d’élus, en France, détaille sa méthodologie et s’appuie sur une bibliographie impressionnante. La majorité des femmes interrogées est mariée ou vit en couple et elles sont toutes d’origine modeste avec, parfois, des parents illettrés.
La culture nord-africaine est confondue volontairement avec la religion. Si féministes libérales et féministes islamistes s’opposent, elles ne veulent pas éreinter l’islam qui, pourtant, met l’homme sur un piédestal.
Toutes ne témoignent pas du même vécu. Certaines ont été poussées dans leurs études par leur père. Celui-ci travaillait et s’imprégnait donc de la société française alors que la mère était cantonnée au foyer. D’autres ont été soutenues par leur mère, le père étant absent. Dans tous les cas, ces femmes qui ont réussi leurs études, font la fierté de leurs parents. Hélas, il faut constater un retour en arrière avec la troisième génération qui revendique ses origines, porte le voile pour marquer une identité, tenter de trouver un mari sérieux, musulman pratiquant.
Très intéressant est le chapitre consacré au bled et au quartier. Ces retours en Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Maroc) a été systématique durant l’enfance de ces femmes mais s’est fait de plus en plus rare ensuite. Pourtant, ce lien affectif n’est pas à négliger.
Par contre, le quartier est présenté comme ce qu’il faut fuir car il tire vers le bas. Contrairement à ce que je pensais, le fait d’amener des lieux de culture dans ces banlieues n’est pas bon. Khadija (48 ans) s’est battue pour que sa ville n’installe pas d’équipements culturels dans le quartier difficile où elle habitait car : « ça donnait toutes les excuses à mes parents pour que je n’aille pas prendre le bus et que j’aille à la bibliothèque ».
Inévitablement, il faut aborder cet attachement complexe à la religion. Certaines se revendiquent athées mais d’autres parlent d’une pratique religieuse rigoureuse. C’est l’occasion d’aborder la polygamie puis d’affirmer l’égalité entre hommes et femmes, une valeur universelle : pas besoin de religion pour cela.
Finalement, leur vision de l’islam est assez classique et donc surprenante. Ici, Arnaud Lacheret constate que les valeurs de la République française ne sont pas complètement intégrées chez ces femmes au brillant parcours professionnel.
Enfin, il faut revenir au voile islamique, entre choix et étendard. L’auteur remonte à 1979 où, après la révolution iranienne, l’islam sunnite se radicalise. La loi de 2004 sur le port de signes religieux n’a pas réglé le problème en France. Aucune de ces femmes interrogées ne porte le voile. Elles en parlent donc librement et leurs remarques sont pertinentes. Ce voile est le résultat d’un cheminement. Pour elles, il n’est pas vraiment signe de soumission. Celle qui le porte ne veut pas être remarquée et obtient le résultat inverse. Ce problème agace les femmes interrogées mais elles reconnaissent une pression culturelle et familiale alors que leur pays d’accueil a des difficultés à tolérer les musulmans.
Avant de conclure, l’auteur parle des discriminations subies par ces femmes diplômées dont certaines ont choisi de postuler pour de grands groupes afin d’être sûres d’être acceptées. Pour elles, pas de racisme mais c’est la troisième génération qui les inquiète.
Pour éviter la désintégration, il est urgent de valoriser les codes et les valeurs de la société française car les plus jeunes se replient sur leur quartier, leur communauté. L’auteur bannit ce fameux « droit à la différence » partant d’une bonne intention mais donnant des résultats inverses à ceux espérés.
En conclusion de son énorme travail sur ces témoignages, Arnaud Lacheret affirme à juste titre que ces femmes montrent la voie à suivre, qu’il faut les écouter et s’inspirer de leur vécu. Ce n’est pas en favorisant les communautés, ni en les stigmatisant que notre pays réussira cette intégration à la Française.
Je voudrais que ce livre passionnant, étonnant, instructif soit lu et que celles et ceux qui aspirent à diriger notre pays s’en inspirent. Depuis Bahreïn où il travaille sans oublier de revenir régulièrement en France avec sa petite famille, Arnaud Lacheret apporte une contribution essentielle pour notre bien vivre ensemble. Qu’il en soit remercié !
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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