"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une somme ambitieuse dont le dessein est de retracer avec un souci du détail, la folie d'Antonin Artaud, acteur et écrivain au destin brisé. Cet ouvrage récemment remanié relate les ravages de la paranoïa, de la schizophrénie et des crises hallucinatoires sur l'esprit d'un intellectuel issu de la famille des surréalistes. Il traite également de la lutte d'un génie fragile, parfois désespéré, souvent en marge, mais toujours en quête d'absolu. Mainte fois terrassé par ses démons intérieurs, il ne sombra jamais dans la résignation et resta toujours conscient du rôle qu'il s'était choisi de jouer en tant qu'acteur et écrivain. Sa sortie de l'asile de Rodez, où il fut interné durant la guerre, fut suivie d'une relative rémission mais il tira sa révérence peu de temps après, frappé par un autre mal intérieur. La précieuse seconde partie de l'ouvrage nous dévoile l'envers du décor de ce théâtre de la cruauté. Libre accès nous est donné à la correspondance du psychiatre qui a tout fait pour sortir Antonin Artaud de son interminable cauchemar éveillé. Un livre d'une grande richesse qui nous ouvre de nombreuses portes et nous apprend énormément sur l'homme, ce fragile roseau pensant.
Lorsque Masse critique de Babelio a présenté ce livre, je me suis empressée de participer : un livre contre une critique.
En mai 2014 j'ai eu le bonheur de voir l'exposition du Musée d' Orsay : Vincent Van Gogh / Antonin Artaud, "le suicidé de la société". Un parcours créé à partir de la trame de l'ouvrage d'Antonin Artaud et cela a été une émotion si forte que je suis sortie trop bouleversée pour avoir le sentiment d'avoir pleinement vécue ce moment.
Cinq fois je suis revenue, cinq heures passées dans cet univers qui m'a happé, tellement ces deux âmes se confondent, se rehaussent, se parlent, et planent sur nous. Une trentaine d'œuvres présentées, jusqu'au final "le champ de blé aux corbeaux", tableau vivant.
Ce fut magique, de vie, d'émotions multiples et colorées. Cela ne s'oublie pas...
Le livre se partage en deux parties :
Livre 1 : André Roumieux, infirmier psychiatrique, bouleversé par la souffrance et la révolte d'Antonin Artaud n'a de cesse d'essayer de comprendre.
Issu d'un milieu bourgeois : père armateur, mère au foyer, élevé dans une double hérédité culturelle marseillaise et levantine. C'est un petit garçon absolu et hypersensible.
Très tôt, trop tôt il connait un accident de la vie : la mort accidentelle de sa petite sœur, à la suite de quoi il fit une méningite. Couvé et surprotégé par sa mère il deviendrait excessif , capricieux et hypersensible.
Ses années sont rythmées par des changements d'humeur. Angoissé perpétuel, ce jeune homme élève studieux et brillant , adore la lecture : Pöe, Baudelaire, les civilisations anciennes. Il a de nombreuses dispositions artistiques : théâtre, peinture et écriture.
Mais l'angoisse est toujours là, tapie dans l'ombre, qui attend son heure. Antonin vit dans la peur chronique de perdre ceux qu'il aime.
n souffre.
1916-1917 : il consulte le Dc Grasset, il s'ensuit un séjour en clinique psychiatrique en Suisse où il est traité au laudanum (opium).
1920 il s'installe à Paris et est suivi par le Dc Toulouse, médecin-chef de l'asile d'aliénés de Villejuif. Ce dernier devient son protecteur, conseiller, guide et thérapeute.
Il loge en dehors mais à côté de l'asile, les murs sont hauts et les cris constants.
Il s'engage au théâtre. Lorsqu'un an plus tard le Dc Toulouse dirige le premier service psychiatrique libre de l'asile Sainte-Anne, il s'établit une véritable collaboration entre ces deux êtres.
En 1924, son père meurt et sa mère s'installe à Paris.Il connait ses premiers engagements en littérature et fait connaissance avec le surréalisme et il en assume le bureau de recherches.
Il écrit "le surréalisme vint à moi à une époque où la vie avait parfaitement réussi à me lasser, à me désespérer et où il n'y avait plus pour moi d'issue que dans la folie ou la mort".
Le surréalisme est l'envers du décor logique.
Expérience dont il ressort plus seul,plus souffrant et plus révolté.
Une fiche hospitalière le signale comme "malade protestataire", belle formule.
Et puis en 1937, tout bascule, ce ne sont plus des internements volontaires mais des placements d'office, pendant 18 mois il devient "UN COLIS QUI N'A PAS LA PAROLE".
Sa vie est enveloppée d'un mélange d'effluves : urines, éther, désinfectant et rythmée par le bruit des grosses clefs et des cris.
Sa vie est sous la contrainte la plus absolue et l'observation permanente de tous.
Il subit le malade Artaud, il n'est plus Antonin Artaud, poète flamboyant, écrivain talentueux.
Trois infirmiers vont reconnaître en lui un malade prestigieux.
Bien entouré par sa sœur et sa mère; "personne comme une mère de malade ne sait lire sur un visage, dans un regard, avec autant de discernement".
Il écrit beaucoup, mais pas de littérature, des lettres, beaucoup de lettres.
L'apocalypse de la seconde guerre mondiale, est une abomination pour les asilaires, la mortalité y devient galopante.
Alerté par sa mère, d'anciens compagnons artistes vont se mobiliser pour sortir Antonin Artaud, non pour une sortie de l'asile mais pour un transfert à Rodez, Robert Desnos s'y emploie avec énergie .
Gaston Ferdière, à partir de son transfert le 10 février 1943, va le prendre en charge. Il sera soumis à des électrochocs, au total 58 en 18 mois. Il considérera cela comme un viol de sa personnalité.
Cependant sa situation évolue, il peut reprendre certaines activités littéraires, il passe les fêtes de Noël dans la famille Ferdière. Il bénéficie de sorties tout d'abord accompagné puis libre. Ainsi il fera la connaissance de Denys-Paul Bouloc poète, romancier et critique littéraire autodidacte.
La France est toujours en guerre avec son lot d'abominations, Robert Desnos est arrêté, il va mourir ;
Dans une France rationnées, Antonin Artaud enjoins sa mère de ne plus lui envoyer de colis "Pense à toi" et il précise que ses amis ne l'oublient pas et ils mentionnent qu'ils ont envoyé de l'argent au directeur de l'asile pour ses frais.
Les lettres de Rodez vont être publiées. Il écrit un article sur Desnos.
Ses amis continuent leur mobilisation pour le faire sortir de l'asile.
Le 25 mai 1946, il va être officiellement "libre" mais après neuf années d'enfermement, le Docteur Ferdrière écrira "Et puis je vois mal, en face d'un être si exceptionnel, le sens exact du mot "guérison", des mots "santé mentale"!".
Il y a dans le monde des arts et lettres une solidarité jamais vue, afin d'assurer son existence matérielle.
Il va donner sur scène une incroyable représentation, témoignage de ce monde asilaire.
Il voit une exposition des œuvres de Van Gogh à l'Orangerie et en rentrant il écrit "Van Gogh, le suicidé de la société"
Cependant il s'enfonce dans les ténèbres, le couperet tombe en février 1948, il a un cancer généralisé.
Il décède en mars, ses derniers mots écrits seront pour sa mère.
Livre 2 : Entretiens et correspondance d'Antonin Artaud, annotés et préfacés par Laurent Danchin essayiste et conférencier spécialisé dans l'art brut et la création autodidacte.
Ces textes disent beaucoup.
Cet essai ne s'appréhende pas en une seule lecture, le travail des auteurs est magnifique, ils nous font un véritable cadeau.
En conclusion, le lecteur en ressort éblouit et bouleversé.
Un coup de cœur, coup de poing.
Antonin Artaud le flamboyant sombre.
Il en résulte une terrible envie de lire et relire ce poète.
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