"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
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Introduction :
Il y a deux ans, j’ai lu Dictature 2.0 de Kai STRITTMATER qui traité de la politique chinoise à l’intérieur du pays – IA, politique de l’oubli... – et ses rapports avec l’extérieur. Mais dans mon souvenir la question communiste avait été écartée du sujet, on était plus dans la pratique du pouvoir et les effets sur le peuple chinois (dans mon souvenir). Avec ce livre d’Alice EKMAN je complète les informations à laquelle cette lecture ancienne m’avait initiée. La question chinoise va certes être abordée dans la pratique, mais ici le propos va surtout se recadrer sur le communisme. Car la question se pose : si prospère, si inégalitaire, si puissante, la Chine est-elle encore communiste ? Si oui, dans quel état se trouve le communiste ? Comment se manifeste-t-il ? C’est à toutes ces questions qu’Alice EKMAN spécialiste de la Chine va répondre.
Toujours communiste ?
Actuellement, vue de l’Occident la Chine paraît plus capitaliste que communiste. Cette richesse qu’elle brasse et étale à la face du monde, peut en effet faire penser qu’il y a eu un basculement idéologique dans cette dictature, surtout que le communisme n’est pas réputé pour créer de la richesse. Contrairement au capitalisme. Pourtant, chose étrange et comme Alice EKMAN va nous le montrer, la Chine est bel et bien toujours communiste aujourd’hui. Et ce, grâce à sa merveilleuse capacité d’adapter les principes communistes à la spécificité chinoise et à l’époque, - ce qui lui permit d’embrasser le capitalisme sans se dédire.
Et si comme moi vous pensiez que la Chine était plus dictatoriale que communiste, détrompez-vous. Car en effet ici, il ne s’agit pas d’un petit communisme creux, de façade, avec vue de l’étranger un parti unique ; non, il s’agit bien d’un véritable communisme où tout est cadré au millimètre près, et où les vieilles pratiques n’ont pas disparu.
En fait, pour être plus précise, je devrais quand même dire que depuis Xi Jinping il y a un sursaut du communisme en Chine. En effet, l’autrice va nous montrer à quel point dans les discours de Xi Jinping, qui fait généreusement référence à Marx ou encore à Mao, cette idéologie est encore présente dans la ligne politique chinoise et bien plus depuis l’avènement du dictateur. Et ce, tant pour commander le pays, que pour parler du monde.
« Xi Jinping lui-même revendique cette inspiration de plusieurs façons, en faisant notamment référence, dans ses discours les plus importants, aux grands évènements et mouvement directement liés à Mao Zedong, tels que la Longue Marche des années 1934-1935 ou le mouvement des Cent Fleurs :
“Il faut suivre les principes suivants ; servir le peuple et le socialisme ; « que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent » ; et réaliser une transformation créative et un développement innovant, pour assurer un nouveau rayonnement splendide de la culture chinoise.”
[…]
Non seulement la Chine d’aujourd’hui puise ses influences et repères dans des évènements clés du maoïsme, mais elle se réclame également, haut et fort, du marxisme. Depuis 2013, on a pu entendre Xi Jinping employer un langage marxiste-léniniste et des expressions inspirées de la guerre froide, communément employées par Mao Zedong, telles que « forces occidentales hostiles », « dictature démocratique du peuple » ou encore « ligne de masse », qui fut le tire d’un chapitre du Petit Livre rouge. » Pages 16-17
Quelles pratiques ?
Mais loin de s’arrêter aux mots, dans la pratique l’idéologie communiste chinoise est encore très présente. Et d’autant plus présente, depuis le tour de vis de Xi Jinping sur le pays.
En effet, depuis l’arrivée de l’actuel président chinois au pouvoir, l’emprise idéologique se fait plus présente et violente au sein de la population. Séances d’autocritique à répétition, obligation d’apprendre les discours de Xi Jinping, réduction du champ de recherche en sciences sociales par exemple, emprisonnement non justifié… Alice EKMAN va nous montrer que pas un domaine, qu’il soit politique, éducatif ou encore syndical n’échappe à ce rappel de l’histoire. A cette présence extrêmement pesante et dangereuse, qui se permet toutes les dérives et manipulations.
« Au-delà du recadrage des cadres, la violence contre les dissidents s’est renforcée. En juillet 2017, le dissident chinois Liu Xiabo est mort d’un cancer, après avoir purgé huit ans de prison, pour cause d’ « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat ». Se sont en parallèle généralisées ces dernières années les pratiques de « confession télévisées » et excuses forcées de dissidents ou personnes considérés comme menaçant la stabilité politique. Ainsi le journaliste Wang Xialou est-il contraint à avouer en août 2015 à la télévision publique être responsable du krach boursier du pays à l’été 2015 à cause de la rédaction d’un article, ou encore, en juin 2016, Lin Zuluan, chef élu du village de Wukan, symbole démocratique en Chine, contraint de confesser l’acceptation de pot-de-vin. […] » pp. 87-88
Chine, le monde, les limites
Maintenant qu’il est établi que le communisme chinois n’est pas encore mort, et vivra encore des beaux (mais tristes) jours en Chine, reste à voir à présent la Chine dans le monde. Je retiens de ma lointaine lecture du livre Dictature 2.0 que la Chine investissait beaucoup en Afrique, et cherchait notamment à mettre en place le même système de surveillance là-bas. Ici, l’autrice va nous montrer comment la Chine voit le monde et cherche à investir le monde, afin de proposer une autre voie qui s’opposerait aux idéaux Occidentaux.
Un peu plus haut, nous l’avons vu dans le court extrait, la Chine possède encore une vision binaire du monde et la violence qui va avec. Cela étant, le monde n’étant qu’un vaste terrain de jeu à conquérir, la Chine communiste vise l’hégémonie, y compris dans le monde Occidental. Pour cela elle y met les moyens, (deuxième puissance économique mondiale elle peut se le permettre). C’est ainsi qu’elle offre aux futures élites étrangères de demain, des formations qui apprennent tout de la gestion chinoise en politique, tout comme son pendant Occidental le fait au demeurant. Pour renforcer son aura à l’étranger et développer son économie, elle développe également ce que l’on appelle : les nouvelles routes de la soie.
En parallèle à ces manœuvres politique et économique, et les moyens aidant, l’empire autrefois céleste ne se retient plus non plus de critiquer le monde Occidental sur tous les points qui font horreur à cette dictature et qui, selon elle, déstabilisent les pays. Grèves, dictature du peuple pour dénoncer la démocratie, immigration massive, attentats… ce pays ne rate pas une occasion d’ouvrir sa grande bouche pour critiquer l’Occident. Et bien que le bonheur de son peuple ne soit pas sa priorité comme l'indique la critique du droit de grève, l'exploitation des travailleurs et les disparités entre chinois, on ne va cependant pas se mentir. Ce pays a raison sur les nuisances que provoquent l’immigration massive et les attentats, et les faiblesses que cela révèle.
Toutefois, et même si ces parties du livre étaient fort intéressantes, j’aurais aimé qu’Alice EKMAN mette en avant les limites de tous ces projets. Elle établit parfaitement les objectifs de la politique chinoise : « promouvoir à l’étranger un système politique et économiquement alternatif au libéralisme, et inspiré de son propre système. » p. 159. Cependant, j’aurai aimé découvrir - plus que deviner - les limites qu’elle peut rencontrer avec ces peuples différents du sien. L’autrice dit que le communisme peut être perçu comme une religion, en tout cas il est sûr que cette idéologie politique est très dogmatique, de fait j’aurai aimé savoir jusqu’à quel point elle peut s’insinuer dans les politiques étrangères sans rencontrer d’obstacle. En clair, qu’est-ce qui ferait que le projet pourrait foirer ? Les peuples refuser cette mainmise? Par exemple, en Afrique on se doute que l’instabilité politique ou encore la religion seraient des limites, mais qu’à t-il encore d’autres qui pourrait faire obstacle ? Et de quelle manière ? Et qu’est-ce qui est pensé par le gouvernement chinois pour passer dessus ? La Chine connaît-elle ses limites à l’étranger ? De toutes ces choses, j’aurai aimé en découvrir un peu plus, mais peut-être que l’on ne dispose pas de ces données.
Mais puisque je parle des limites, qu’elles sont-elles en Chine ? A lire ce lire cet avis, on pourrait penser que la Chine est toute puissante et écrase son peuple. Pourtant Alice EKMAN va mettre en avant les barrières que le régime communiste dresse contre lui-même et qui pourrait à terme jouer contre elle. Il y a cet exemple cité un peu plus haut, qui touche les domaines de la recherche et de la culture, où seuls les sujets utiles au parti sont appréciés. Tuant ainsi dans l’œuf toutes innovations et biaisant également les approches, puisqu’il y a obligation d’utiliser les mots-clés du parti et sa pensée.
« Ainsi, un enseignant-chercheur en littérature en fin de carrière, spécialiste de la poésie chinoise prérévolutionnaire, a été contraint d’abandonner ce sujet « inutile » pour se pencher sur la gouvernance des mégapoles culturelles, projet d’état financé par la municipalité où sont implantés son université et plusieurs ministères. » p .111
Mais plus ahurissant, les limites touchent également la pratique politique. Outre la haine des cadres écartés par le renforcement des contrôles idéologiques, notons l’hermétisme imposé entre les différents domaines politiques et qui rend difficile pour les politiciens de prendre en compte la réalité du terrain. Ajoutons à cela, la lassitude et la fatigue qui s’emparent des chinois qui perdent leur temps à apprendre des discours, à faire des réunions, à s’autocritiquer, etc. pour faire plaisir au gros dieu chinois.
Loin de se cantonner à l’intérieur du pays, les limites dressées par le parti se retrouvent également dans la politique internationale. Comme l’atteste l’anecdote sur Interpole, où le chinois à sa tête a subitement disparu car ne respectant pas la discipline du PCC. Cette histoire montrant ainsi les conflits d’intérêts entre la politique internationale et la politique intérieure chinoise. La Chine ne pouvant pas non plus commander au monde et agir dans le monde comme elle entend…
« Dans ce contexte, certaines décisions prises par le gouvernement chinois apparaissent contradictoires, voire contre-productives par rapport à l’objectif initial de renforcer l’efficacité et l’influence de la diplomatie chinoise. Par exemple, la diplomatie chinoise avait déployé un fort activisme pour obtenir la présidence d’Interpol. Cet activisme, efficace, avait été couronné de succès en novembre 2016 par l’élection de Meng Hongwei : pour la première fois en Chine présidait cette organisation de coopération policière, basée à Lyon. Mais en septembre 2018, Meng Hongwei est portée disparu, et réapparaîtra plus tard en détention en chine – accusé d’être coupable de « graves violations » de la discipline du PCC. » p. 206
Bref. Comme on le voit la Chine n’est pas exempte de faiblesse et de bêtise.
Conclusion
En résumé, c’était un livre très agréable et facile à lire. On apprend beaucoup, l’autrice développe correctement son propos, et se penche tant sur la politique extérieure qu’intérieure. Elle nous montre tout ce qui fait la puissance de cette idéologie et de ce pays, ainsi que les clefs pour la comprendre et aussi ses limites. Elle nous rappelle également - et c’est important -, que même sans Xi Jinping (que tu aimerais bien voir mort comme Poutine) le communisme en Chine est là encore pour longtemps. Il y a du souci à se faire. Mais chaque dirigeant chinois peut être différent du précédent.
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